Vencorex, un scandale d’État

Publié le par FSC

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 par Yann Euler et Boris Tarcey

Jeudi 10 avril 2025, le tribunal de commerce de Lyon a rendu son verdict au terme d’une longue procédure. Les salariés de Vencorex sont désormais fixés sur leur sort. Et il est sombre.

En l’état du jugement, l’entreprise sera démembrée. Des 450 salariés, le nouveau repreneur n’en gardera qu’une petite trentaine. Des cinq grandes activités de Vencorex, seule une sera conservée, sacrifiant la fabrication de nombreux produits hautement stratégiques pour la Nation. Conséquences prévisibles : ce sont entre 5 000 et 6 000 emplois qualifiés dépendant directement de Vencorex à travers ses fournisseurs et des clients qui sont appelés à disparaître. La Vallée de la Chimie en Isère risque d’être bientôt un désert de friches industrielles polluées.

Il aurait cependant pu en être tout autrement, si l’État ne s’était pas dès le début opposé à la recherche d’alternatives hors des sentiers battus et si le patronat n’avait pas déserté le développement industriel national. Dès le début, repoussant la demande de la CGT et des élus locaux de nationalisation temporaire, l’État s’est opposé à la poursuite de cette activité, au profit de la seule intention de reprise déposée par un groupe chinois.

Constatant l’incurie de l’État et du patronat français, les salariés ont fait le « travail » à la place des décideurs économiques, et cela avec une très grande efficacité. Bilan des courses : la reprise intégrale de Vencorex était possible, économiquement viable, et même quasi intégralement financée par des capitaux privés (banques et investisseurs). Il n’a manqué aux porteurs de projet que quelques jours et un soutien public (même symbolique) pour faire une offre formellement acceptable aux yeux du tribunal de commerce, reconnaissant d’ailleurs la plus grande crédibilité de l’offre des salariés que de celle — minimaliste — du groupe chinois.

Vencorex, ou l’histoire de travailleurs se battant pour les emplois et la souveraineté industrielle du pays

Mais revenons un instant en arrière. De quoi Vencorex est-elle le nom et aurait-elle vraiment pu être sauvée ? On connaît la formule de Lionel Jospin « l’État ne peut pas tout », mais là, en l’occurrence, l’État ne pouvait-il vraiment rien ?

Située à Pont-de-Claix en Isère, Vencorex est une usine de transformation des sels de la mine de Jarrie dont elle est le seul client. À partir de ces sels, l’entreprise produit notamment des composants indispensables au nucléaire civil et militaire, au lancement de la fusée Ariane et de nos satellites, au traitement de l’eau… Ce sont 130 millions d’Européens qui ont une eau potable au robinet grâce aux produits de Vencorex. On ne parle pas vraiment de sels de table ici. On parle de composants hautement stratégiques, techniques, nécessitant un savoir-faire unique au monde, reposant sur des brevets précieux. En ce temps de guerre commerciale tous azimuts, l’État aurait dû tout faire pour qu’elle reste en France sous pavillon français.

C’est pourquoi les salariés, la CGT de Vencorex et la fédération nationale des industries chimiques de la CGT (FNIC-CGT) ont porté la revendication d’une nationalisation, au moins temporaire, de l’entreprise. Cette demande a été vite relayée par le Parti communiste français, puis par une proposition de loi déposée le 18 février par les groupes PCF, Verts, LFI, PS et LIOT. En vain. L’État a refusé, trouvant la somme trop importante. Selon l’ancienne direction de Vencorex, c’est en effet 300 millions d’euros de financement qui sont nécessaires dans les 10 prochaines années pour que l’entreprise persiste, une somme à mettre en regard avec le milliard d’euros des coûts de dépollution.

