À l’ONU, la Palestine devance Netanyahou

Publié le par FSC


Christophe Deroubaix
L'Humanité du 25 septembre 2025

 

Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, dont la délégation s'est vu refuser les visas pour assister à l'événement, s'adresse à l'Assemblée générale des Nations unies (ONU) par vidéo lors de la 80e session annuelle, le 25 septembre 2025, à New York.© SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

 

Privé de visa par Donald Trump, Mahmoud Abbas a livré, ce jeudi, un plaidoyer pour la reconnaissance d’un État et la fin du génocide, face à une Assemblée générale solidaire. Avec, pour dernier soutien, le président états-unien, le premier ministre israélien prononcera son discours ce vendredi en toute impunité.
Le premier a quitté son pays à bord d’un avion qui a survolé sans turbulences diplomatiques de nombreux pays et montera, ce vendredi 26, à la tribune de l’ONU. Le second, privé de visa pour rejoindre New York, ne s’est adressé aux près de 200 pays représentés que par une vidéo préenregistrée.
L’image est vertigineuse : Benyamin Netanyahou, accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre dans la bande de Gaza, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), sera comme chez lui au cœur de la maison des nations tandis que Mahmoud Abbas, le représentant légal du peuple soumis à une guerre génocidaire, est de fait assigné à résidence.
Mais elle est aussi, en partie, trompeuse. Depuis l’ouverture de cette Assemblée générale de l’ONU, ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale a démontré son soutien indéfectible au droit des Palestiniens à l’autodétermination. Avec le ralliement de la France, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de sept autres pays, 158 des 193 États membres de l’ONU reconnaissent désormais l’État de Palestine.

Netanyahou à New York pour défendre sa guerre


Si Benyamin Netanyahou a tracé son chemin en toute impunité (la France avait même accordé une autorisation de survol du territoire national mais son avion a finalement emprunté une autre route), il se retrouvera face à un auditoire hostile. Il faut d’ailleurs s’attendre à la répétition de la scène, hautement symbolique, qui s’était déroulée lors de l’Assemblée générale, en 2024, avec le départ d’un grand nombre de représentants de pays.
C’est donc devant un parterre clairsemé que le premier ministre israélien, à la tête d’une coalition d’extrême droite, devrait dérouler un discours dont il a déjà délivré les éléments principaux. « À l’Assemblée générale, je dirai notre vérité – la vérité des citoyens d’Israël, la vérité des soldats (israéliens), la vérité de notre nation, a-t-il déclaré à l’aéroport Ben-Gourion, selon un communiqué de son bureau. Je dénoncerai ces dirigeants qui, au lieu de condamner les meurtriers, les violeurs, les brûleurs d’enfants, veulent leur accorder un État au cœur de la Terre d’Israël. »


Il répétera également que l’avènement d’un État palestinien « n’arrivera pas » et renouvellera ses attaques contre les pays qui ont récemment reconnu l’État de Palestine, une avancée diplomatique forte qu’il a déjà qualifiée de « capitulation honteuse de certains dirigeants face au terrorisme palestinien ».
La veille de son discours, Benyamin Netanyahou a rencontré, jeudi 25 septembre, Donald Trump à Washington. Pour la quatrième fois depuis le retour du républicain à la Maison-Blanche. La fréquence sans précédent de ces rendez-vous illustre l’entente parfaite des deux dirigeants. À la tribune de l’ONU, Donald Trump a d’ailleurs sommairement répété les éléments de langage du premier ministre israélien : la reconnaissance d’un État de Palestine constitue une « récompense » pour le Hamas ; ce dernier a le pouvoir d’arrêter la guerre en libérant tous les otages.


Si les États-Unis représentent l’ultime allié d’Israël, Donald Trump doit aussi veiller à une forme d’équilibre, au moins apparent, afin de ne pas écorner plus que nécessaire le « prestige » de son pays, voire affaiblir le système d’alliances, atout majeur face à la montée en puissance de la Chine. Après son discours aussi fleuve que glaçant, le président états-unien a ainsi rencontré un certain nombre de dirigeants de pays arabes et musulmans et leur a présenté, selon son émissaire Steve Witkoff, un « plan en 21 points pour la paix au Moyen-Orient et à Gaza ».
D’après le New York Times, il leur a également assuré qu’il ne permettrait pas l’annexion de la Cisjordanie, occupée depuis 1967. Les plus extrémistes de la coalition au pouvoir à Tel-Aviv – notamment les suprémacistes Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich – poussent Benyamin Netanyahou à décréter cette dernière, en « représailles » de l’élan diplomatique créé autour de l’État de Palestine. En fait, ce dernier n’est qu’un prétexte, l’objectif d’annexion étant inscrit dans la logique de négation du fait national palestinien.


