Des élus de gauche interdits d’entrer en Israël : toujours plus loin dans le black-out

Publié le par FSC

Mathieu Dejean
Médiapart du 22 avril 2025

 

 

Les autorités israéliennes ont refusé leurs visas d’entrée à vingt-sept parlementaires et élus locaux communistes, écologistes et de Génération·s emmenés par une association. Ils dénoncent un « délit d’opinion » et appellent le président de la République à réagir à cette « humiliation d’État ».
Ils sont vingt-sept et ils sont en colère. Mardi 22 avril, une délégation de cinq parlementaires – dont les ex-Insoumis Alexis Corbière et François Ruffin – et de vingt-deux maires et élus municipaux de gauche, qui devait se rendre en Israël et en Palestine du 20 au 24 avril, a tenu une conférence de presse au Centre international de culture populaire (CICP), à Paris (XIe arrondissement).


Quarante-huit heures avant leur départ sous l’égide de l’Association pour le jumelage entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises (AJPF), leurs visas, pourtant autorisés depuis un mois, ont été annulés sans explication par les autorités israéliennes. Le ministère de l’intérieur israélien a simplement confirmé l’information à l’AFP en invoquant une loi permettant d’interdire l’entrée du territoire à des personnes qui veulent « agir contre l’État d’Israël ».


« C’est du délit d’opinion », commente auprès de Mediapart Ali Rabeh, maire Génération·s de Trappes (Yvelines), dont le déplacement devait préfigurer un jumelage entre sa ville et le camp de réfugié·es palestinien·nes de Fawwar, près d’Hébron. « Avec le gouvernement fasciste israélien, soit vous êtes d’accord et on vous déroule le tapis rouge, comme ce fut le cas pour Jordan Bardella et Marion Maréchal, soit vous êtes en désaccord et vous ne passez pas », dénonce-t-il en référence à l’invitation en grande pompe des deux dirigeant·es d’extrême droite à une « conférence de lutte contre l’antisémitisme » au mois de mars.


Les interdictions d’entrée sur le territoire d’Israël pour des militant·es du droit international et de la paix ne sont en effet pas nouvelles. Mais la tendance n’a fait que s’accroître depuis le 7-Octobre. Rien qu’en 2025, après la délégation européenne interdite d’accès au territoire israélien en février, un journaliste de L’Humanité a été écarté par le gouvernement israélien en mars et deux députées travaillistes britanniques ont été empêchées d’accéder à Israël à leur arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv début avril.

Le silence du Quai d’Orsay


En 2017 déjà, sept responsables politiques français appartenant au Parti communiste français (PCF), à La France insoumise (LFI) et aux Verts n’avaient pas obtenu de visas afin de se rendre dans les territoires palestiniens pour un voyage d’étude, de rencontre et de soutien aux prisonniers politiques palestiniens, à l’initiative de l’AJPF – qui travaille sur la diplomatie des villes depuis trente-cinq ans. La maire communiste de Mitry-Mory (Seine-et-Marne), Charlotte Blandiot-Faride, qui préside l’AJPF, partage donc un amer sentiment de répétition, auquel s’ajoute une dose de gravité compte tenu du contexte.


« À côté du génocide à Gaza, les réfugiés vivent un enfer. Ils étaient déjà soumis à la colonisation, à l’occupation et à l’apartheid, mais ça s’est largement intensifié ces cinq derniers mois en parallèle de l’affaiblissement de l’Unrwa », explique-t-elle. L’agence onusienne d’assistance aux réfugié·es de Palestine, dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est a été bannie par deux lois votées par la Knesset et entrées en vigueur le 30 janvier. « Ce qui nous offusque, c’est que depuis cinq jours le gouvernement français est au courant, et on n’a aucune réaction de sa part alors que c’est une humiliation d’État », dénonce la maire.


