Le canal de Panama, BlackRock et la rhétorique de sécurité nationale des États-Unis
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Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
La vente des ports panaméens de Balboa et de Cristobal à BlackRock, soutenue par les États-Unis et célébrée par Trump comme une « récupération » du canal, dévoile un jeu géopolitique : déplacer la Chine sous le couvert de la sécurité nationale.
La vente des ports panaméens de Balboa et de Cristobal, concédés à l'entreprise chinoise CK Hutchison, au consortium dirigé par BlackRock avec le soutien des États-Unis a été célébrée par Donald Trump comme une victoire historique : « Nous avons récupéré le contrôle du canal de Panama, » a déclaré le président dans son discours devant le Congrès des États-Unis, le 4 mars dernier.
Derrière ce récit impérialiste se cache une opération tissée par les intérêts corporations et une réalité crue qui laisse le peuple du Panama loin d'en bénéficier, et fait du Gouvernement de Mulino le grand perdant.
Trump a affirmé devant le Congrès que l'achat de ces ports pour 22 800 000 000 de dollars était une étape destinée à « améliorer la sécurité nationale » des États-Unis. Mais cette position s'effondre devant un fait clef puisque le canal de Panama ne possède pas de ports et ne réalise d'activités dans aucun port.
Depuis sa remise au Panama en 1999, les ports sont la propriété de l'État panaméen et sont gérés sous concessions. Balboa et Cristobal, gérés par CK Hutchison depuis 1997, se trouvent à l'entrée du canal, mais les contrôler ne signifie pas administrer la voie interocéanique.
Trump a utilisé la situation stratégique des ports pour créer l'illusion de l'influence sur le canal. C'est un mensonge par association, avoir des terminaux à proximité ne signifie pas contrôler le transit des bateaux. Bien que les ports de Hutchison soient les seuls qui ont des terminant aux deux extrémités du canal–ce qui leur donne un avantage logistique–leur vente à BlackRock n’altère pas la souveraineté du Panama sur la route.
L'histoire du canal de Panama a été écrite comme une œuvre expansionniste des États-Unis qui, depuis le XIXe siècle, ont annexé des territoires comme la Louisiane, la Floride, l'Alaska et arraché plus de 2 000 000 de kilomètres carrés au Mexique. Cette violence impériale de Trump fait du canal le symbole d’une hégémonie en décadence.
Alors que le pouvoir mondial des États-Unis s’érode, leurs stratégies deviennent plus agressives : le Panama n'est plus conquis avec des canons mais grâce à des consortiums comme BlackRock qui répètent le manuel de domination économique déguisée en « progrès. »
Le capitalisme spéculatif déguisé en sécurité nationale. »
L'acquisition de la Panama Ports Company par BlackRock –qui gère 10 000 000 000 de dollars d’actifs– s'inscrit dans un modèle dans lequel le pouvoir des corporations s’allie avec des ordres du jour hégémoniques actifs. Le CEO de BlackRock, Larry Flink, « a utilisé une ligne directe avec Trump, » indique Bloomberg, et a accordé l'avantage au président des États-Unis dans le bras de fer géopolitique dans la région. Sous cette rhétorique, l'achat de ports stratégiques renforce un monopole aligné sur Washington.
BlackRock-TiL Consortium et CK Hutchison ont annoncé un accord de principe pour que le puissant consortium acquière 90 % de la participation de Hutchison Ports dans Panama Ports Corporation. Selon le consortium qui a son siège à Hong Kong, le conglomérat portuaire « possède et exploite les ports de Balboa, de Cristobal et 80 % des participations de contrôle effectif que possède CK Hutchison dans ses filiales et ses entreprises qui comprennent la propriété et l'exploitation de 43 ports dans 23 pays (…) et de toutes les ressources de gestion, d'affaires opérationnelles, de systèmes de terminaux de containers, de technologies de l'information et d'autres systèmes de Hutchinson Ports. »
Contrôler les ports aux deux extrémités du canal permet aux États-Unis de contrôler les chargements qui passent, ce qui leur permet de restreindre le passage de certains bateaux en cas de conflit.
La dimension du port de Balboa–exploité par la Panama Ports Company (PPC)– en fait une clé du commerce mondial et Panama n'a pas su convertir son avantage logistique, depuis presque 10 ans, en développement souverain.
