« Ils rentraient avec des matraques » : un cheminot CGT arrêté par l’armée égyptienne avant de rejoindre la « Marche mondiale vers Gaza »
L'Humanité du 13 juin 2025
Alors qu’il tentait de rejoindre la « Marche mondiale vers Gaza », Samy Charifi Alaoui, secrétaire général CGT des Cheminots de Paris-Est, a été arrêté par les autorités égyptiennes. Le militant syndical dénonce une détention inhumaine et des violences physiques.
Quatorze heures de détention, privation de nourriture et violences physiques. Voilà comment s’est terminé le séjour égyptien de Samy Charifi Alaoui, secrétaire général CGT des Cheminots de Paris-Est, expulsé manu militari du Caire ce jeudi 12 juin après avoir passé la nuit dans un centre de rétention. Le militant syndical était sur place pour participer à la « Marche mondiale vers Gaza », une initiative qui devait rassembler 6 000 activistes venus du monde entier pour parcourir 50 kilomètres à pied vers l’enclave palestinienne.
Engagé pour la défense du peuple palestinien depuis plus de vingt ans et membre de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), Samy Charifi Alaoui n’a pas hésité longtemps à rejoindre le projet. « J’en ai entendu parler sur les réseaux sociaux, je me suis renseigné et quand j’ai vu qu’il s’agissait d’une marche pacifique pour transporter de l’aide humanitaire, ma décision était prise. » Le pilier de la CGT Cheminot tente de mobiliser d’autres personnes autour de lui et prend la responsabilité de représenter son secteur jusqu’aux portes de Gaza.
Depuis plusieurs semaines, les militants s’agrègent et s’organisent sur les réseaux sociaux. Dans des groupes privés, la logistique du voyage se met en place au fil des messages : obtention de visas, réservations d’hôtels, listes de matériels à emporter… rien n’est laissé au hasard. Une véritable entraide se met en place chez les quelque 500 volontaires français. « Les gens étaient très motivés, il y avait aussi beaucoup de questions, de craintes parfois. Ça a été l’occasion de créer des liens forts », raconte Samy Charifi Alaoui.
Conditions insalubres
Pour le cheminot, le programme est bien ficelé. L’arrivée est prévue le 11 juin dans la soirée, à peine plus d’un jour avant le grand départ. Le 13 juin au matin, des bus sont affrétés pour couvrir les 450 kilomètres séparant Le Caire de la ville d’El-Ariche dans le Sinaï, point de départ de la marche d’environ 50 kilomètres vers le poste-frontière de Rafah. Sauf que rien ne va se passer comme prévu.
À peine sorti de l’avion reliant Paris à la capitale égyptienne, Samy Charifi Alaoui est rapidement stoppé par les forces de l’ordre. « Dès le premier contrôle, on me demande ce que je viens faire là et d’où est ce que je viens. Quand je finis par évoquer mes origines marocaines, on me met sur le côté instantanément. » Arrivés au même moment sur le territoire égyptien, de très nombreux « marcheurs » subissent rapidement le même sort. « Les autorités avaient déjà arrêté des camarades dans leurs hôtels, ils étaient vigilants. À l’aéroport, on était nombreux à avoir des sacs de couchage, ça a pu leur mettre la puce à l’oreille. » S’ensuit alors une longue nuit d’interrogatoires et de détention.
Baladé de salles en salles dans l’aéroport du Caire, le militant syndical réécoute en boucle les mêmes questions sur ses motivations, ses origines, son hôtel… Après plus d’une heure d’attente, il voit son téléphone portable et son passeport confisqués avant d’être dirigé vers un centre de rétention, enfermé avec de nombreux activistes. « On nous a entassés à 100 dans une pièce immonde. Il y avait seulement six lits, des toilettes insalubres, les conditions étaient assez inhumaines. »
Retenus durant toute la nuit, les militants sont même alertés sur les repas payants, proposés par les militaires égyptiens. « On nous avait prévenus qu’ils pouvaient mettre des choses dangereuses dedans, raconte le syndicaliste. Un peu plus tard, on a appris que quelqu’un avait reçu une assiette avec des clous. » L’eau aussi doit être commandée et payée. Temps d’attente : environ deux heures.
« Je ne lâcherai pas le combat »
Mais la maltraitance ne s’arrête pas là. À intervalles réguliers, des militaires font irruption dans la cellule, avec des méthodes plutôt musclées. « Ils rentraient en criant avec des matraques pour embarquer des militants, sans donner aucune explication, se rappelle Samy Charifi Alaoui. On est resté soudés. On mettait en place des chaînes humaines pour que personne ne soit exfiltré. » Il faut attendre la matinée pour que la situation se calme. Un par un, les militants sont appelés et escortés par une rangée de militaires pour être renvoyés dans leurs pays. Aux alentours de 11 heures, c’est au tour de Samy Charifi Alaoui, qui repart moins d’une journée après avoir quitté Paris.
Frustré, le militant ne compte pas s’arrêter là. « Ça n’a absolument pas affecté ma détermination. Ce n’est pas la première fois que je me rends dans la région et ce ne sera pas la dernière. Si un autre projet se lance, j’en ferai partie. Je ne lâcherai pas le combat. » Pour le militant syndical, la mobilisation pour les Gazaouis reste primordiale, y compris chez les syndicats. « Le syndicalisme dépasse largement la question du militantisme dans le travail. Il se doit d’être présent dès qu’on bafoue les droits des gens, de manière internationale. »
Ciblée de toute part, la « Marche mondiale vers Gaza » est aujourd’hui à l’arrêt. Ce vendredi 13 juin, plusieurs rassemblements ont été stoppés par les autorités égyptiennes au Caire et dans ses environs, alors que le convoi « Soumoud », réunissant des participants tunisiens, algériens, marocains et mauritaniens, a été arrêté en Libye, avant même d’atteindre l’Égypte. Quelques jours après le détournement de la Flottille de la Liberté, une autre initiative de soutien au peuple gazaoui subit la répression. Les militants espèrent encore obtenir une autorisation officielle, malgré les multiples arrestations.