Reconnaître la Palestine n'est pas l'aboutissement mais le début d'un processus de paix
Par Avraham Burg, ancien président (1999-2003) de la Knesset, le Parlement israélien.
Tribune - L'Humanité du 30 mai 2025
La guerre d’octobre 2023 a révélé à la fois les maux persistants et les opportunités négligées d’un conflit qui refuse de s’arrêter. Malgré les efforts incessants des gouvernements israéliens de droite, la présence palestinienne ne peut être effacée. Murs élevés, points de contrôle, manœuvres diplomatiques, politiques de séparation et discours d’incitation à la violence et d’arrogance n’ont apporté ni sécurité ni paix entre le Jourdain et la Méditerranée. Le peuple palestinien est là pour rester et il exige ce que toute nation mérite : le droit à l’autodétermination. Du moins, ce même droit que revendique depuis longtemps le peuple juif.
Cet octobre noir a également brisé une illusion dangereuse : celle selon laquelle le conflit pouvait être géré indéfiniment sans être résolu. Il a toujours été un piège mortel, tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens.
Pendant des années, le premier ministre Netanyahou, avec le soutien actif de ses alliés étrangers, a cherché à écarter la question palestinienne de l’agenda d’Israël et de la région. Cette stratégie a désormais échoué. Que le Hamas ait voulu ou non agir ainsi, le résultat de son attaque brutale est clair : la question palestinienne est de nouveau au cœur des politiques régionales et mondiales. Et la nécessité de la résoudre n’a jamais été aussi urgente.
Soyons clairs : rien de ce qu’Israël a fait aux Palestiniens depuis des décennies ne peut justifier les crimes de guerre commis par le Hamas. Et rien de ce que le Hamas a fait aux Israéliens ne peut justifier l’ampleur catastrophique des représailles israéliennes à Gaza. Il s’agit de deux chaînes d’atrocités distinctes. Elles ne s’annulent pas et exigent toutes deux une responsabilité internationale.
De cette obscurité profonde, une vérité est devenue incontournable : l’approche traditionnelle de résolution du conflit israélo-palestinien a échoué. Sans un nouveau paradigme audacieux, les deux peuples sont condamnés à continuer de saigner indéfiniment. C’est dans ce contexte que l’initiative franco-saoudienne est si importante : elle renverse la situation et offre la possibilité de la remettre à zéro dans des conditions justes et réalistes.
Un nouveau paradigme
Depuis plus de trois décennies, depuis les accords d’Oslo, la promesse d’un État palestinien a été suspendue comme une carotte au bout d’un bâton – un mirage tentant toujours hors de portée. Chacun a compris le piège des promesses israéliennes : cela n’arriverait jamais. Les négociations sont devenues des exercices circulaires et sans espoir. Plus les Palestiniens cherchaient à obtenir un État, plus l’objectif s’éloignait. C’est devenu un outil dilatoire, et non diplomatique.
Aujourd’hui, sous la direction de la France – et dans une rare coopération avec l’Arabie saoudite –, une nouvelle approche émerge. Elle remet en question les anciens postulats et pourrait marquer un tournant historique : reconnaître un État palestinien non pas comme l’aboutissement d’un processus de paix, mais comme le point de départ nécessaire.
Octobre 2023 a sonné le glas. Il a révélé une vérité longtemps occultée : le statu quo est invivable. Un peuple vit sous occupation militaire, l’autre dans la peur constante des roquettes et du terrorisme. Ce n’est pas la stabilité. C’est une urgence permanente, et aucun fondement pour la paix. En juillet 2024, la Cour internationale de justice a statué que l’occupation israélienne de la Cisjordanie violait le droit international. Le président Emmanuel Macron en a pris acte et a compris les implications profondes : s’accrocher à des paradigmes défaillants ne fait qu’accroître le désespoir. Il est temps de changer de cap.
Le changement fondamental que représente la reconnaissance d’emblée d’un État palestinien n’est pas seulement diplomatique, il est moral. Il reconnaît que les deux parties ont droit à une dignité et à des droits égaux. De véritables négociations exigent une symétrie. Une partie ne peut être un État souverain tandis que l’autre est contrainte de quémander sa légitimité par des tests et des points de contrôle sans fin. Ce n’est pas de la diplomatie, c’est de la domination.
