« Je ne peux pas admettre qu’on tue des enfants » : face au génocide à Gaza, les Espagnols descendent massivement dans la rue pour exiger des sanctions contre Israël

Publié le par FSC

Luis Reygada
L'Humanité du 24 juin 2025

 

 

En Espagne, pas une semaine ne passe sans que des citoyens ne sortent manifester pour faire pression sur les socialistes au pouvoir dans le but d’obtenir la fin du génocide à Gaza.
La chaleur reste étouffante malgré l’heure tardive, mais pas de quoi décourager le demi-millier de personnes qui a répondu présent à l’appel national du Réseau solidaire contre l’occupation de la Palestine (Rescop). À l’ombre des grands platanes, à quelques pas de la six fois centenaire cathédrale Notre-Dame du Siège, l’aile est de la Plaza Nueva continue de se remplir : des personnes de tout âge réunies autour d’un énorme drapeau aux bandes noires, blanches, vertes et au triangle rouge, sous le regard discret des forces de police.


L’air est lourd, la température n’a pas baissé depuis midi, pas plus que la colère des messages sur les pancartes : « Netanyahou : criminel et assassin », « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide », « Les enfants de Gaza ne menacent personne ». Voilà de nombreux mois que Maria Isabel Brenes participe à ce type d’initiatives, « depuis que le massacre a commencé ». En Espagne, où Israël souffre du pire taux de popularité d’Europe et où le niveau de sympathie envers la Palestine est le plus élevé, elles sont incessantes. En ce mois de juin, près de 175 mobilisations ont été planifiées à travers tout le pays.

Une colère pacifique


« Nous sommes un pays très solidaire, et même si la droite et l’extrême droite sont très agressives, nous n’avons pas peur », affirme la cinquantenaire, femme de ménage dans un collège. « Au contraire, nous sommes fiers de soutenir cette cause, et nous n’avons rien d’antisémite : nous sommes pacifistes et antisionistes », dit-elle en regrettant que les récents affrontements entre l’Iran et Israël occultent la poursuite du « nettoyage ethnique en cours ».
Il est 20 heures, les cloches de l’emblématique Giralda se mettent à sonner et la clameur des premiers mots d’ordre, lancés par un mégaphone et repris par les manifestants, commence à s’élever. Soudain, le cortège s’ébranle et les consignes se mettent à résonner dans le cœur de la vieille ville : « L’Andalousie, avec la Palestine », « Que vive la lutte du peuple palestinien », « Où sont-elles, où sont-elles, les sanctions contre Israël ? ».


À l’avant, la banderole des organisateurs exige la « rupture immédiate des relations » entre Israël et l’Espagne, une autre « un cessez-le-feu ». Les familles sont nombreuses, les enfants sont bien présents. « Je suis maman, je ne peux pas admettre qu’une mère puisse perdre un enfant d’une manière aussi cruelle », exprime Maria Ruiz, employée à la télévision publique andalouse. La voix se coupe, les yeux rougissent.

« La rage que je ressens est trop forte »


Parler de la violence meurtrière des bombardements l’émeut jusqu’aux larmes, et si elle admet volontiers que c’est la première fois qu’elle sort manifester (« Mais je suis très active sur les réseaux sociaux »), elle promet que, dorénavant, elle participera à chaque rassemblement parce que « la rage que je ressens est vraiment trop forte ».
Rues Tetuan, Velazquez, Amor de Dios… Le cortège se dirige lentement vers le parc de l’Alameda de Hércules, à l’extrémité nord de la ville fortifiée. Une femme en chaise roulante drapée d’une bannière de la Palestine exprime son mécontentement à un couple de jeunes portant un écriteau s’en prenant au premier ministre, Pedro Sanchez. « N’importe quoi, ils ne se rendent pas compte que nous avons le meilleur gouvernement d’Europe sur la question palestinienne », s’exclame-t-elle.


« Je me considère proche de Sumar (coalition de partis de gauche – NDLR), mais il faut reconnaître que le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol – NDLR) fait un assez bon boulot », exprime un peu plus loin Mercedes Pérez, enseignante dans un lycée de l’est de Séville et membre d’une ONG de défense des droits humains. La pancarte qu’elle brandit demande : « Stop aux ventes d’armes à Israël ». « Moi, c’est plutôt Podemos, indique sa collègue Paloma, mais je ne soutiens pas leur position anti-Sanchez. Ce n’est pas constructif alors que nous tous (les militants à la gauche du PSOE – NDLR) avons en ce moment une opportunité en or en faisant partie de l’actuel gouvernement. Nous pouvons influer sur les socialistes, que ce soit sur les questions sociales ou sur la Palestine », assure-t-elle.

Appel à une mobilisation internationale


Derrière une grande banderole cernée du symbole de la faucille et du marteau, Luis Fernandez, le secrétaire du Parti communiste andalou, confirme. Que ce soit pour la reconnaissance de l’État palestinien, en matière de contrats avec l’industrie militaire israélienne ou pour la question des ports espagnols servant aux fins militaristes de Tel-Aviv, « il aurait été extrêmement difficile que le PSOE prenne des positions aussi fortes » sans le travail de pression de l’aile gauche au sein du gouvernement.


« D’une certaine façon, nous sommes le porte-parole de la société civile au sein du gouvernement, explique le communiste Francisco Sierra Caballero, élu d’Izquierda Unida représentant l’Andalousie au Congrès des députés, et à ce titre nous jouons un double rôle : d’un côté nous poussons pour que des mesures toujours plus décisives soient prises, et de l’autre nous restons très vigilants pour que l’exécutif respecte ses engagements. » Rupture des relations diplomatiques, sanctions économiques, poursuites judiciaires internationales contre le gouvernement de Netanyahou : l’élu liste les objectifs de son groupe parlementaire, Sumar. « Face à un génocide, il ne peut y avoir de demi-mesure. »


Le flot de manifestants, dont le nombre a quadruplé, se déverse enfin sur la promenade aux quatre colonnes, sa destination finale. Au pied des deux piliers orientés Nord, toutes et tous forment un grand rectangle pour laisser place à une performance collective symbolisant les plus de de 53.000 morts à Gaza depuis le 7 octobre. Vivement applaudie, tout comme la lecture du manifeste du Rescop par Rosario Granado, militante de la Plateforme locale de solidarité avec la Palestine. « La cruauté la plus inimaginable est infligée au peuple palestinien ; aucun chiffre ne suffit à refléter l’ampleur de la barbarie », lit-elle, avant de rappeler la puissance de la pression populaire.


« La mobilisation historique de la société civile organisée fonctionne, et c’est pourquoi nous devons l’intensifier », insiste la militante en énumérant une série de récents succès, de la suspension du jumelage entre Barcelone et Tel-Aviv à l’adoption par le Congrès d’une loi pour imposer un embargo direct sur les armes à Israël.
L’événement touche à sa fin ; Mercedes, l’enseignante, revient à la charge. Face à une communauté internationale qui n’agira pas d’elle-même, « la solution viendra de la société civile : nous pouvons mettre un terme au génocide en faisant pression sur nos gouvernements », tranche-t-elle. « Vous, les Français, vous êtes souvent cités en modèle à l’heure de se mobiliser, vos manifestations sont souvent spectaculaires. Ensemble montrons l’exemple à nos voisins ; l’heure est venue de descendre dans la rue pour sauver la Palestine. »

 

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