Guerre à Gaza : « Je ne crois plus en la capacité d’Israël à revenir à la raison », prévient Nadav Lapid
Emilio Meslet
L'Humanité du 26 mars 2025
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Le cinéaste israélien, primé dans les Festivals de Cannes et Berlin, confie son désespoir à propos de son pays natal© Yahel Gazit / NurPhoto / AFP |
Réalisateur primé à Cannes et Berlin et pourfendeur du nationalisme israélien, Nadav Lapid est l’une des trop rares voix progressistes dans son pays. Devant le retour de la guerre à Gaza et l’invitation de l’extrême droite française à Jérusalem, le cinéaste désillusionné voit rouge.
À Tel-Aviv, où il termine son prochain film Oui, Nadav Lapid s’est échappé de la salle de montage pour accorder un entretien à l’Humanité. Défenseur des droits des Palestiniens, le cinéaste israélien, primé dans les Festivals de Cannes et Berlin, confie son désespoir à propos de son pays natal, alors que le gouvernement de Benyamin Netanyahou reçoit, mercredi et jeudi, le Rassemblement national sur fond de reprise des massacres à Gaza.
En tant qu’Israélien vivant en France, comment jugez-vous l’invitation de l’extrême droite française par le gouvernement de Benyamin Netanyahou ?
Nadav Lapid
Il me semble parfaitement logique que l’extrême droite convie l’extrême droite. La situation actuelle découle des leçons qu’Israël a tirées de l’Holocauste et de la montée du nazisme. Pour beaucoup, le seul problème a été que les juifs étaient visés. Ce pays n’en a pas tiré une morale humaniste et universaliste sur les dangers du nationalisme. Lorsqu’ils ont 16 ou 17 ans, les lycéens israéliens vont visiter les camps de concentration.
Ils en reviennent encore plus motivés pour entrer dans l’armée, dont la seule vraie vocation est d’approfondir la répression et l’occupation des territoires palestiniens. Les extrêmes droites françaises et israéliennes ont beaucoup en commun. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou parle au nom du judaïsme, mais c’est en réalité un judaïsme identitaire, de plus en plus fermé sur lui-même et hostile à tout ce qui n’est pas Juif.
Comment vivez-vous la situation depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, les massacres qui ont suivi en Palestine et désormais la reprise de la guerre ?
Nadav Lapid
Pour le tournage de mon prochain film, j’ai passé beaucoup de temps ici. Je ne peux rien en dévoiler mais il a évidemment un lien avec tout cela. Personnellement, je suis passé par toutes les étapes. Le 7 octobre a recréé une proximité avec Israël que je n’avais plus ressentie depuis des années.
Et, en même temps, je savais ce qui allait suivre. Ce pays vit les pires moments de son histoire. Pas seulement en raison de ce qu’on lui a fait mais aussi à cause de ce qu’il fait aux autres. S’il y a une solution, elle ne se trouve pas en Israël, mais ailleurs. Je ne crois plus en sa capacité à revenir à la raison.
En octobre 2023, vous disiez à Télérama qu’Israël était « un pays sans avenir » qui « a perverti nos âmes et celles de nos voisins », un pays « où l’horizon n’existe pas ». Avec les grandes manifestations contre le pouvoir qui déferlent dans tout le pays, ne retrouvez-vous pas un peu d’espoir ?
Nadav Lapid
Je ne vis pas ici. J’ai donc du respect pour ceux qui manifestent contre la brutalité de la police, pour la libération des otages et contre le coup d’État institutionnel de Benyamin Netanyahou. Mais il y a toujours un mot qui manque : les Palestiniens. Je partage les inquiétudes des manifestants sur l’avenir de la démocratie. Mais un pays ne peut pas être un occupant et une démocratie. Une démocratie limitée aux juifs n’est pas une démocratie.
Je vois régulièrement les tentatives presque désespérées de certains médias français à la recherche de voix pour la paix. Comme si le pays était divisé en deux parts égales, avec des colons face aux pacifistes. C’est une vision binaire et factice : la grande déchirure autour de Benyamin Netanyahou n’est pas le calque du débat « pour ou contre la paix ? » Ils sont nombreux à ne plus vouloir de ce gouvernement sans avoir vraiment de problème avec ce qui se passe à Gaza.
Comment expliquez-vous qu’il y ait, en Israël, si peu de voix progressistes audibles pour embrasser tous ces combats ?
Nadav Lapid
Benyamin Netanyahou et ses ministres ne sont que les symptômes de ce qui s’est formé dans l’âme collective du pays. Israël s’est construit un système idéologique hermétique où le puissant se voit comme la victime, où la critique est attribuée à l’antisémitisme, où le fait d’attaquer est qualifié de riposte. Ce système donne une réponse automatique à n’importe quel événement : « Nous avons toujours raison. »
Lundi, Hamdan Ballal, coréalisateur palestinien oscarisé pour le documentaire No Other Land, a été attaqué par des colons puis arrêté par la police avant d’être relâché. Comment réagissez-vous ?
Nadav Lapid
C’est affreux et insupportable ! Cela arrive tous les jours à des Palestiniens qui n’ont pas gagné d’Oscar. C’est cette réalité quotidienne que montre d’ailleurs son documentaire. Auparavant, on pouvait penser que son statut international aurait pu le protéger. Aujourd’hui, c’est l’inverse : c’est pour faire peur aux autres.
Dans ce monde violent, quelle est la place du cinéma ?
Nadav Lapid
Son rôle est de donner des images et des sons pour raconter l’essentiel. C’est arracher le cœur et l’âme de ce pays pour le mettre sur un écran. Il faut mettre de la lumière sur les ombres d’Israël.