Ziad Medoukh: « Comment s’étonner que les enfants soient devenus adultes et responsables ? »

Publié le par FSC

Ziad Medoukh
L'Humanité du 24 mars 2025

 

 

Aucun Palestinien n’est épargné par la guerre que mène Israël. Mais les plus jeunes la subissent encore plus durement que leurs parents. Victimes et confrontés à l’horreur de la mort, ils doivent se comporter en adultes. Ziad Medoukh, professeur de français et poète, témoigne.


Les habitants dormaient, ce 18 mars à l’aube, lorsque les forces d’occupation ont rompu une trêve fragile et régulièrement violée, en bombardant partout dans la bande de Gaza, provoquant, en quelques heures, la mort de 425 Palestiniens dont 175 enfants et 95 femmes. La situation est toujours dramatique et tragique pour les 2 millions de Palestiniens de Gaza horrifiés et effrayés. Rien ne semble changer même après l’entrée en vigueur de l’accord du cessez-le-feu il y a deux mois. Nous attendons toujours une solution politique.
L’armée israélienne ne s’est toujours pas vraiment retirée de l’ensemble des localités, notamment au centre et au sud de la bande de Gaza, alors qu’elle aurait dû procéder à un retrait. Elle a parfois mené des incursions et des bombardements provoquant des morts et des blessés.


Les passages sont complètement fermés depuis plus de trois semaines. Plus rien n’entre, sur ordre de l’armée d’occupation. Il n’y a pas d’eau potable ni de gaz, on doit cuisiner au bois, mais le bois est devenu presque introuvable. On ne peut pratiquement rien se procurer sur les marchés et les prix ont flambé. La vie quotidienne est donc toujours aussi dramatique pour la population de Gaza.

17 600 enfants assassinés depuis octobre 2023


Comme celle des femmes et des jeunes, la vie des enfants a profondément changé. Ils ont aujourd’hui un rôle différent de ce qu’il était dans la société palestinienne d’avant le 7 octobre. Ils sont profondément traumatisés et sous le choc de ce qu’ils ont vu et vécu. Ils souffrent au quotidien. Environ 17 600 enfants palestiniens de moins de 14 ans ont été assassinés depuis octobre 2023. Et 36 000 sont orphelins d’un ou de leurs deux parents.


Actuellement, 40 000 enfants souffrent de malnutrition. Les maisons n’ont plus de fenêtres, plus de porte. Il n’y a aucun moyen de chauffage. Pour les personnes déplacées qui vivent dans les tentes, la situation est pire encore. Quatorze enfants sont morts de froid entre janvier et mars 2025. Et 12 000 enfants malades auraient besoin de soins urgents à l’étranger. Malheureusement, beaucoup sont déjà morts à cause de la faillite du système de santé.


Parmi les 17 600 enfants assassinés pendant les dix-sept mois d’agression, on compte 250 nouveau-nés et 900 enfants de moins de 1 an. Ensuite, il y a eu les déplacements forcés et la situation humanitaire désastreuse dans les centres d’accueil ou sous des tentes déchirées et abîmées, dans le froid et la pluie. Les enfants ont été traumatisés, réveillés la nuit par les bruits des drones et des bombardements. Ils ont vu beaucoup de leurs parents ou d’autres membres de leur famille ainsi que leurs amis assassinés sous leurs yeux.


Entre octobre 2023 et octobre 2024, il n’y a pas eu de cours. C’est une année scolaire qui a été perdue. Au lieu d’aller à l’école ou de jouer devant leur maison ou dans leur quartier, les enfants étaient obligés de rester avec leur famille ou dans les centres d’accueil. Ces événements ont provoqué un changement de comportement et modifié leurs habitudes.

Privés d’école, de jeu, de nourriture, de médicaments, de soins


Les enfants ont dû accomplir de nouvelles tâches pour leur famille : tout d’abord, le matin, aller chercher de l’eau potable et de l’eau à usage domestique dans les citernes qui passent dans les quartiers une ou deux fois par semaine à la suite de la destruction des puits. Ensuite, accompagner leurs parents au marché pour trouver de la nourriture. Puis trouver du bois pour la cuisine. Enfin aller recharger les portables dans les lieux où se trouvent des panneaux solaires.


Les journées étaient difficiles pour les gamins. Ils n’avaient pas de loisirs et peu de temps pour jouer. Comment s’étonner dans ces conditions que, pendant cette période dramatique, les enfants soient devenus adultes et responsables ? Privés d’école, de jeu, de nourriture, de médicaments, de soins, ils ont été obligés de s’adapter et d’avoir un comportement responsable vis-à-vis de la famille. Leurs mères avaient besoin de leur aide.


Tous ces changements ont rendu les enfants plus rapidement adultes. J’ai remarqué personnellement des changements dans le comportement lors d’activités d’animation et de soutien psychologique pour les enfants avec les jeunes bénévoles.
Premièrement, ils sont devenus moins violents. On s’attendait à ce que les enfants traumatisés soient violents, ce ne fut pas le cas. C’est le résultat du travail des familles, du soutien des enseignants et des associations. Deuxième aspect positif, les enfants sont devenus sages et responsables. Ils ne font pas beaucoup de bruit pendant les cours. Ils sont disciplinés.


Troisième aspect positif : j’ai remarqué, dans les discussions que j’ai avec eux, que les enfants parlent moins de la mort, de l’assassinat de membres de famille, de la destruction de leur maison. Quand on fait des ateliers de dessin, aujourd’hui, ils dessinent l’espoir, ils dessinent la paix, les oliviers, la mer. Ils ont la nostalgie de la mer. Ils dessinent la vie qui reprend, la réouverture des restaurants dans leur quartier. Ils utilisent des couleurs claires alors qu’avant ils utilisaient beaucoup le noir et les couleurs foncées. On voit moins de chars, de blindés ou d’avions militaires et de morts. C’est un autre signe positif. Les enfants sont devenus adultes, ils ont pris conscience de leur rôle et de leurs responsabilités, ils sont moins violents et gardent l’espoir pour l’avenir.


Ces éléments montrent que le travail d’accompagnement, de soutien et de protection par la famille, l’école et les associations porte ses fruits. On peut dire qu’une grande partie des enfants commencent à surmonter leurs traumatismes profonds grâce à cela.
 

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