Guerre Israël-Iran : derrière l’escalade, les secrets et les motivations de Benyamin Netanyahou
L'Humanité du 15 juin 2025
Au moins 128 personnes ont été tuées en Iran depuis le début des bombardements israéliens le 13 juin.© MEGHDAD MADADI / TASNIM NEWS / AFP |
En envoyant son aviation bombarder des sites nucléaires iraniens, Benyamin Netanyahou veut mettre à genoux Téhéran face à Washington et oblige Emmanuel Macron à reporter la conférence prévue à l’ONU sur la Palestine. La diplomatie américaine a servi de couverture à cette attaque qui pourrait déstabiliser la région.
Donald Trump et Benyamin Netanyahou ressemblent à ces bonimenteurs de foire qui grugent tout le monde en laissant penser qu’ils ne sont pas d’accord. Deux bateleurs qui se sont distribués les rôles pour parvenir à leurs fins. Le problème est que dans cette partie de poker menteur, la paix au Moyen-Orient et, plus largement, dans le monde est en jeu.
Outre une partie de l’état-major iranien et plusieurs scientifiques, au moins 128 personnes ont été tuées en Iran, dont des femmes et des enfants, et quelque 900 autres blessées, vendredi et samedi, lors des attaques israéliennes. La réplique iranienne a fait dix morts en Israël. « Nous nous défendons face à l’agression. Notre défense est tout à fait légitime », a déclaré dimanche 15 juin le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, devant des diplomates étrangers. « Si l’agression cesse, notre riposte cessera naturellement aussi », a-t-il assuré. Mais Israël ne cesse pas.
Depuis dix ans maintenant, les gouvernements successifs de Tel-Aviv ont fait de l’Iran leur bête noire, la mère de tous les maux. Mais qu’est-ce qui explique qu’aujourd’hui une guerre, la première engagée par Israël contre un autre État depuis 1973 et la guerre d’Octobre, ait été déclenchée ?
Des actions au sol s’étaient déjà déroulées dans le passé. Il s’agissait notamment du vol de documents confidentiel-défense, mais également de l’assassinat par le Mossad d’un scientifique impliqué dans le dossier nucléaire. De même, à l’automne dernier, des échanges de tirs de missiles et d’envois de drones avaient bien eu lieu entre les deux pays séparés de près de 2 000 km. Mais jamais Israël n’avait envoyé ainsi ses avions de chasse frapper plus de 200 cibles, contrairement à ce qu’il avait entrepris en Irak contre des installations nucléaires en 1981 et dans le nord de la Syrie en 2007.
Un jeu de dupes qui remonte à 2018
Cette attaque – toujours en cours – contre l’Iran ne doit rien au hasard et s’inscrit dans un plan beaucoup plus élaboré. Celui-ci vise à transformer l’ensemble de la région en un sanctuaire inscrit dans le cadre des intérêts états-uniens, avec Israël comme gardien. La guerre génocidaire contre Gaza, après les attaques monstrueuses du 7 octobre 2023 menées par le Hamas, a ouvert la voie à une annihilation des organisations (Hezbollah au Liban, Hamas en Palestine) et des États (Liban, Syrie) qui s’opposaient peu ou prou à cette mainmise régionale. Restait l’Iran, quoi qu’on puisse penser du régime en place.
C’est là que commence le jeu de dupes de Trump et Netanyahou. En 2018, le premier avait retiré la signature des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Il accompagnait son retrait du rétablissement de sanctions contre l’Iran. Pourtant, onze rapports de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) attestaient du respect par l’Iran de ses engagements. À la surprise générale, cette même administration Trump, de retour aux affaires, a repris le dialogue avec Téhéran. Au début du mois de juin 2025, un possible accord encadrant le programme nucléaire iranien garantissant que la République islamique ne pourrait se doter de l’arme atomique était évoqué. Quelques jours auparavant, interrogé pour savoir s’il avait dit à Netanyahou de ne pas cibler l’Iran, Trump répondait : « Eh bien, je voudrais être honnête. Oui, je l’ai fait. »
Il s’agissait en réalité d’une entente. Le 13 juin, Trump a révélé au New York Post : « J’ai toujours connu la date » de l’attaque israélienne. Le même jour, il déclarait à l’agence Reuters : « Nous savions tout. » Et sur ABC News, il jugeait cette action militaire unilatérale « excellente », ajoutant qu’« il y a encore plus à venir. Beaucoup plus ». Finalement, le très sérieux Wall Street Journal titrait : « Dans un revirement de situation, la diplomatie américaine a servi de couverture à une attaque surprise israélienne ».
Israël isolé sur la scène internationale
Les discussions se sont poursuivies entre les États-Unis et l’Iran, non sans difficultés, et les Iraniens devaient se prononcer sur les dernières propositions états-uniennes. Ce dimanche 15 juin, un sixième round de négociations était même prévu entre Téhéran et Washington. Deux jours auparavant, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avait qualifié la proposition américaine de « 100 % contraire » aux intérêts de son pays. Il était visiblement question de levée des sanctions mais également du programme nucléaire civil.
