face au gel des évacuations, un collectif se mobilise pour l'accueil en France de la poétesse gazaouie Alaa Al-Qatrawi
Lina Sankari
L'Humanité du 24 septembre 2025
| Le collectif drômois prépare le dossier d’évacuation de la poétesse gazaouie Alaa Al-Qatrawi auprès du Collège de France et des ministères français.© DR |
Un collectif drômois tente d'organiser l'évacuation de la poétesse gazaouie Alaa Al-Qatrawi dans le cadre du Programme PAUSE d’accueil des scientifiques et des artistes en exil, suspendu pour les ressortissants de l'enclave palestinienne. La France, qui vient de reconnaître l'Etat de Palestine, est mise face à ses contradictions. Le Conseil d'Etat, saisi par des associations, étudie jeudi 25 septembre la constitutionnalité du gel de l'accueil des Gazaouis par Paris.
L’élimination d’un peuple passe aussi par la destruction de son identité, de son avenir et de son geste créatif. Evoquer un Etat de Palestine sans parler des Palestiniens eux-mêmes a quelque chose de vertigineux. La France, qui a officiellement reconnu le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, ce 22 septembre, à la tribune des Nations Unis, gèle, depuis le 1er août, l’évacuation des ressortissants palestiniens qui subissent un génocide à Gaza.
En conséquence, les lauréats ou prétendants gazaouis au Programme PAUSE (Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil), piloté par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, sont suspendus au bon vouloir des autorités françaises.
Un collectif se mobilise pour faire venir Alaa Al-Qatrawi en France
C’est le cas de la poétesse Alaa Al-Qatrawi qui a perdu ses quatre enfants dans un bombardement de l’armée israélienne en décembre dernier. « Pour elle, la terre est désormais imprégnée du sang de ses enfants », témoigne Mathieu Yon, un maraîcher biologique de la Drôme qui, touché par ses textes, a entamé, il y a six mois, une correspondance avec l’autrice.
Il évoque ses poèmes auprès d’un groupe d’habitants de Dieulefit qui se réunit mensuellement pour évoquer l’impact de la guerre à Gaza en France. « Ses vers nous ont bouleversé aux larmes ». C’est à ce moment que l’idée de faire sortir Alaa Al-Qatrawi de l’enfer duquel elle est prisonnière prend corps.
Tout le mois d’août, le collectif de la Drôme s’active pour monter un dossier et le déposer au Collège de France chargé de l’instruire et d’obtenir la validation des ministères de la Culture, des Affaires étrangères et de l’Intérieur, « de loin le plus problématique », relève Mathieu Yon.
Pour lui, garantir des conditions d’accueil optimales lors de sa première année en France et l’aider à assurer son indépendance financière, le collectif a trouvé un logement, élaboré un projet artistique et professionnel (édition au Temps des cerises, performances autour de ses poèmes, lectures et post-doctorat) et prévu un salaire.
Reste à faire pression sur le ministère des Affaires étrangères pour qu’il autorise à nouveau l’évacuation des ressortissants de Gaza. Cette suspension fait suite à une polémique née de publications antisémites attribués à une étudiante gazaouie accueillie en France.
De Gaza à la France : un parcours semé d’embûches
« Ce qui me déchire le cœur en ce moment, c’est que la France parle de la Palestine sans entendre les Palestiniens. C’est une contradiction morale insoutenable et le gel de l’accueil des Gazaouis est peu évoqué par les responsables politiques, y compris à gauche », regrette Mathieu Yon.
Plusieurs collectifs du même type se sont montés en France. Cependant, poursuit Mathieu Yon, « la plupart font profil bas de peur que ça ne desserve les dossiers, d’exposer les requérants palestiniens voire d’exposer les militants à des représailles ».
Le groupe de Dieulefit et ses soutiens s’est symboliquement réuni ce 24 septembre devant le mémorial dédié à Aristide Briant et figurant la paix, installé le long du Quai d’Orsay. « La France, pays des droits de l’homme, terre d’asile et patrie des Lumières… (…) A quoi servent les grands principes si on les vide de leur substance ? », interroge à son tour Julie Yon, infirmière dans le civil.
Emue, la traductrice des poèmes d’Alaa Al-Qatrawi, Nada Ghosn dit son incompréhension face aux décisions de l’administration française « au moment où l’on sabre le champagne pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine ». Elle poursuit : « la France a bon dos de critiquer les Etats-Unis mais, dans les faits, elle coupe également les budgets de la recherche ».
Ce 25 septembre, le Conseil d’Etat doit se prononcer sur le gel des évacuations de Gaza après une requête de l’AFPS (Association France-Palestine solidarité), du Collectif des avocats France-Palestine, du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·es), de Nidal (Nouvelle initiative pour les droits et libertés), du SAF (Syndicat des avocats de France) et de l’UJFP (Union juive française pour la paix).
Les associations notent que, « dans un État de droit, l’action des autorités, même dans le domaine régalien, ne peut se soustraire aux conventions internationales et à la protection des droits humains ». « C’est une forme de sanctions contre le peuple palestinien alors qu’aucune sanction ne vise Israël », accuse Nada Ghosn.