La flottille repart pour Gaza : « Nous voulons montrer l’inaction occidentale »
Mediapart.
Mathieu Dejean
Médiapart du 17 juillet 2025
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| Une personne tient un drapeau palestinien devant le navire de la flottille de la liberté « Handala » dans un port de Syracuse, en Sicile, le 13 juillet 2025. © Photo Giovanni Isolino / AFP |
La députée insoumise Gabrielle Cathala fait partie de l’équipage qui part pour Gaza, vendredi 18 juillet. Elle explique le but de cette nouvelle expédition, alors que l’Union européenne vient de refuser de rompre son accord d’association avec Israël.
La députée La France insoumise (LFI) Gabrielle Cathala a rejoint en milieu de semaine Gallipoli, dans le sud de l’Italie, d’où elle partira à bord du Handala vendredi 18 juillet, avec dix-sept autres passagers, dont l’eurodéputée insoumise Emma Fourreau et Chris Smalls, à l’origine du tout premier syndicat chez Amazon, pour tenter de briser le blocus humanitaire à Gaza.
Comme le Madleen, dont l’interpellation par l’armée israélienne avait déclenché une nouvelle vague de mobilisations en France, le navire transportera de l’aide en quantité symbolique (lait infantile, produits médicaux, nourriture…), le but étant de visibiliser le génocide en cours. Son nom fait référence à un personnage de fiction créé par le dessinateur palestinien Naji al-Ali.
Il représente un petit garçon de 10 ans, en haillons, toujours de dos. « Il ne se retournera que si un jour la Palestine est libre et si le peuple palestinien a réellement un État indépendant. C’est un symbole qui illustre la souffrance et la détresse des enfants palestiniens et la négation de leurs droits », explique Gabrielle Cathala.
L’interpellation de l’équipage du « Madleen » et sa détention en Israël avaient suscité un sursaut de mobilisation en France pour soutenir la Palestine. Qu’espérez-vous de cette nouvelle expédition ?
Nous avons le même but que le Madleen, qui est de briser le blocus humanitaire de Gaza, en particulier pour les enfants. Plus de 1 million d’enfants sont en situation de famine actuellement dans la bande de Gaza. L’ONU a démontré l’année dernière qu’en quatre mois, autant d’enfants avaient été assassinés en Palestine qu’en quatre ans dans le reste des conflits mondiaux. Des milliers de mères n’ont pas accès à leurs droits élémentaires. Le lait infantile est bloqué par l’armée israélienne. Il y a une pénurie énorme à Gaza.
Le but est aussi plus généralement d’attirer l’attention sur le génocide et de permettre que les crimes de masse en cours en Palestine soient toujours aussi visibles pendant l’été. Enfin, nous voulons montrer l’inaction occidentale. Il faut maintenir la pression, à l’heure où l’Union européenne (UE) a décidé, mardi [15 juillet – ndlr] de ne pas suspendre son accord d’association avec Israël et de ne prononcer aucune sanction.
Comment réagissez-vous à l’inaction du conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, qui s’est contenté le 15 juillet d’un accord avec Israël sans garantie sur l’aide humanitaire à Gaza ?
Mi-juin, un rapport de l’UE montrait que l’article 2 de cet accord sur les droits humains était violé. Un certain nombre de mesures auraient pu être prises, à savoir un embargo sur les armes, un embargo sur les produits créés dans les colonies illégales en Cisjordanie, des sanctions économiques à l’égard d’Israël, la suspension de partenariats Erasmus avec les universités…
Mais l’UE a décidé de ne prendre aucune mesure de sanction et de croire Israël sur parole sur la livraison d’aide humanitaire. Israël a promis que 160 camions par jour pourraient entrer à Gaza, alors qu’il y en avait plus de 500 par jour avant le 7-Octobre, et c’était déjà nettement insuffisant. L’UE se rend donc complice du génocide en décidant de ne rien faire. Elle contribue à maintenir plus de 2 millions de personnes dans une situation de famine à Gaza, où les massacres continuent.
La France n’a pas davantage l’intention de prendre des sanctions à son niveau, et Emmanuel Macron ne participera pas à la conférence de New York qui doit se tenir fin juillet, éloignant encore l’horizon d’une reconnaissance de l’État de Palestine par la France… Pensez-vous que votre action peut néanmoins peser ?