Selon le classement de la CEPAL (2016) qui a analysé 120 ports d'Amérique latine et des Caraïbes, Balboa occupe la troisième place en ce qui concerne les mouvements de containers, seulement dépassé par Santos (Brésil) et Colón (Panamá). Ce dernier, curieusement, comprend les données de multiples terminaux panaméens, ce qui dilue sa comparaison réelle. Balboa a dépassé des des ports stratégiques comme Manzanillo (Mexique), Cartagena (Colombie) et El Callao (Pérou), en se renforçant comme un nœud indispensable pour des routes en Asie et en Amérique du Sud.
Mais, en accord avec les revendications du mouvement populaire panaméen, cette position privilégiée ne se traduit pas par des bénéfices proportionnels pour le Panama. Alors que CK Hutchison rapporte des bénéfices record–avec Balboa qui a fait bouger 3 200 000 conteneurs par an en 2023– l'État panaméen reçoit un pourcentage minime des revenus bruts du port.
Failles structurelles dans le cadre légal panaméen
Un février 2025, le procureur général Luis Carlos Gomez a recommandé de déclarer anticonstitutionnel l'article 1 de la loi 5 de 1997, qui a concédé à PPC des droits exorbitants sur les deux ports. Selon le procureur, ce fait dévoile la façon dont le Panama a offert sa souveraineté logistique en échange de miettes : « La clause 2.1 a permis à PPC d’étendre sa concession sans contrepartie économique en omettant les mécanismes de contrôle de l'État. « Il n'y a pas eu de justification de la façon dont cela profitera à la société, » a signalé Gomez, mettant en évidence le fait que le contrat donne la priorité aux bénéfices privés sur le bien-être collectif.
Cette clause accordait à PPC des droits exclusif et bloquait la concurrence : « Aucun autre opérateur n'a pu enchérir pour des domaines stratégiques. C'est un cartel portuaire, » a dénoncé Gomez.
Le cadre légal, à présent, remis en question, a permis à CK Hutchison (et ensuite à BlackRock) d'opérer sans investir dans la modernisation. Selon l’inspection (2024), PPC a consacré moins de 3 % de ses bénéfices à améliorer les infrastructures bien qu'elle gère plus de 40 % de la charge en containers du Panama.
Les concessions ont été conçues pour servir des intérêts étrangers, pas des intérêts panaméens, » a conclu le procureur, dans une critique qui résonne comme l'expression de l'échec du pays à capitaliser sa position géographique.
La Bande et la Route
La réponse chinoise ne s'est pas faite attendre. Li Jian, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a dénoncé « l'utilisation sans distinction de mesures coercitives » contre CK Hutchison et le vice-ministre Zhao Zhiyuan a qualifié la sortie du Panama de l'initiative de la Bande et de la Route (BRI) « d'erreur qui porte atteinte aux intérêts du Panama. »
Les données soutiennent sa position : le commerce bilatéral a augmenté de 34 % entre 2017 et 2024 et a dépassé les 12 000 000 000 de dollars par an grâce à des projets comme l’agrandissement du port de Colón.
La décision du Panama d'abandonner l'initiative de la Bande et la Route en février 2025, après qui ait subi de fortes pressions des États-Unis est un symptôme de sa soumission géopolitique. Le président José Raùl Mulino, sous le prétexte rhétorique « d'attirer le capital étasunien », a cédé aux exigences du Gouvernement Trump. Les réunions du secrétaire d'État Marco Roubio avec Mulino et les menaces voilées de Trump ont révélé le fait que le Panama n'a pas rompu avec la Chine par sa propre volonté.
Le récit de Mulino, qui a insisté pour « réaffirmer sa souveraineté » sur le canal contraste avec les faits. Alors que le Panama a abandonné l'initiative de la Bande et de la Route, les États-Unis consolident leur contrôle indirect grâce à BlackRock, héritier des privilèges accordés à CK Hutchison.
Le mouvement de BlackRock reflète l'incapacité de l'Amérique latine à transformer sa position géographique en pouvoir géopolitique. Le Panama, en cédant aux pressions extérieures et en ne profitant pas de son rôle logistique, se trouve réduit à un pion sur l'échiquier des États-Unis et de la Chine.
Source en espagnol :
https://www.telesurtv.net/canal-de-panama-blackrock-seguridad-nacional/
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