Avec la reconnaissance, les dirigeants palestiniens peuvent entamer des négociations non pas en tant que suppliants, mais en tant que partenaire souverain. Israël, de son côté, devra traiter avec un interlocuteur légitime. Il ne s’agit pas seulement d’une amélioration morale, mais d’une réinitialisation stratégique. Cela augmente les chances de discussions sérieuses et de véritables compromis.
La France se trouve à un tournant décisif. En approuvant cette initiative avec l’Arabie saoudite, elle pourrait devenir la première puissance occidentale à prendre l’initiative d’une reconnaissance fondée sur des principes. Macron a déjà laissé entendre qu’il était prêt. L’heure est aux actes, pas aux déclarations.
Lors de la réunion préparatoire de l’ONU en avril dernier, le message était sans ambiguïté : la conférence de juin doit produire des résultats. Au premier rang desquels : la reconnaissance officielle d’un État palestinien et le soutien à ses institutions civiles. Il s’agit d’un test de volonté et de sérieux.
Les critiques qualifient cette décision d’« unilatérale » qui sape Oslo. Mais les faits disent le contraire. Les accords d’Oslo, signés il y a plus de trente ans, étaient censés aboutir à un État palestinien en cinq ans. Au lieu de cela, le temps a passé, les promesses ont été rompues et l’Autorité palestinienne a été réduite à un sous-traitant de l’occupation. Pendant ce temps, Israël a poursuivi son unilatéralisme : expansion des colonies, renforcement du contrôle et progression progressive vers une annexion de facto.
Une autre objection – que la reconnaissance de l’État « récompenserait le terrorisme » – fausse la situation. Comme si l’occupation perpétuelle, l’expansion des colonies et l’exclusion politique avaient jamais produit la stabilité. Au contraire : la reconnaissance d’un État pourrait renforcer les voix palestiniennes modérées, leur conférer une légitimité et offrir une alternative pacifique à l’extrémisme. En réalité, le processus d’Oslo s’est transformé en piège. Les Palestiniens ont renoncé à la lutte armée et n’ont obtenu aucun État en retour, tandis que la droite israélienne a discrètement avancé son rêve d’un régime unique composé de citoyens juifs et de sujets palestiniens divisés par le droit et la terre.
La reconnaissance comme véritable point de départ
Pour briser le cycle du désespoir, il faut plus que des slogans : un changement structurel. L’initiative franco-saoudienne offre cette chance. Il s’agit d’une tentative sérieuse de tester si la paix est encore possible.
Les éléments fondamentaux de tout accord sont bien connus : les frontières de 1967 avec échanges de territoires, des solutions créatives et justes pour les réfugiés, une souveraineté partagée à Jérusalem et des garanties de sécurité pour les deux parties. Mais ces éléments ne pourront être abordés qu’une fois la symétrie politique fondamentale rétablie.
Une fois la question de l’État écartée, le véritable travail de négociation – sur la sécurité, les ressources, les liens économiques et le lien entre Gaza et la Cisjordanie – pourra enfin commencer. La reconnaissance de la Palestine par la France et d’autres pays enverrait un message clair et nécessaire : il existe un peuple palestinien, il a droit à l’autodétermination et il a sa place dans la communauté internationale. Parallèlement, elle contribuerait à effacer la tache qui pèse sur Israël, toujours le seul pays soutenu par l’Occident à maintenir une occupation totale, sans justification ni fin.
En juin, dans les couloirs de l’ONU, le monde sera confronté à un choix : continuer à s’accrocher à un processus qui a échoué ou donner une véritable chance à la paix. Si la solution à deux États a un avenir, il commence ici : par la reconnaissance. La reconnaissance non pas comme une récompense, mais comme la première condition d’une paix véritable.
L’heure est venue de faire preuve de courage. De réfléchir autrement. De relier l’initiative franco-saoudienne à l’initiative de paix arabe et aux accords d’Abraham. Et surtout, d’offrir aux deux peuples – israélien et palestinien – un véritable chemin vers la guérison, la dignité et une vie après la guerre