Oui. Le Madleen a réussi à faire bien plus en moins de quinze jours que les gouvernements européens depuis vingt et un mois. La France est inaudible. Elle se réfugie sans cesse derrière l’Union européenne mais elle aurait pu décréter seule un embargo sur les armes, convoquer une réunion du conseil de sécurité pour prendre des sanctions à l’égard d’Israël, mettre en place un pont humanitaire aérien, refuser d’importer des produits qui viennent de colonies israéliennes illégales.
Elle pourrait prendre toute sa part dans l’évacuation de blessés gazaouis. Elle pourrait aussi reconnaître, bien sûr, l’État palestinien, ce qui est attendu depuis plus de vingt ans maintenant. Mais elle ne le fait pas. Cela illustre notre relégation sur le plan international et le fait que deux régimes d’extrême droite, les États-Unis et Israël, peuvent soumettre à leur volonté le reste du monde. C’est cela qui est effrayant. Le génocide à Gaza montre jusqu’où peut aller l’impérialisme américain.
La gauche s’est retrouvée assez isolée à l’Assemblée, avec le groupe Liot, pour défendre des sanctions économiques et diplomatiques contre Israël. Vous serez deux représentantes de LFI sur cette nouvelle flottille. Pourquoi la mobilisation pour la Palestine ne s’élargit-elle pas plus au niveau politique ?
Je crois qu’il y a eu un élargissement politique. Alors que nous étions moqués et avant tout insultés et traités d’antisémites depuis le 7 octobre 2023, de nombreux députés et partis politiques ont rejoint nos positions. Ce que nous avons demandé depuis le début, c’était le cessez-le-feu immédiat, la livraison d’une aide humanitaire adéquate, la fin des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, la reconnaissance de l’État palestinien, la libération des otages et des prisonniers palestiniens détenus arbitrairement, pendant que certains continuaient à relayer la propagande israélienne, et cette expression qui n’a aucun sens en droit international du « droit d’Israël à se défendre ».
Mais surtout, nos positions sont largement populaires. Une majorité de Français est pour mettre en place des sanctions, pour reconnaître l’État de Palestine, pour suspendre l’accord entre l’UE et Israël. Pour nous, il est hors de question d’intégrer l’idée que nous sommes seuls sur ce sujet, parce que ce n’est pas le cas. Le combat pour l’autodétermination du peuple palestinien est celui où convergent toutes les luttes pour l’émancipation, toutes les luttes anticoloniales et antiracistes.
Par avance, que répondez-vous aux attaques qui ne manqueront pas, dans le style « la croisière s’amuse » ?
Il est évident que nous allons avoir le droit, de la part des mêmes éditorialistes et sur les mêmes chaînes qui appartiennent à M. Bolloré, à « la croisière Instagram », « la croisière TikTok » et « la croisière s’amuse ». Mais la seule croisière qui s’amuse est celle constituée par les plus fortunés qui partent en vacances sans penser à tous les peuples qui sont opprimés pendant que d’autres, comme nous, prennent de leur temps pour faire cette action qui est utile pour tous. Une action non violente, pacifique, saluée par les Palestiniens qui souffrent et qui attendent que les peuples se substituent à leurs gouvernements qui ne font rien.
Le « Madleen » était un petit bateau, qui aurait pu couler en cas d’attaque par drone. Le « Handala » est-il mieux protégé de telles attaques ?
Le Handala est aussi un tout petit bateau. C’est un ancien chalutier et il est évident que, comme le Madleen, il est très vulnérable. Tout le monde pourra le suivre à l’aide d’un GPS. Nous communiquerons toutes les informations relatives à notre avancée vers Gaza. Deux journalistes d’Al Jazeera seront avec nous. Nous espérons que la pression internationale sera maximale, car c’est ce qui garantit la sécurité de cette flottille, comme c’est cette pression internationale qui a garanti la sécurité du Madleen, que ce soit avant le kidnapping illégal de ses passagers, ou après, quand ils ont été placés en détention totalement arbitraire par les services israéliens.
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L’entretien a été réalisé par téléphone le 16 juillet. Gabrielle Cathala l’a relu mais n’y a apporté aucune modification substantielle.
