« Notre moyen de communication, c’est la fusillade » : quand les soldats israéliens témoignent de la guerre à Gaza
L'Humanité du 30 juin 2025
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Dans le quotidien israélien « Haaretz », des soldats témoignent des massacres commis contre les civils à Gaza. © Doaa Albaz / Anadolu / AFP |
Le quotidien Haaretz a publié des témoignages de soldats israéliens qui décrivent le comportement de l’armée près des zones de distribution de nourriture. L’un d’entre eux évoque le nombre de tués chaque jour dans la bande de Gaza.
Dans la bande de Gaza, l’horreur n’a plus de limites. Le quotidien israélien Haaretz vient de publier un très long article à partir de témoignages des réservistes qui se sont trouvés sur place en opération. « Des conversations avec des officiers et des soldats révèlent que les commandants ont ordonné aux troupes de tirer sur la foule pour la chasser ou la disperser, même s’il était clair qu’elle ne représentait aucune menace », écrit le journal.
Depuis la fin mai, une organisation américano-israélienne, la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), a été chargée par Tel-Aviv (qui considère l’ONU comme une entité ennemie) de gérer la distribution de nourriture aux Gazaouis.
Des distributions limitées – c’est au bon vouloir des Israéliens – dans quatre lieux (trois au sud et un au centre du territoire), qui n’ouvrent que pendant une heure, ce qui force les Palestiniens à se déplacer dans des zones contrôlées par l’ennemi avec des supplétifs locaux, collaborateurs connus pour être des voleurs, la milice Abou Shabab. Le danger est donc déjà important pour les populations civiles qui, en manque de nourriture, marchent vers ces centres alors que le jour n’est pas encore levé.
Des possibles crimes de guerre
« C’est un champ de bataille, a déclaré un soldat à Haaretz. Là où j’étais posté, entre une et cinq personnes étaient tuées chaque jour. Elles sont traitées comme des forces hostiles : pas de mesures de contrôle des foules, pas de gaz lacrymogènes ; juste des tirs à balles réelles avec tout ce qu’il est possible d’imaginer : mitrailleuses lourdes, lance-grenades, mortiers. Puis, une fois le centre ouvert, les tirs cessent et ils savent qu’ils peuvent approcher. Notre moyen de communication, c’est la fusillade. » Le soldat ajoute : « Nous ouvrons le feu tôt le matin si quelqu’un tente de rejoindre la ligne à quelques centaines de mètres, et parfois nous le chargeons à bout portant. Mais il n’y a aucun danger pour les forces. »
Il affirme ne pas avoir eu « connaissance d’un seul cas de riposte. Il n’y a ni ennemi ni arme ». Il a également précisé que l’opération menée dans sa zone de service est appelée opération « Poisson salé », du nom de la version israélienne du jeu pour enfants Feu rouge, feu vert. Bien évidemment, aucune image n’a été diffusée, l’armée se gardant bien d’offrir les preuves de ce que vivent ces soldats, et surtout de ce que subissent les Palestiniens.
Parmi les témoignages recueillis, celui qui suit est particulièrement glaçant. « La nuit, nous ouvrons le feu pour signaler à la population qu’il s’agit d’une zone de combat et qu’il est interdit de s’en approcher », explique le militaire. « Une fois, les mortiers ont cessé de tirer et nous avons vu des gens commencer à s’approcher. Nous avons donc repris le feu pour leur signifier clairement qu’ils n’avaient pas le droit d’approcher. Finalement, un obus a touché un groupe de personnes. »
Comme si ce n’était pas suffisant, l’armée israélienne ajoute une touche de torture psychologique. « Plus tôt ce mois-ci, nous avons été informés qu’un message annonçant l’ouverture du centre dans l’après-midi avait été diffusé, et les gens se sont présentés tôt le matin pour être les premiers dans la file d’attente. Comme ils étaient arrivés trop tôt, la distribution a été annulée ce jour-là. »
Le général Yehuda Vach aurait ordonné plusieurs massacres
Selon Haaretz, un nom revient souvent, celui du général de brigade Yehuda Vach, commandant la division 252. Le quotidien avait déjà décrit la façon dont cet officier de haut rang avait transformé ce qu’on appelle le couloir de Netzarim (au centre de la bande) en une route mortelle et était soupçonné d’avoir ordonné la destruction d’un hôpital à Gaza sans autorisation.
La semaine dernière, des soldats de la division 252 « ont ouvert le feu à un carrefour où des civils attendaient des camions d’aide. Un commandant sur le terrain a donné l’ordre de tirer directement au centre du carrefour, causant la mort de huit civils, dont des adolescents. L’incident a été porté à l’attention du chef du commandement Sud, le général de division Yaniv Asor, mais jusqu’à présent, hormis une enquête préliminaire », aucune mesure n’a été prise.
Preuve de déshumanisation totale, un des réservistes, mobilisé une nouvelle fois dans le nord du territoire palestinien, estime que « Gaza n’intéresse plus personne. C’est devenu un endroit avec ses propres règles. La perte de vies humaines ne signifie rien. Ce n’est même pas un ”incident malheureux”, comme on disait autrefois ». Selon le ministère de la Santé de Gaza, 549 personnes ont été tuées près des centres d’aide et dans les zones où les habitants attendaient des camions de nourriture de l’ONU depuis le 27 mai. Plus de 4 000 personnes ont été blessées.