« Notre maison a disparu » : Entre douleur et espoir, le retour de Nimr à Gaza

Publié le par FSC

Samir Bujy, Saeed Wajjeh et Wajeh zarefah

L'Humanité du 6 février 2025

 

Le 27 janvier, des centaines de milliers de Palestiniens ont enfin pris le chemin du retour dans le nord de la bande de Gaza. Parmi eux, Nimr et son oncle Zakaria.© Samir Bujy, Saeed Wajjeh et Wajeh Zarefah

 

Pendant plus d’un an, ce jeune Palestinien de 11 ans, blessé par une attaque de l’armée israélienne, a vécu séparé de ses parents et de ses frères et sœurs. D’hôpitaux en prisons, de ruines en décombres, le périple de Nimr raconte la tragédie d’un peuple meurtri et la désolation d’une terre qu’on leur refuse.


La route du retour leur rappelle des souvenirs douloureux, mais réveille un peu d’espoir. Les paysages dévastés, les maisons effondrées racontent la souffrance et les larmes. Après plus de quinze mois de destructions dans la bande de Gaza, des centaines de milliers de Palestiniens déplacés dans le sud sont retournés vers le nord, chez eux, peu après l’annonce du cessez-le-feu, le 15 janvier. Parmi eux, Nimr Al Nimr.
 

À même pas 12 ans, le garçon ne connaissait rien de la vie, hormis les rires de ses amis dans les ruelles étroites de son quartier de la ville de Gaza. Saadi Al Nimr, son père, avait décidé, après les premiers bombardements en octobre 2023, que la famille ne bougerait pas de sa maison de Sheikh Radwan. Mais la guerre, comme une sombre vague, a emporté Nimr loin de ses parents. Comme 17 000 enfants gazaouis séparés de leurs parents en raison du conflit.

Bombardements incessants


C’était une froide matinée de décembre 2023, deux mois après le début de la guerre. La pénurie s’est vite installée et, avec elle, la faim et la soif pour ceux qui, comme la famille Al Nimr, sont restés dans la ville malgré les bombardements incessants et les menaces israéliennes. Ce jour-là, Saadi, le père, veut partir à la recherche de nourriture. « Papa, je viens avec toi », impose Nimr. Le garçon accompagne son père, à pied, plus au nord, vers Beit Lahia. Ils espèrent trouver du pain ou n’importe quoi qui puisse les nourrir.


Mais le jeune garçon est trop faible. Son père le confie à son ami Mohammad, souffrant, qui ne peut continuer la route, lui non plus. L’homme et l’enfant attendent, assis sur des blocs de pierre, seuls vestiges d’une habitation, lorsque des coups de feu éclatent. Nimr tombe, blessé. Mohammad ne bouge plus, tué d’une balle en pleine tête.


Touché par cinq projectiles, Nimr gît à même le sol lorsque la cohorte israélienne qui les a pris pour cible arrive près d’eux. Il se souviendra toute sa vie de ce moment. « Lève-toi, espèce de salaud », crie l’un des soldats en arabe. « Je ne peux pas, je le jure », répond le jeune Palestinien.

« Tu es un animal, lève-toi ou je te tue »


« Tu es un animal, lève-toi ou je te tue », entend-il en guise de réponse, accompagnée d’un coup de pied au visage. Il est alors emmené par des soldats israéliens dans un hôpital – celui de Soroka, à Beer Sheva, dans le sud d’Israël, comme il l’apprendra plus tard. Peu de temps après, il est transféré dans une prison, il ne sait où. « Ils m’ont placé à l’isolement, sans voir la lumière, dans une toute petite cellule », se souvient Nimr, les yeux encore remplis de terreur lorsqu’il raconte son histoire.


« Les murs suintaient d’humidité et de l’eau stagnait. Il faisait froid et je n’avais pas de couverture. » Il est ensuite placé pendant une semaine dans une autre cellule, au milieu d’une quinzaine d’adultes, avant d’être libéré. Avec un groupe de prisonniers palestiniens, Nimr est transporté au point de contrôle de Kerem Abou Salem, dans le sud de la bande de Gaza, près de la frontière égyptienne. Là, il est d’abord accueilli par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) puis, une fois à l’hôpital Abou Youssef Al-Najjar de Rafah, par l’Unrwa, l’organisme des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens.


Le garçon va retrouver sa grand-mère maternelle, Salmiya, et son oncle Zakaria Shawah. Après avoir fui le camp d’al-Bureij, près de Deir al-Balah, dans le centre de l’enclave palestinienne, ils s’installent à Rafah, dans le quartier de Tal al-Sultan. Comme des dizaines de milliers d’autres personnes déplacées, ils vivent sous une tente.

Cinq blessures par balles


Lorsqu’il arrive à l’hôpital qui l’a contacté pour lui signaler la présence de son neveu, l’oncle Zakaria n’en revient pas. Le sol est maculé de sang. Au milieu de centaines de blessés, de corps déposés dans les couloirs, il l’aperçoit enfin. Couché par terre, incapable de bouger, l’adolescent est entouré de deux médecins qui essaient de soulager ses douleurs et de soigner ses cinq blessures. Zakaria pleure en silence, en détournant la tête pour ne pas que le garçon l’aperçoive. Il va pouvoir appeler la mère de Nimr et lui annoncer que son fils est en vie.


De longs mois vont passer. Nimr ne peut regagner le nord. Les Israéliens interdisent tout passage dans ce sens. Il reste avec son oncle et sa grand-mère à Rafah, puis les suit dans le camp d’al-Bureij, qu’ils regagnent malgré les dangers. C’est là que nous le rencontrons quelques jours après l’annonce du cessez-le-feu.