C’est là qu’entre en scène Netanyahou. S’en prendre à l’Iran revêt pour lui plusieurs avantages. Depuis sa rupture unilatérale du cessez-le-feu à Gaza, il est isolé sur la scène internationale. Son seul soutien réel provient des États-Unis. N’est-ce pas pour cela que l’aviation israélienne est entrée en action à ce moment précis ?
La question des sanctions a commencé à émerger (deux ministres d’extrême droite, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, sont directement touchés), celle de la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne également. Dans le monde et y compris en Israël même, les manifestations contre la guerre ont pris un nouvel élan, renforcé par les images terribles des Gazaouis tués chaque jour par les bombes et condamnés à la famine.
Et puis, surtout, Benyamin Netanyahou sentait bien qu’une chose impensable jusque-là était en train de se produire. La conférence de l’ONU sur la solution à deux États, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, allait aboutir à la reconnaissance officielle par Paris de l’État de Palestine et Riyad, malgré les pressions, refusait de normaliser ses relations avec Tel-Aviv, campant sur l’idée de 2002 d’une reconnaissance d’Israël par les pays arabes en échange de l’acceptation de l’établissement du nouvel État.
Vers une intervention étasunienne ?
Ces derniers jours, plusieurs diplomates européens avaient signalé à l’Humanité que « tout était possible et qu’il fallait s’attendre à des coups tordus de la part d’Israël » pour empêcher un tel événement. Après Paris, près d’une dizaine de pays membres de l’UE suivraient certainement. Or, pour le gouvernement israélien, il n’est pas question d’accepter un État de Palestine. Il fallait donc saborder l’initiative de l’Assemblée générale des Nations unies et la conférence qui devait s’ouvrir le 17 juin. Avec les attaques massives sur l’Iran, Netanyahou semble bien être parvenu à ses fins.
Donald Trump met maintenant en demeure l’Iran. Celui-ci « doit conclure un accord avant qu’il ne reste plus rien ». Il s’est dit dimanche « ouvert » à ce que le président russe, Vladimir Poutine, joue un rôle de médiateur dans le conflit. Il a aussi assuré qu’il n’y avait « pas de date butoir » pour que les Iraniens reviennent à la table des négociations, mais, a-t-il sans doute pensé, affaiblis au maximum. Il a ainsi déclaré dimanche sur ABC qu’il « est possible » que les États-Unis s’impliquent dans le conflit.
On peut néanmoins se demander quelle finalité recherchent les États-Unis et Israël, dont le mantra des dirigeants relève du mensonge public. N’est-ce pas la destruction totale du régime iranien qu’ils envisagent ? Interrogé dimanche sur Fox News, Benyamin Netanyahou n’a pas caché qu’un changement de régime en Iran pourrait être le résultat des attaques militaires israéliennes. Par ailleurs, Donald Trump aurait opposé son veto à un projet israélien visant à tuer le guide suprême iranien, Ali Khamenei, ces derniers jours, selon Reuters qui cite deux responsables américains.
La droite iranienne en exil, notamment les nostalgiques du chah, s’agite beaucoup, alors que les progressistes s’inquiètent. « Il ne faut pas oublier que le fait d’entraîner l’Iran dans des conflits militaires destructeurs pourrait avoir des conséquences désastreuses et durables pour notre patrie et le mouvement populaire, retardant de plusieurs années la lutte pour la liberté et la fin de la dictature », souligne le parti Toudeh (communiste).
Pendant ce temps, le massacre se poursuit à Gaza
Vendredi après-midi, Emmanuel Macron a annoncé que la conférence à l’ONU, qui devait s’ouvrir la semaine prochaine à New York, sur la solution à deux États au conflit israélo-palestinien était reportée. « J’ai dit ma détermination à reconnaître l’État de Palestine, elle est entière et c’est une décision souveraine », a-t-il précisé.
Mais quand le fera-t-il, alors qu’il vient de se porter au secours de Netanyahou en affirmant une fois de plus qu’Israël avait le droit de se défendre et que l’Iran, pourtant agressé, porte « une lourde responsabilité dans la déstabilisation de toute la région » ?
De la même manière, si l’on ne peut que souscrire à l’idée d’un Iran empêché de détenir l’arme nucléaire, comme l’a répété le chef de l’État français, cette préoccupation devrait concerner l’ensemble de la région – voire le monde entier –, ce qui doit inclure Israël, puissance nucléaire non déclarée.
Pendant ce temps, la guerre se poursuit à Gaza, avec son lot de dizaines de morts quotidiens. La possibilité d’un nouveau cessez-le-feu semble s’éloigner toujours plus, loin des caméras du monde entier.