50° Congrès de la CGT : Réflexions autour de la seconde résolution
Cinq grands problèmes dans ce texte conduisent à se dire qu’il est impossible de voter pour et difficile de voter contre ! Sauf à voter contre tout ce qui manque… Signalons que la version courte de la résolution, celle qui sera votée, est elle carrément vide de substance.
1) Premier problème, qui se généralise depuis quelques années dans les documents de la CGT, l’utilisation d’un discours pseudo-intellectuel qui complique la lecture, embrouille les propos, floute les principes. Jusqu’à l’invention de concepts nouveaux qui n’apportent rien ; ni à la compréhension du mode de production capitaliste, ni à la lutte des classes, ni à la société future que la CGT conserve dans ses objectifs affichés.
Ainsi « la rémunération du capital a pris le pas sur la valorisation du travail ». Comme si c’était nouveau ! Comme si nos parents étaient mieux traités que les actionnaires de leur époque ! Comme si ce n’était là le moteur même de l’exploitation capitaliste que l’on n’ose plus franchement nommer !
Ainsi autour du « développement humain durable » les militants sont invités à investir « le travail » ? Si c’était dit pour se moquer des permanents syndicaux qui ont oublié l’usine ça serait drôle… Non c’est pour « promouvoir la démocratie sociale » ce qui suppose « des possibilités d’intervention dans la stratégie et la gestion des entreprises ».
Toutes ces approximations donnent pour de nombreux passages une possible double lecture : avec des lunettes rouges on pourrait encore y croire. Mais avec des lunettes roses les gages sont donnés au Medef d’un syndicalisme responsable. Comme quoi la bascule dans le syndicalisme d’accompagnement n’est toujours pas achevée dans la maison CGT. Mais s’il n’est pas clairement avouable il est bien en filigrane !
2) Deuxième problème. Si l’ensemble du texte relève correctement les reculs accumulés par les défaites successives subies par le monde du travail, il fait comme si tout allait bien, comme si nous allions accumuler dans les prochaines années de nouvelles victoires partielles et progressives. Ce faisant il ne répond pas au problème immédiat : comment on arrête la casse ! Et laisse les syndiqués désarmés. Comme si nous étions toujours dans les Trente Glorieuses, il est proposé de gagner « petit à petit, droit après droit ». Et pour qu’il soit bien clair que la direction est contre la grève générale il est précisé : « non pas une mais des négociations, non pas une mais des lois sociales ». D’ailleurs « la CGT mène depuis dix ans une bataille acharnée pour la défense et le développement des activités industrielles et de l’emploi » ! Les équipes syndicales abandonnées à elles mêmes cherchant à construire des convergences malgré l’inertie fédérale et confédérale apprécieront…
3) Découle ici un troisième problème : en énonçant des objectifs hélas parfaitement inaccessibles le texte accumule des revendications contradictoires entre elles. Et laisse les syndiqués sans boussole. Ainsi « nous revendiquons un socle commun de droits individuels transférables, garantis collectivement et opposables ». Bel et bon un renforcement du Code du Travail vers un statut unifié des travailleurs ! Mais alors comment les conventions collectives améliorent-elles encore la situation des salariés d’une branche ? Elles doivent se borner à apporter un « complément professionnel ». Sauf qu’en promettant un super mais inaccessible statut unique on va laisser liquider les conventions collectives qui améliorent aujourd’hui bien au-delà des « compléments professionnels » la situation sociale des salariés travaillant dans une branche où les luttes ont arraché des concessions aux patrons, aboutissant c’est vrai à des inégalités de statut entre branches d’activités. Des acquis (maladies, congés etc…) qui n’ont rien à voir avec le « professionnel » et que jusqu’ici nous considérions comme autant de points d’appui pour les branches les plus faibles. Alors qu’ici on est pas loin de dénoncer le corporatisme de quelquesuns…
On retrouve la même contradiction par exemple avec la place de la Sécurité sociale et celle des mutuelles.
4) Quatrième problème le texte verse dans l’angélisme d’un Etat providence qu’il faudrait restaurer. Comme si les politiques de l’Etat n’étaient dictées par les besoins des capitalistes que le gouvernement soit de droite ou de gauche! « Il faut réinventer et refonder l’Etat stratège » nous disent les nostalgiques du gaullisme ! « Il ne s’agit pas condamner toute aide aux entreprises » en oubliant qu’il s’agit d’aides aux capitalistes et non pas aux travailleurs…
5) Le dernier problème avec ce texte c’est évidemment ses manques. Son blanc sur la stratégie des luttes, le niveau des luttes nécessaires à atteindre pour pouvoir gagner sur les revendications posées. Et puis tout plein de petits oublis qui pourraient faire une liste à la Prévert : l’absence de dénonciation de l’annualisation et de la flexibilité sur les 35h. L’absence d’un nouveau palier indispensable vers les 30h au vu du chômage de masse et des progrès de la productivité. L’absence de référence à la durée de cotisation pour les retraites. L’absence d’un droit de véto des salariés parmi les « droits d’intervention ». Rien sur le nucléaire ni du point de vue écologique ni même du point de vue économique…
En conclusion une résolution qui contresigne le tournant « moderniste » de la direction confédérale. Alors disons que le programme revendicatif, comme la convergence des luttes contre les licenciements, nous le bâtirons nous-mêmes dans le feu des combats !
Jean-Yves Lesage, 93
Syndicat Général du Livre CGT (sglce-cgt)