L’ambassade d’Israël en France a pour sa part rapidement réagi à travers un communiqué erroné le 21 avril. Elle justifiait l’interdiction en prétextant d’une part qu’il s’agissait d’une délégation de l’Association France Palestine solidarité (AFPS) – or c’est bien l’AJPF qui organisait ce déplacement –, et d’autre part en incriminant cette association de « liens connus avec des organisations terroristes et de soutien au terrorisme ».
L’ambassade cite des ONG de défense des droits humains palestiniens classées comme « organisations terroristes » en 2021 par le gouvernement israélien – une initiative désapprouvée par les partenaires européens d’Israël. Jointe par Mediapart, la présidente de l’AFPS, Anne Tuaillon, s’étonne que son association soit citée et s’inscrit en faux contre ces allégations et contre la qualification de « terroristes » pour ces ONG : « Prétendre que l’AFPS soutient le terrorisme est totalement diffamatoire et révoltant », dit-elle.


En 2017, le Quai d’Orsay avait réagi très mollement à l’interdiction d’entrée sur le territoire israélien des sept parlementaires (« Nous souhaitons que les parlementaires français aient accès à l’ensemble des interlocuteurs qu’ils veulent rencontrer pour remplir leur mission d’information. Nous y sommes attentifs s’agissant d’Israël comme de tous les pays où les élus français se rendent », commentait-il).
En 2025, le silence prime. Selon des sources diplomatiques françaises jointes par Mediapart, la décision des autorités israéliennes est « regrettable » : « Des messages ont été passés à l’ambassadeur d’Israël en France afin de marquer notre préoccupation et notre désapprobation face à cette décision », nous précise-t-on.
La délégation interdite en appelle aussi à la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, à laquelle un courrier devait être envoyé mardi soir, comme à son homologue du Sénat, Gérard Larcher, et au président de la République lui-même, qui s’est récemment engagé à reconnaître l’État palestinien. « On demande à ces institutions de sortir du silence et de sortir de l’ambiguïté après dix-huit mois où un peuple se fait écraser et où la politique tortille », a déclaré François Ruffin lors de la conférence de presse.
Les vingt-sept élu·es devaient rencontrer le consulat français à Jérusalem, rencontrer des familles d’otages, le mouvement Standing Together (qui réunit Juifs israéliens et Palestiniens d’Israël), la députée communiste à la Knesset Aida Touma-Sliman, et visiter trois camps de réfugié·es palestinien·nes. « La bataille militaire engagée est aussi une bataille de récits, entre d’un côté le récit du gouvernement israélien, qui veut effacer les voix, les noms, les visages des Palestiniens, et le nôtre, qui veut les porter avec force et vigueur. Nous interdire d’y aller, c’est interdire tout œil extérieur », développe le député de la Somme, qui rappelle qu’un tiers des journalistes tués dans le monde en 2024 l’a été à Gaza.


La volonté de black-out est d’autant plus patente, de la part des autorités israéliennes, que de nombreux voyages en Israël tous frais payés pour des parlementaires français sont organisés par le lobby pro-israélien Elnet, en particulier depuis le 7-Octobre. Des député·es, majoritairement du parti Les Républicains (LR) et macronistes, en ont profité. « De notre côté, on ne nous a jamais proposé d’y aller dans ces conditions, on connaît notre position », raille la députée communiste Soumya Bourouaha, secrétaire du groupe d’amitié France-Palestine.


Dans une lettre qu’elle leur a fait parvenir après l’annonce de leur interdiction – publiée dans le Club de Mediapart –, la députée à la Knesset Aida Touma-Sliman déclare : « La décision d’Israël de vous interdire l’entrée sur son territoire est à la fois scandaleuse et prévisible. Parallèlement à la guerre génocidaire à Gaza, nous avons assisté en Israël, au cours des dix-huit derniers mois, à une rapide descente vers la dictature et le fascisme. » Elle poursuit : « En tant qu’élus de gauche, engagés en faveur des droits humains et de la paix, vous représentez une menace pour ce régime. C’est pourquoi l’entrée vous a été refusée. Ceux que le gouvernement Nétanyahou rejette doivent certainement être parmi les plus honnêtes. Considérez cela comme une marque d’honneur. »
Elle-même avait été exclue de la Knesset pour avoir dénoncé les exactions de l’armée israélienne en 2023.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article