« Il y a une ligne imaginaire et quiconque la franchit meurt » : quand Israël utilise des drones commerciaux chargés de grenades pour vider Gaza

Publié le par FSC

Tom Demars-Granja
L'Humanité du 11 juillet 2025

 

Une enquête des médias indépendants + 972 Magazine et Local Call révèle l’usage de drones commerciaux, comme le drone EVO ci-dessus, par l’armée israélienne pour lâcher des grenades sur les civils palestiniens. © Leon Neal / PA Wire

 

Les médias indépendants + 972 Magazine et Local Call dévoilent, dans une enquête publiée jeudi 10 juillet, comment l’armée israélienne utilise une flotte de drones trouvables dans le commerce pour lâcher des grenades sur les civils palestiniens. Un moyen d’instituer la peur et de poursuivre le génocide à moindre coût.

À chaque nouvelle révélation de la presse, chaque rare témoignage ayant pu sortir de l’enfer qu’est devenu Gaza, l’évidence frappe : l’armée israélienne use de tous les moyens pour conduire sa guerre génocidaire. Du maintien d’un état de famine aux bombardements incessants, en passant par un blocus de l’aide humanitaire, la population palestinienne prise au piège dans l’enclave ravagée tente de survivre par ses seuls moyens.

Les médias indépendants + 972 Magazine et Local Call apportent une nouvelle pierre à la documentation du génocide : l’usage d’une flotte de drones commerciaux pour attaquer les zones de Gaza que l’armée cherche à dépeupler. Encore une fois, des civils meurent sous son feu, accusés d’être des terroristes et abandonnés à leur sort. « Il était clair qu’ils cherchaient à rentrer chez eux, cela ne faisait aucun doute, regrette S., un soldat israélien ayant accepté de témoigner anonymement. Aucun d’eux n’était armé, et rien n’a jamais été retrouvé près de leurs corps. Nous n’avons jamais tiré de coups de semonce. À aucun moment. »

Des drones destinés à la photographie
Selon les informations de + 972 Magazine et Local Call, étayées par les témoignages de sept soldats et officiers ayant servi dans la bande de Gaza, ces drones sont manœuvrés manuellement par les troupes au sol et fréquemment utilisés pour bombarder des civils palestiniens, y compris des enfants. Le seul but est de les forcer à quitter leurs foyers ou de les empêcher de retourner dans les zones évacuées. Ces drones, EVO, sont destinés à la photographie et coûtent environ 3 000 dollars (2 500 euros) sur des sites de revente, comme Amazon.

« Cependant, grâce à un accessoire militaire connu en interne sous le nom de « boule de fer », une grenade à main peut être fixée au drone et larguée au sol par simple pression sur un bouton, résument les deux médias, dirigés par des journalistes palestiniens et/ou israéliens. Aujourd’hui, la majorité des entreprises militaires israéliennes à Gaza utilisent ces drones. »

Or, à l’exception d’une personne trouvée armée d’un couteau et d’un seul affrontement avec des combattants armés, S. révèle que des dizaines d’autres Palestiniens tués – « en moyenne un par jour dans la zone de combat de son bataillon » – n’étaient pas armés. Les bombardements par drones commerciaux visent quiconque pénètre dans une zone que l’armée israélienne a estimée interdite aux Palestiniens. Un statut qui n’est jamais explicité sur le terrain. « Il y a eu de nombreux incidents de largage de grenades depuis des drones, raconte ainsi H., un soldat ayant servi dans la région de Nuseirat, dans le centre de Gaza. Visaient-elles des militants armés ? Certainement pas. »

« On s’attend à ce qu’ils le comprennent dans le sang »
Le soldat israélien assure que le moindre civil « est condamné à mort », même s’il n’a fait que marcher dans la rue. « Il y a une ligne imaginaire, et quiconque la franchit meurt, explique S. On s’attend à ce qu’ils le comprennent dans le sang, car il n’y a pas d’autre moyen. » Reem, une civile gazaouie âgée de 37 ans, se rappelle ainsi avoir dû fuir vers le sud après qu’un drone a tué ses voisins. « En mars, l’armée a fait voler des quadricoptères au-dessus de nous, diffusant des messages nous ordonnant d’évacuer, raconte-t-elle. Nous les avons vus larguer des explosifs sur des tentes pour les brûler. »

Yousef, 45 ans, a aussi dû s’échapper le 11 mai dernier, lorsque des drones commerciaux ont largué des explosifs « dans différentes zones de Jabalia pour forcer les habitants à fuir ». Le bombardement de grenades est aussi récurrent à proximité des centres d’aide humanitaire, révèlent + 972 Magazine et Local Call. Alors qu’il se rendait de Khan Younès à un centre de distribution d’aide près de Rafah, le 23 juin dernier, Mahmoud, 37 ans, a vu « un quadricoptère larguer une bombe sur un groupe de personnes ». À la fin : des dizaines de civils affamés ont été blessés.

Adultes comme enfants sont massacrés. « Un garçon est entré dans la zone. Il n’a rien fait, se rappelle S., qui a vécu la scène en direct. D’autres soldats ont affirmé l’avoir vu debout et parler à des gens. Et voilà ! Ils ont largué une grenade depuis un drone. » Des soldats ont aussi tenté de tuer un enfant qui essayait de s’échapper à vélo, ajoute-t-il.

Si leurs vies ne comptent pas pour Tel-Aviv, leur dignité une fois ces derniers morts non plus. L’armée israélienne n’a aucun remords à laisser les nombreux cadavres qui jalonnent les ruines à la merci des chiens errants. « On pouvait le voir sur les images du drone, révèle S. Je n’arrivais pas à me résoudre à regarder un chien dévorer un corps, mais d’autres autour de moi l’ont observé. » Les rares chiens ayant survécu, affamés et esseulés, ont appris à courir vers les zones où il y a des tirs ou des explosions. « Ils comprennent que cela signifie probablement qu’il y a un corps. »

Pilotables à l’aide de simples joysticks
Selon les soldats interrogés, « le principal avantage des drones commerciaux comme le modèle EVO fabriqué par Autel réside dans leur prix nettement inférieur à celui de leurs équivalents militaires ». Là où un modèle militaire, comme Elbit Hermes 450, coûte environ 2 millions de dollars par drone, les modèles commerciaux permettent une économie financière. De plus, ces derniers peuvent être facilement réarmés et sont pilotables à l’aide de simples joysticks, sans nécessiter l’approbation d’un centre de commandement d’attaque.

Ainsi, durant les premiers mois de la guerre, l’armée israélienne a pu compter sur le soutien matériel du grand public – principalement d’Israël et des États-Unis -, qui a multiplié les dons. « Outre la nourriture et le shampoing, les drones figuraient parmi les articles les plus demandés par les soldats. » Des campagnes de financement participatif ont même été lancées de façon indépendante.

« Notre entreprise a reçu environ 500 000 NIS (environ 128 500 euros, NDLR) de dons, que nous avons également utilisés pour acheter des drones », explique L., un soldat israélien interrogé dans le cadre de l’enquête. C., un autre soldat, se souvient avoir été invité à signer des lettres de remerciement aux États-Unis qui ont fait don de drones EVO à son bataillon. Un énième rappel que le génocide entrepris par l’armée israélienne l’est avec le soutien – passif ou actif – de nombreux pays occidentaux.


 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article