La guerre qui vient ?
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Adèle 47
Braves gens, dites-moi, braves gens, vous qui êtes prêts à offrir vos économies pour protéger la France, et l’Europe entière, contre l’ours russe, que savez-vous de la guerre ?
Avez-vous eu un père, un frère qui vous manqueront toujours ? Avez-vous eu des mères, des grands-mères restées seules pour élever, comme elles pouvaient, leurs enfants et petits enfants ? Combien y a-t-il eu de mutilés, d’handicapés, d’esprits ravagés dans vos familles ? Avez-vous souvent entendu, dans vos maisons, des dormeurs crier dans la nuit en proie à des cauchemars répétés ? Vous êtes-vous gentiment promenés parmi les décombres de villes- cimetières, bombardées, anéanties ? Avez-vous connu ce hasard qui, vous épargnant, fauche l’ami, le camarade tombés prés de vous ? Avez-vous entendu parler de la faim ? Et rencontré ceux qui, petits, l’ont tellement affrontée qu’il leur a fallu des années pour arrêter de voler du pain à table et le cacher sous l’oreiller ?
Dites-moi, je vous prie, vous qui acceptez, sans rechigner, l’utilisation de fonds publics pour fabriquer des armes, ce que vous pensez de cette observation de Paul Valéry « La guerre c’est un massacre de gens qui ne connaissent pas au profit de gens qui se connaissent bien… mais ne se massacrent pas »? Est-elle de si mauvais aloi cette appréciation qui nous parle de cet « assassinat collectif légalisé »* et légitimé par la peur instillée dans nos veines ?
Et puis que savez-vous de cette autre peur, en plein milieu des combats, lorsqu’on se sent animal traqué et qu’on devient à son tour une bête féroce ?
Et vous, gents damoiseaux, vous qu’on encourage à revêtir de beaux atours, de rutilants uniformes, à qui on promet un boulevard d’actions héroïques, que pensez-vous qu’il advienne de vous ? Consentiriez-vous aisément à vous transformer en chair à canon pour échapper à la médiocrité de n’être rien qu’une chair à patron?
Quant à vous, gens des « classes éduquées », convaincus de la splendeur de la démocratie bourgeoise, un régime politique qui ne peut avoir de rival, puisqu’il est le « moindre mal »,** vous qui gardez le cœur vaillant pour soutenir l’effort de guerre au nom des grands principes, que lorgnez-vous du fond de vos fauteuils ? Un monde débarrassé de tout totalitarisme, de toute sanglante violence, de toute obédience à de néfastes idéologies ? Qui n’y souscrirait pas ? Mais comment allez-vous justifier que ce monde pacifié, objet de vos rêves et désirs, ne peut s’obtenir qu’à condition de se vautrer une fois encore dans l’infamie d’une guerre ? Une guerre qu’on décrète juste et indispensable au nom de la « conservation d’un mode vie » ? Quel mode de vie et pour qui ? Jusqu’à quand, pensez-vous, cette façon de prendre, encore et encore, des vessies pour des lanternes ?
N’a-t-on pas dit après 14- 18, en écho à Valéry, « on croit mourir pour la patrie, mais c’est pour les puissants qu’on meurt ». La guerre, n’est-elle pas, avant tout, la conquête de territoires, de ressources, le rétablissement du « bon ordre » perturbé par des intérêts contraires ? N’est-elle pas l’acte qui efface l’autre, qu’on ne regarde plus en face, un « autre » transformé en ennemi irréductible perdant sa qualité d’être humain. Avec les vannes ouvertes à tous les sadismes, viols compris, dont on se réjouit comme monnaie du danger ultime ! Combien de guerres « pour se défendre » et combien pour dominer ?
N’était-il pas temps de regarder les choses pour ce qu’elles sont, et d’arrêter d’assassiner, symboliquement, tous les Jaurès qui veulent défendre la paix ?
* Georges Bataille
** Churchill