La maison aux murs fissurés n’a plus de fenêtres ni de porte, après les attaques successives. On n’y voit que quelques rares meubles. Nimr dort sur un matelas. Zakaria ne dispose que d’une couverture étalée par terre. La grand-mère s’accommode d’une mauvaise installation dans ce qui sert de cuisine. Nous sommes le 23 janvier 2025. Nimr n’a qu’une hâte : pouvoir retrouver sa famille, au nord, qu’il ne peut joindre que par téléphone.

Vingt kilomètres sur des routes détruites


Le 27 janvier, seulement quelques jours avant que Donald Trump n’affirme vouloir « prendre le contrôle » de Gaza et expulser les Palestiniens, pour Nimr c’est le grand jour, celui du retour. Ils auraient dû partir la veille, mais les autorités israéliennes ont trouvé un prétexte pour ne pas ouvrir à la date prévue le corridor de Netzarim, qu’elles contrôlent, retardant le passage du sud au nord. Nimr porte son costume noir et une veste vert clair. Le bonheur se lit sur le visage du jeune garçon. Son pied est bandé pour atténuer la douleur qui ne manquera pas d’être ravivée. La bande de Gaza est un petit territoire, mais le trajet qui les attend est long. Une vingtaine de kilomètres à parcourir en marchant.


L’oncle Zakaria se prépare et porte le sac de Nimr, qui contient une partie de ses vêtements. Il prend le fauteuil roulant. Son neveu pourra s’y asseoir de temps en temps lorsque la douleur de son pied deviendra intenable. C’est l’heure des au revoir. Nimr serre sa grand-mère dans ses bras. Elle ne peut retenir ses larmes. « Dieu sait quand je te reverrai. Prends soin de toi, de ta mère, de tes frères et sœurs. »

Une colonne de centaines de milliers de personnes


Le voyage de retour peut commencer alors que le soleil se lève, comme un clin d’œil après ces quinze mois aussi sombres que la mort. Au milieu des décombres des maisons et des tentes des déplacés, entre les destructions des routes et les arbres tombés au sol, Nimr marche avec son oncle Zakaria, par la rue Rashid, dans l’ouest de la bande de Gaza, en surplomb de la mer Méditerranée. Ils sont heureux.


Des centaines de milliers de personnes empruntent la même route, emportant avec elles ce qu’elles peuvent : couvertures, matelas, ustensiles de cuisine… Des enfants sont à peine couverts dans le froid glacial, des hommes portent leurs affaires sur le dos ou sur la tête. La route, autrefois goudronnée, est aujourd’hui pleine de nids-de-poule et de débris. Pas une maison qui n’ait été détruite, pas une rue qui n’ait été bombardée.


Il ne reste que du sable et des souvenirs. Tout au long du parcours, des ambulances sont alignées, des camions-citernes fournissent de l’eau, des camionnettes distribuent de la nourriture. Au milieu de l’interminable colonne humaine, certains s’assoient pour se reposer, avant de continuer leur chemin. Des personnes âgées côtoient des enfants, des générations entières de Palestiniens marchent vers leur terre.

« Tout ce qui reste, ce sont des décombres »


En chemin, Nimr reçoit un appel de sa mère. Pour elle, les minutes passent comme des heures. « Maman, tu me manques tellement. Es-tu dans notre maison ? », lance-t-il joyeux avant de s’arrêter de marcher, pétrifié par la réponse. « Notre maison n’existe plus. Nous logeons chez des amis de ton père. » Nimr se tourne vers l’oncle Zakaria : « Notre maison a disparu ! » Il continue son périple, parfois en fauteuil roulant, parfois à pied, sur des routes défoncées, sur les dunes de sable de la plage.


Soudain, il voit un panneau : « Gaza-ville vous souhaite la bienvenue ». Il a enfin pu atteindre la partie nord de la bande de Gaza. L’émotion est palpable. Il est arrivé. Nimr se retrouve devant son père et le regarde comme pour la première fois. Il ne parvient pas à avancer. La vie s’arrête pendant quelques secondes, comme si les centaines de milliers de personnes autour d’eux n’existaient plus. Tout le monde s’étreint, s’embrasse. Saadi attrape son fils, le soulève et le couvre de baisers. Les larmes se mélangent. Avant de retrouver sa mère, le jeune garçon demande à se rendre sur l’emplacement de sa maison, à Sheikh Radwan. « J’ai grandi ici, j’ai étudié ici. Tout ce qui reste, ce sont des décombres. »

L’espoir que la guerre ne reprenne pas


Il cherche quelque chose, un objet, un souvenir qui lui permettrait de ne jamais oublier. C’est alors qu’il aperçoit le visage de sa mère. « Mon fils, Nimr, mon fils ! » Finalement, Iman peut l’embrasser, le toucher, le serrer contre son cœur. Nimr retrouve ses frères, Billal et Ibrahim, sa sœur Salma et la dernière, Sidra, qu’il n’a pas vue depuis plus d’un an. Elle était si petite à l’époque – à peine un mois –, elle ne se souvient pas de lui.


Enfin réunie, la famille Al Nimr savoure ces moments en espérant que la guerre ne reprendra pas. Tous veulent y croire, comme l’ensemble des Palestiniens. Pour l’heure, Saadi n’a qu’une préoccupation, ne plus être un fardeau pour ses amis qui les hébergent, trouver une tente ou une caravane en attendant de pouvoir reconstruire une maison. Il n’est pas question de quitter Gaza. Jamais.
 

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