Loin de se laisser abattre, les salariés de Vencorex, avec la CGT de l’entreprise et la FNIC-CGT, ont pris leurs responsabilités et monté un projet de reprise en coopérative. Avec leurs experts et avocats ainsi que le soutien de camarades d’autres fédérations, les salariés constitués en porteurs de projet ont pris leur téléphone et entrepris, avec succès, de renégocier le prix de l’énergie de l’usine ainsi que les contrats commerciaux avec les sous-traitants et les clients du groupe. Bref, ils ont fait ce que la direction du groupe disait être impossible. En renégociant les contrats, ils ont prouvé que l’activité pouvait redémarrer avec 120 millions d’euros d’ici 2033. C’est une division par plus de deux par rapport à ce que l’ancienne direction estimait nécessaire ! Il faut dire que l’avantage d’une coopérative est de se débarrasser d’une partie du coût du capital, celui que le groupe exigeait de la société qu’il ponctionnait massivement.

Les salariés de Vencorex ont donc prouvé que le coût du capital n’est pas qu’un mythe ou une notion théorique. C’est un levier pour rendre viables des activités économiques. Et entendons-nous bien par ce qu’on entend par viable ici. On parle bien d’être viable dans le capitalisme face à des concurrents capitalistes bien armés.

Dans leur projet, les salariés proposaient à l’État et aux collectivités territoriales d’entrer au capital pour s’assurer qu’entre les salariés et la puissance publique, les acteurs intéressés par le long terme (ou censés l’être) soient majoritaires. Si les collectivités territoriales ont répondu présentes, les quantités de capitaux qu’elles étaient en mesure d’apporter ne suffisaient pas sans l’État qui a ici raté une seconde opportunité d’assurer la pérennité de l’activité. Et cela sans porter tout le risque, loin s’en faut : un certain nombre d’acteurs de la filière soutenaient commercialement le projet, un consortium de banques françaises s’était engagé à financer l’endettement nécessaire de la future société (avec lettre d’intention à l’appui) et même un grand investisseur industriel indien était prêt à entrer au capital pour financer les besoins en investissements (là encore, avec lettre d’intention à l’appui et courrier bancaire). Tout ce petit monde réuni grâce à la seule action des salariés organisés porteurs du projet.

Vencorex, ou l’histoire d’une bourgeoisie et d’un État dégénéré

L’État a-t-il saisi la main ? Non. Tout juste s’est-il contenté de promettre oralement « un euro de prêt public pour un euro apporté par le privé ».

Qu’à cela ne tienne, les salariés ont retroussé leurs manches et obtenu des promesses de financement du privé. Affaiblis par l’absence de l’État, ils ont su trouver un industriel indien, signe que le projet de la CGT était solide et sérieux.

Avec un engagement proche de 100 millions d’acteurs privés (industriel indien + pool bancaire) et un engagement de l’État « 1 € d’argent public pour 1 € d’argent privé », cela semblait bien parti. Le projet pouvait même se passer de l’argent public ! Las, le tribunal a estimé qu’un simple « engagement » ne suffisait pas face à l’offre, minimaliste mais ferme, des Chinois. Il ne manquait pas grand-chose, quelques jours supplémentaires tout au plus demandés au tribunal par les porteurs de projet pour contractualiser le plan de financement. Si l’État avait maintenu ses engagements et avait mobilisé une avance de trésorerie en gage (via la BPI), même minime, cela aurait suffi.

Honteux, Marc Ferracci, le ministre de l’Industrie, indiquait que l’investissement d’argent public se ferait si le plan d’affaires était viable : or, le business plan des porteurs de projet a toujours été nié par le Sinistre de l’industrie. Pourtant, ce dernier a été validé par des banques, des investisseurs, des cabinets de conseils — dont certains patronaux — avec un modèle d’affaires performant de retour à l’équilibre en un an. Bien loin donc de celui réalisé par les anciens patrons de Vencorex, défaitiste et capitulard, incapables de renégocier les contrats commerciaux et d’électricité, et les contrats intragroupes, sources d’importants frais internes.