Que ferait Donald Trump si l’annonce d’une annexion surgissait ? À plusieurs reprises, il a eu l’opportunité de limiter, voire d’arrêter cette guerre. Il n’a jamais mobilisé les moyens diplomatiques ou économiques à sa disposition, fournissant toujours à Tel-Aviv des armes en quantité suffisante pour poursuivre les massacres et son veto à toute résolution de l’ONU mettant en cause la politique de Benyamin Netanyahou. Ce nouveau plan et les « promesses » concernant la Cisjordanie ressemblent à une adaptation tactique au mouvement grandissant, dans le monde, de révulsion face au génocide en cours à Gaza et de revendication des droits des Palestiniens.

« Un crime qui restera dans la conscience humaine »


Une revendication au cœur du discours de Mahmoud Abbas, qui s’exprimait ce jeudi 25 septembre devant l’Assemblée générale. Dans un contexte forcément particulier, trois jours après la reconnaissance par plusieurs pays occidentaux, dont la France, de l’État de Palestine.
Discrédité au sein d’une partie de la population, surtout les jeunes, mais raffermi par cette vague de reconnaissance, qualifiée « d’espoir tant pour le peuple israélien que palestinien », qui fait que son pays est désormais reconnu par 80 % des États de la planète, Mahmoud Abbas reste incontournable. Sauf pour Israël et son allié états-unien donc, qui a justifié le refus de délivrer des visas par le fait que le président de l’Autorité palestinienne n’a pas eu de mots pour « répudier le terrorisme », ainsi que par « les campagnes de guérilla judiciaire » contre Israël devant les institutions internationales.
Un mensonge éhonté : à plusieurs reprises, Mahmoud Abbas a condamné les attaques terroristes du 7 octobre 2023 et appelé le Hamas à « déposer les armes ». Un message réitéré ce jeudi : « Malgré toutes les souffrances, nous rejetons les attaques du Hamas qui ont visé des Israéliens et ont débouché sur des prises d’otages. Cela ne reflète pas le combat des Palestiniens pour leur liberté. » Il a également rejeté tout « amalgame entre la solidarité pour la cause palestinienne et l’antisémitisme ».


Les souffrances de son peuple, Mahmoud Abbas les a exposées crûment : « Deux ans que la population de la bande de Gaza connaît une guerre génocidaire, livrée par les forces d’occupation israélienne, avec plus de 220 000 tués ou blessés, dont la majorité sont des femmes et des enfants innocents. Les forces d’occupation israéliennes ont créé une famine, ont détruit plus de 80 % des foyers, écoles, hôpitaux, églises et mosquées. Israël commet non pas une simple agression mais un crime contre l’humanité avéré et documenté qui restera dans la conscience humaine. »
Il a également évoqué « la Cisjordanie et Jérusalem-Est, notre capitale, où le gouvernement extrémiste israélien continue de mettre en œuvre sa politique de colonie de peuplement. Le terrorisme des colons se poursuit, sous la protection de l’armée d’occupation ». Très applaudi par un parterre nourri, il a tenu à replacer la situation actuelle dans un temps long, celui de « millions de déplacés depuis 1948, de toutes ces années d’occupation marquées par le meurtre, le vol des propriétés et de la terre. Des années de privation et de violation des droits du peuple palestinien et de sa souveraineté sur les terres occupées depuis 1967 ».


À presque 90 ans, Mahmoud Abbas sait que le futur de la Palestine s’écrira sans lui. Mais il l’envisage dans le cadre « d’un État de Palestine démocratique, moderne, affranchi de la violence, avec la primauté du droit et du multilatéralisme, avec une transition pacifique du pouvoir ». Une feuille de route adossée « au plan de paix entériné lors de la conférence du 22 septembre », sur lequel les Palestiniens sont « prêts à œuvrer auprès des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et des autres pays ».
Mahmoud Abbas a terminé son discours par une adresse « aux frères et sœurs de notre patrie », en forme de testament politique. « Quelle que soit l’intensité de notre peine, cela ne nous empêchera pas de nous battre pour vivre. La Palestine nous appartient, nous n’allons pas quitter nos terres et notre patrie, notre peuple restera enraciné comme l’olivier et solide comme le roc. » Des paroles qui continueront de résonner lorsque Benyamin Netanyahou entrera, ce vendredi, dans la salle de l’Assemblée générale.

 

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