Dans les prisons israéliennes, la déshumanisation des Palestiniens comme système
Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin.
Tribune - L'Humanité du 04 juin 2025
Alors que le monde détourne les yeux, absorbé par les ruines fumantes de Gaza, une autre horreur se déploie dans l’ombre. Derrière les murs impénétrables des prisons et des camps militaires israéliens, une guerre invisible est menée contre les corps et les esprits des prisonniers palestiniens. Plus de 17 000 personnes ont été arrêtées. 1 360 enfants. 537 femmes. Des chiffres qui claquent comme une gifle, mais qui peinent encore à traduire l’ampleur du cauchemar.
Une détention sans droits, sans visages, sans justice
À l’abri des regards, plus de 600 Gazaouis ont été enlevés, arrachés à leurs familles, sans procès, sans chef d’accusation, sans avocat. Ils ont disparu. Littéralement. Transférés vers des camps militaires, ils sont effacés du monde. Le régime de détention administrative, cette fiction légale qui permet à Israël d’enfermer massivement sans motif ni limite, frappe aveuglément. En février 2024, l’ONU dénombrait 3 291 Palestiniens sous ce régime, dont des enfants et des femmes.
Comment accepter qu’en 2024, un État prétendant être une démocratie emprisonne massivement sans jugement ?
Des chambres de torture sous commandement officiel
Les récits sont insoutenables. Torture physique, électrocution, privation de sommeil, enfermement dans le noir, humiliations continues. Le camp militaire de Sde Teiman est devenu un symbole du sadisme institutionnalisé. Là-bas, des hommes sont battus, aveuglés, attachés comme du bétail. Certains racontent avoir été forcés à participer à leur propre “enterrement” — une simulation abjecte destinée à briser l’esprit.
Ce n’est pas une dérive. Ce n’est pas un abus. C’est un programme. Une politique. Un système. Un système colonial qui vise à broyer l’humain, à transformer l’opprimé en chiffre, en silence, en ombre.
Disparus : des centaines d’êtres humains volés à la lumière
Des centaines de prisonniers de Gaza ne sont même plus des noms. Ils ne sont plus rien. Pas d’accès pour la Croix-Rouge. Pas de nouvelles pour leurs familles. Pas même la certitude qu’ils sont encore en vie. Ce sont des disparitions forcées, telles que définies par le droit international. Mais qui s’en indigne ?
Combien de temps encore cette machine de l’oubli tournera-t-elle sans être arrêtée ?
L’État israélien ne s’en cache pas. Il s’en vante.
En décembre dernier, le ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a déclaré sans détour que les conditions de détention des Palestiniens devaient être « dures et dissuasives ». C’est dit. L’objectif n’est pas la justice, mais l’humiliation. La domination. La punition collective.
Et pendant ce temps, des gouvernements prétendument démocratiques continuent à fermer les yeux, à commercer, à coopérer, à désinformer, à justifier.
Quand le silence tue
Ne nous y trompons pas : ce n’est pas seulement un crime contre des prisonniers. C’est une attaque contre l’idée même de dignité humaine. C’est un signal clair envoyé au monde : on peut tout infliger à un peuple si l’on réussit à le déshumaniser assez.
Alors, que reste-t-il ? Une colère. Une colère que nous refusons d’éteindre. Une colère juste, lucide, qui exige des actes :
– Que le Comité international de la Croix-Rouge ait un accès immédiat aux lieux de détention.
– Que les responsables politiques et militaires soient visés par des sanctions ciblées.
– Que le Procureur de la Cour pénale internationale élargisse son enquête aux crimes commis dans les prisons israéliennes.
Ce n’est pas seulement une question de droit. C’est une question d’humanité. Et nous ne pouvons pas rester humains si nous nous taisons devant tant de cruauté.