« Demain encore, j’aurai dix check-points israéliens à traverser pour rentrer » : en Cisjordanie, le plan de Trump entérine l'occupation

Publié le par FSC

Charlie Deulme
L'Humanité du 05 octobre 2025

 

À Ramallah, en Cisjordanie, le 26 août 2025, des militaires israéliens après une opération dans les rues de la ville occupée.© Nidal Eshtayeh/XINHUA-REA

 

Malgré l’accord de principe du Hamas et les félicitations venues du monde entier, à al-Eizariya, les Palestiniens déplorent un accord aux contours flous, qui entérine l’intensification de l’occupation et de l’apartheid.


Devant les centaines de marmites métalliques qui s’entassent à l’entrée de son magasin de traiteur d’al-Eizariya, à l’est de Jérusalem, Ishaq peine à dissimuler sa colère. « De quelle paix parle-t-on quand, demain encore, j’aurai peut-être cinq, dix check-points israéliens à traverser pour rentrer chez moi, à Hébron ? » tonne-t-il. À quelques mètres de là, Mohamed lève les mains dans un geste de découragement : « Ce n’est pas un plan de paix, c’est une reddition décidée ailleurs et imposée ici », balaie-t-il.
Vendredi 3 octobre, le Hamas a partiellement accepté le plan de paix pour Gaza, proposé par le président américain Donald Trump. Si cette initiative a été saluée par la plupart des chancelleries étrangères, elle laisse un goût amer en Cisjordanie. À al-Eizariya, beaucoup déplorent qu’un aspect soit absent du processus censé apporter la paix à tout le Moyen-Orient : la colonisation israélienne rampante, qui écartèle la Cisjordanie.


Dans la rue principale, saturée de bruit d’avertisseurs et de poussière, le garage de Yahyia Abu Adi est menacé de destruction. À deux pas, les autorités israéliennes ont installé il y a deux semaines des barrières jaunes flambant neuves, afin de fermer l’entrée de la ville quand bon leur semble. Al-Eizariya est situé sur la périphérie du projet d’extension colonial E1, qui prévoit la construction de plus de 3 000 nouveaux logements.
Approuvé en août 2025, ce plan menace de couper la Cisjordanie de Jérusalem-Est, rendant illusoire la création d’un État palestinien continu. « J’ai reçu un ordre d’éviction le 7 août », décrit Yahyia en haussant les épaules. Sa famille, des Bédouins originaires du Néguev, a déjà été déplacée deux fois depuis 1948. « Mais je ne partirai pas, ici c’est chez moi », lance-t-il. S’il salue l’espoir d’une fin des bombardements à Gaza, il reste donc méfiant quant à la « paix » promise. « La paix, c’est la liberté pour mes enfants d’aller à l’école sans attendre des heures à un checkpoint, sans avoir peur de dire d’où ils viennent. Comme tous les enfants du monde », conclut-il.

« Quelle est l’autre option, continuer la guerre ? »


Khalil Abu Rish, le maire de la ville, partage la frustration de ses administrés. « Tout le monde veut la paix, mais une paix qui nous rende nos droits, pas une paix sous occupation », déplore-t-il. Pour l’édile, le plan est un mal nécessaire pour arrêter le bain de sang à Gaza : « Quelle est l’autre option, continuer la guerre ? » interroge-t-il. Khalil Abu Rish peine à distinguer un avenir pour le peuple palestinien dans l’accord proposé par les États-Unis. « L’État palestinien n’apparaît qu’à la dix-neuvième, voire dernière position, sur les vingt points », s’exclame-t-il.


La même amertume est partagée à Ramallah. « Il est important de mettre fin à cette guerre génocidaire, mais le plan ignore totalement les causes profondes du conflit : l’occupation et l’apartheid », assène Moustafa Barghouti, fondateur du Secours médical palestinien, à la tête de l’Initiative nationale palestinienne. Pour lui, le flou entretenu sur le calendrier et les modalités d’application du plan n’offre aucune garantie réelle d’exécution de la part de Benyamin Netanyahou, tandis que la formule de gouvernance envisagée pour Gaza reste, elle aussi, très vague.
Washington propose un « comité technocratique et apolitique » placé sous la supervision d’un « organe international de transition ». Pour beaucoup, cela revient à instaurer une tutelle étrangère sur l’enclave, définitivement séparée de la Cisjordanie – déjà morcelée – et à enterrer toute perspective d’un État palestinien viable.


« Pourquoi, cette fois, devrait-on lui faire confiance ? » s’interroge Samer Sinijlawani, pas vraiment d’accord avec son parti, le Fatah. Il fustige les manœuvres dilatoires dont est coutumier le gouvernement Netanyahou. Il rappelle le précédent du protocole d’Hébron de 1997, lorsque l’administration Netanyahou avait trouvé tous les prétextes possibles, des jours durant, à propos de la hauteur des trottoirs de la rue Shuhada, censée être rouverte aux Palestiniens, avant d’en interdire finalement l’accès quelques années plus tard. « De la même manière, Benyamin Netanyahou pourrait détruire lentement l’accord », redoute-t-il.
De là le sentiment de lassitude des Palestiniens qui observent de loin ce nouveau plan, présenté comme « historique » par Washington. « Ça fait dix, vingt ans que c’est la même histoire ! Et c’est maintenant que les Américains et les Français viennent faire semblant de s’intéresser à nous », s’emporte un commerçant d’al-Eizariya. « De toute façon, à la fin, ce sont toujours les Israéliens qui gagnent », balaie-t-il.

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