« Harvard n’abdiquera pas son indépendance » : comment l’une des plus prestigieuses facs des États-Unis refuse le diktat de Donald Trump
Christophe Deroubaix
L'Humanité du 15 avril 2025
Face au refus de la direction d’Harvard d’appliquer sa chasse aux sorcières, Donald Trump a gelé plus de deux milliards de dollars de subventions fédérales.© Sophie Park / The New York Times |
Dans sa chasse aux idées et aux militants pro-Palestiniens, le président nationaliste a gelé plus de 2 milliards de dollars de subventions fédérales à la prestigieuse université qui entend préserver sa liberté académique.
Si Columbia a rapidement hissé le drapeau blanc face à l’offensive de l’administration Trump, Harvard a décidé d’ériger une barricade. La direction de l’université créée en 1636 a refusé d’appliquer les desiderata de l’hôte de la Maison-Blanche qui a, en représailles, aussitôt décrété le gel de 2,2 milliards de dollars (1,94 milliard d’euros) de subventions fédérales.
Depuis son retour au pouvoir, le président nationaliste entend mettre au pas les grandes universités qui sont autant de foyers de contestation de la guerre menée à Gaza et du soutien infaillible de Washington. C’est au nom de la lutte contre l’antisémitisme que Trump veut obliger les directions à réprimer le mouvement pro-Palestiniens et mettre fin à la liberté académique, en imposant un enseignement unilatéral de l’histoire du Moyen-Orient.
Le campus menacé par un « audit » des opinions
Première ciblée, l’université Columbia, à New York, qui avait connu la plus forte mobilisation au printemps 2024, a capitulé. Harvard, également membre de l’Ivy League, le cercle très fermé des plus prestigieuses universités privées de la côte est, a donc refusé le chantage. Dans une lettre adressée aux étudiants et aux enseignants, le président, Alan Garber, a assuré qu’Harvard « n’abdiquera pas son indépendance ni ses droits garantis par la Constitution ».
« Aucun gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, ne doit dicter aux universités privées ce qu’elles doivent enseigner, qui elles peuvent enrôler et embaucher, ni sur quelles matières elles peuvent mener des recherches », écrit-il encore. L’administration Trump avait notamment exigé d’Harvard un « audit » des opinions des étudiants et des enseignants.
Un « flicage » politique auquel l’institution a répondu dans une lettre signée par ses avocats : « Harvard n’est pas prête à accepter des exigences qui vont au-delà de l’autorité légitime de cette administration ou d’aucune autre » et s’inscrivent « en contradiction avec le premier amendement » (qui garantit la liberté d’expression).
« Organiser une opposition coordonnée à ces attaques antidémocratiques »
La direction avait pourtant cédé du terrain au début de la seconde présidence Trump en faisant appel à un cabinet de lobbying ayant des liens étroits avec le président et en procédant à l’éviction des dirigeants de la faculté du Centre d’études du Moyen-Orient. Le mois dernier, plus de 800 membres du corps enseignant ont signé une lettre exhortant l’université à « organiser une opposition coordonnée à ces attaques antidémocratiques ».
Plus récemment, un ancien étudiant avait encouragé les directions d’universités à ne pas laisser piétiner leurs droits fondamentaux. Son nom a plus de poids que celui de tous les anciens « alumni » : Barack Obama.
La Maison-Blanche accompagne son assaut sur la liberté académique d’une répression des militants pro-Palestiniens les plus en vue. En début de semaine, Mohsen Mahdawi, né dans un camp de réfugiés palestiniens en Cisjordanie occupée par Israël, a été arrêté par la police de l’immigration dans un bureau où il était venu passer un entretien en vue de sa naturalisation. Il avait cofondé un groupe d’étudiants palestiniens au sein de l’université Columbia avec Mahmoud Khalil, que l’administration Trump tente d’expulser depuis son arrestation le 8 mars.