« Les drones tirent sans interruption et des robots piégés explosent » : à Gaza, l'armée israélienne sème la mort et contraint les habitants à fuir sous les bombardements
L'Humanité du 18 septembre 2025
Alors que l’offensive terrestre israélienne a été lancée sur la ville de Gaza, des centaines de milliers d’habitants tente de se protéger comme ils le peuvent. Les abords de l’hôpital al-Quds, l’un des derniers en fonction, sont devenus un refuge.
Suaad Waheed, 37 ans, une habitante de Tal al-Hawa, n’a réussi à attraper qu’un petit sac de vêtements avant de fuir son appartement situé dans l’une des tours résidentielles de la rue Abraj. Vêtue de sa robe de prière fleurie, jetée à la hâte sur son pyjama avant de fuir, la femme serre ses enfants dans ses bras sous un soleil de plomb. Sa seule pensée : survivre maintenant, faire son deuil plus tard.
« Depuis une semaine, nous nous demandions sans cesse où aller. Nous avons appelé nos proches pour trouver refuge, mais en vain », confie-t-elle à l’Humanité, alors que les deux garçons et la fille aînée de 11 ans, s’occupent tant bien que mal, pas toujours rassurés.
L’exode des habitants de Tal al-Hawa sous les bombardements
« Mais la nuit dernière a été insupportable ; nous n’aurions jamais cru survivre. Les drones tiraient sans interruption et des robots piégés explosaient sans cesse dans les rues avoisinantes. À chaque moment, nous pensions que notre dernière heure était arrivée. Finalement, nous sommes partis sans savoir où aller. Mieux valait quitter l’endroit que risquer d’être réduits en bouillie », raconte-t-elle.
Comme Suaad, des centaines de familles se tiennent devant le portail de l’hôpital al-Quds, de Tal al-Hawa, un quartier situé dans le sud-ouest de la ville de Gaza. Elles ont avec elles leurs matelas, leurs baluchons et les quelques affaires qu’elles ont pu sauver.
Entassés sur les escaliers menant à l’entrée, ces Palestiniens épuisés s’appuient contre les murs ou restent assis en silence, regardant les colonnes de fumée s’élever des bâtiments touchés à proximité. D’autres ont déballé leurs cartons pour tenter de vendre quelques produits, surtout des biscuits.
Sous la pluie de bombes israéliennes, ces familles, dont beaucoup avaient déjà été déplacées à plusieurs reprises, ont fui une fois de plus, abandonnant maisons, tentes et écoles transformées en abris, sans destination précise.
Des tours résidentielles et des bâtiments importants démolis
Pendant quatre jours consécutifs, des dizaines d’entre elles ont dormi sur les marches de l’hôpital, tandis que l’armée israélienne intensifiait ses attaques : tirs d’artillerie, frappes aériennes, véhicules explosifs et tirs nourris d’hélicoptères et de quadricoptères, ces drones à quatre rotors particulièrement destructeurs.
Les robots piégés sont des véhicules israéliens télécommandés, chargés de dizaines de kilos d’explosifs et actionnés à l’intérieur des quartiers. Chaque explosion est suffisamment puissante pour détruire ou endommager gravement jusqu’à 20 maisons à la fois. Ils s’ajoutent aux frappes aériennes israéliennes incessantes sur les immeubles de grande hauteur abritant encore des dizaines de milliers d’habitants, dont des Palestiniens déplacés ayant déjà perdu leurs maisons lors d’attaques précédentes.
Ces deux dernières semaines, l’armée israélienne a poursuivi sa politique délibérée et annoncée avoir détruit des tours résidentielles de Gaza, ciblant certains des bâtiments les plus emblématiques et les plus anciens. Beaucoup existaient depuis des décennies et abritaient les bureaux et les sièges de plusieurs médias locaux et internationaux.
Aujourd’hui, Suaad et ses enfants se trouvent bloqués dans la rue, devant l’hôpital al-Quds. « Ce n’est pas seulement que je n’ai nulle part où aller », explique-t-elle.