Alors, Marc Ferracci a-t-il simplement oublié de lire la note qu’un de ses collaborateurs lui a faite ? A-t-il oublié les retours de son directeur de cabinet régulièrement en contact avec les porteurs de projet ? A-t-il décidé qu’il était impensable que la CGT puisse mieux compter et négocier que des patrons ? Est-il incapable de réfléchir en dehors des schémas de pensée préconstruits par l’administration française ? Est-il tout simplement dégénéré ? Incompétent ou déterminé à prouver que tout projet alternatif est par définition impossible ?

Dans tous les cas, par son incurie et/ou son aveuglement idéologique, le ministre de l’Industrie est apparu pour ce qu’il est : le ministre de l’Inconséquence et du Grand bradage de l’industrie française. Car l’offre retenue est celle de Borsodchem, la filiale hongroise du groupe chinois Wanhua, qui ne veut conserver qu’une activité mineure de Vencorex. Pour le reste, les entreprises et l’armée françaises iront s’approvisionner ailleurs, souvent hors d’Europe, et tant pis pour les risques en termes de souveraineté, pour les emplois et les savoir-faire. Car lorsqu’un pays ferme ses usines, c’est tout un écosystème qui tombe avec elles, y compris des effets d’expérience et de connaissance, qu’il est très dur de rattraper par la suite. Sans un revirement rapide, c’est toute notre industrie qui disparaîtra à terme, y compris celle où la France connaît encore aujourd’hui des avantages certains.

À ce jour, il n’est en outre pas certain que Borsodchem ait les autorisations de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement pour continuer l’activité ni de Bercy pour pouvoir procéder aux investissements. Or, si elle ne les obtient pas, elle pourra se retirer sans frais de l’opération, mais la procédure ne sera pas relancée. Vencorex sera donc liquidée et vendue par morceaux. Pour Borsodchem, c’est un peu « Face, je gagne, pile, vous perdez, car nous éliminons un concurrent. »

La bourgeoisie de SICAV a épuisé son rôle historique

Vencorex est un scandale d’État, car l’État a refusé de prendre ses responsabilités. Mis face à des faits solides prouvant que l’activité pouvait reprendre à moindres frais, l’État a refusé de prendre en compte ces nouveaux éléments qui avaient pourtant convaincu des banques françaises, des industriels étrangers conseillés par de grands cabinets étasuniens, bref pas vraiment des gens qu’on peut accuser d’amitié pour la CGT ou de cryptomarxisme. Des gens qui ne font pas dans la philanthropie y ont cru quand l’État a refusé de même discuter de cette analyse. On est bien loin de Lord Keynes (qu’on ne peut lui non plus accuser d’être un dangereux bolchevik) qui aimait répéter « Quand les faits changent, je change d’opinion ». Ici, c’est tout l’inverse. Peu importe les faits, ma décision est prise.

Ce que cela dit de l’état du capitalisme français est désastreux. Entre le patronat de Vencorex, incapable de renégocier les contrats que la CGT a su renégocier en quelques semaines, et l’État qui refuse de prendre la moindre responsabilité et préfère déposer des gerbes funéraires sur des friches industrielles, la bourgeoisie française est une bourgeoisie fainéante et décadente. Et comme les rois fainéants de l’ancien régime, ce sont d’autres acteurs qui profitent de cette dégénérescence complète. Ici les Étasuniens, là les Chinois.

Marx écrivait que la lutte des classes était le moteur de l’histoire, mais où est le moteur quand une des deux classes a renoncé au combat et préfère vivre de rentes de ses SICAV plutôt que de porter un projet industriel quelconque ? Il faut hausser le niveau. Il n’y a plus rien à obtenir de la bourgeoisie française et de son État, ni par la négociation ni par la lutte dans les cadres habituels. La bourgeoisie n’a plus de rôle, sinon purement parasitaire, et doit juste être annihilée en tant que classe. Les camarades de Vencorex ont montré une autre voie en s’affranchissant des règles et en innovant pour tenter de porter leur propre projet alternatif. Face à une bourgeoisie parasitaire et un État démissionnaire, c’est la voie qui doit désormais fleurir si on veut qu’il reste une industrie dans ce pays.

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