« Même si j’avais un endroit, je n’en aurais pas les moyens. Je n’ai pas de tente, et les transports vers le centre ou le sud de la bande de Gaza coûtent plus cher que je ne pourrais jamais me le permettre. La seule option qui me reste est de me déplacer d’un abri à l’autre dans la ville de Gaza, d’un hôpital à une école, voire dans la rue. En réalité, ils nous poussent vers le sud avec leur puissance de feu, mais ils se moquent de savoir si nous pouvons réellement nous déplacer. »
Les tentes sont devenues un luxe inaccessible
Avec les restrictions imposées par Israël à l’entrée des tentes et des caravanes dans le territoire, les prix de celles disponibles sont devenus astronomiques : entre 670 euros et 940 euros. Aussi étrange que cela puisse paraître, il est encore possible de louer un camion pour transporter des biens de la ville de Gaza au centre de l’enclave.
Mais cela peut coûter jusqu’à 1 200 euros. Une somme inimaginable pour la plupart des familles qui ont déjà tout perdu. En conséquence, beaucoup ont dû fuir à pied, parcourant 15 à 20 kilomètres pour atteindre le centre ou le sud de Gaza.
Avec ses quelques affaires restantes attachées sur le dos, Abu Ahmed Sersawi, 42 ans, a avancé péniblement avec sa famille sur la longue marche de Tal al-Hawa à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza.
Il a ainsi parcouru environ 16 kilomètres le long de la route côtière, vaguement remise en état. Elle avait été dévastée par l’armée israélienne lors d’une précédente invasion, avant l’accord de cessez-le-feu de fin janvier.
Des abris insuffisants dans le chaos de Gaza
Épuisés, l’homme, sa femme et ses enfants ont finalement trouvé refuge près de la petite maison d’un ami. À proximité, il a installé une tente de fortune pour sa famille, au milieu du chaos.
« J’ai déjà été déplacé à Rafah, puis au camp de Maghazi, avant de retourner à Gaza après le cessez-le-feu de janvier. J’ai juré à ma famille que nous ne quitterions plus jamais la ville », assure-t-il à l’Humanité, miraculeusement joint par téléphone. « Mais les bombardements sont devenus si incessants que je me suis senti coupable de les mettre en danger. C’est alors que j’ai rompu ma promesse et décidé de quitter à nouveau Gaza. »
Le 9 septembre, l’armée israélienne a sommé les plus d’un million de résidents de la capitale de l’enclave palestinienne, qu’elle contrôle à 40 %, de fuir vers le sud et a envoyé des ordres d’évacuation aux habitants en larguant des tracts, les obligeant à se rendre dans une « zone humanitaire » désignée « al-Mawasi/Khan Younis ».
Celle-ci ne représente que 3 % du territoire de la bande de Gaza. Il y a quelques jours, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a annoncé le lancement d’une nouvelle opération militaire de grande envergure visant soi-disant à détruire le Hamas à Gaza. Mais, en réalité, même la zone dite humanitaire n’a pas été épargnée.
Les forces israéliennes ont pris pour cible à plusieurs reprises les Palestiniens déplacés, survivant dans des tentes de fortune, tuant et blessant des centaines de milliers de personnes au cours des vingt-trois derniers mois.
« Si cela ne tenait qu’à moi, je ne quitterais jamais la ville de Gaza », répète Abu Ahmed. « Il n’y a aucun endroit sûr dans la bande de Gaza. Je connais des gens qui ont évacué le sud et ont été tués quelques jours plus tard. Lorsque je suis arrivé à al-Mawasi/Khan Younis, je n’ai même pas trouvé d’endroit où planter une tente. C’est surpeuplé au-delà de tout entendement. Je ne sais pas comment les centaines de milliers de personnes encore présentes à Gaza vont pouvoir s’y réinstaller. Il n’y a tout simplement pas de place. »
La population de Gaza est coupée du monde
Environ 350 000 Palestiniens ont déjà fui la ville de Gaza vers le centre et le sud, mais on estime qu’il en reste 800 000 dans la ville, refusant ou ne pouvant pas se déplacer.
Israël a coupé les communications à Gaza à plusieurs reprises depuis le début de la guerre, notamment lors d’invasions terrestres et d’attaques majeures, isolant la population du monde extérieur. Mercredi, les Gazaouis ont subi un nouveau black-out total d’Internet après que les bombardements israéliens ont détruit des infrastructures et des immeubles abritant des antennes.
« J’arrive à peine à joindre mes proches qui sont encore à Gaza », dénonce Abu Ahmed. Le signal téléphonique est si faible qu’il doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour obtenir une communication. « C’est comme les premières semaines de ce génocide : les bombardements, les évacuations, les gens qui couraient dans les rues sans savoir où aller, et maintenant la coupure. Chaque fois que nous pensons que ce cauchemar va prendre fin, il recommence. »