Articles sur la formation des futurs enseignants
Bonjour,
Je vous transmets pour votre information une série d'articles sur la formation des futurs enseignants que le journal L'Humanité a publié le 6 avril dernier ainsi que 2 prises de position contre la mastérisation.
Patrice Leguérinais.
Enquête Formation des maîtres
Un recul grave de la formation
La réforme annoncée va-t-elle améliorer la formation des enseignants ?
Gilles Baillat. Il est clair que non. Les prochains enseignants affectés à la rentrée 2010 auront reçu moins de formation professionnelle qu’auparavant. Des stages leur ont été proposés cette année, mais comme ils ne comptaient pas pour le concours, peu d’étudiants en IUFM les ont réalisés. Dans mon académie, il y avait 1.300 stages disponibles. Seulement 348 étudiants ont fait acte de candidature. Au final, une grande majorité des 16 000 nouveaux enseignants en septembre 2010 arriveront devant les élèves sans avoir fait le moindre stage pratique. Les conséquences risquent d’être douloureuses et je m’attends à de vives réactions des parents d’élèves.
Et sur le long terme ?
Gilles Baillat. Les universités tentent aujourd’hui, tant bien que mal, d’élaborer des maquettes de « master enseignement » mais personne n’y croit sur le fond. Chacun sait que cette réforme devra être rapidement réaménagée. La « mastérisation » de la formation amène les étudiants à poursuivre trop d’objectifs à la fois. Ils doivent, en deux ans, obtenir leur master, préparer le concours de recrutement, faire des stages pour se former à la prise en main des classes, se préparer éventuellement à d’autres débouchés professionnels et, enfin, faire de la recherche ! Aucun autre master n’est confronté à ce trop-plein. De plus, beaucoup d’étudiants, obligés d’avoir des petits boulots pour payer leurs études, ne pourront pas faire face, ce qui risque d’aggraver la sélection sociale à l’entrée dans le métier d’enseignant.
Que suggérez-vous ?
Gilles Baillat. Nous demandons une autre place pour les concours et que les stages pratiques soient rendus obligatoires en master, avant de passer le concours. Il faut être sûr qu’aucun nouvel enseignant ne se retrouve en responsabilité sans jamais avoir vu d’élèves. Les stages étant facultatifs, beaucoup d’étudiants passeront le concours sans en avoir fait. Ils ne seront pas, non plus, obligés de suivre un des nouveaux masters « métiers de l’enseignement ». En clair : un étudiant en droit public pourra très bien se retrouver dans une maternelle sans jamais avoir vu d’enfant ! On ne voit ça dans aucun autre métier.
Que pensez-vous de la formation du professeur stagiaire ?
Gilles Baillat. Il n’y a aucun cadrage national fort et les situations varieront en fonction des moyens de chaque académie. Certains stagiaires auront un compagnonnage avec un maître formateur, d’autres avec un collègue « chevronné » ; certains iront en formation pendant deux semaines, d’autres pendant trois ou quatre… La dimension nationale du corps des enseignants est ici clairement remise en cause. Ce qui est proposé reste, par ailleurs, en deçà des promesses du décret du 28 juillet 2009. Il était prévu une formation des stagiaires équivalente à un tiers du service. On voit bien que cela ne sera pas le cas partout. Ce recul de la formation est grave car le métier d’enseignant est aujourd’hui plus complexe et exige, au contraire, de nouvelles compétences professionnelles, comme la prise en charge de publics très hétérogènes ou encore le renforcement du travail avec les parents et les partenaires de l’école. Manifestement, la réforme ne va pas dans ce sens.
Êtes-vous inquiet pour l’avenir des IUFM ?
Gilles Baillat. L’avenir même des IUFM ne me paraît pas menacé. Les universités ont besoin de nous. Je suis donc assez serein, même si les équipes pédagogiques dans les IUFM devront faire évoluer leurs pratiques. Cette réforme nous fait entrer dans une logique de diplômes : désormais, on délivre des masters et non plus des formations.
Entretien réalisé par Laurent Mouloud
http://www.humanite.fr/2010-04-06_Societe_Profs-la-mobilisation-s-intensifieProfs. la mobilisation s’intensifie
(1) www.100000voixpourlaformation.org.
Jeunes profs Cobayes de la réforme
Laura force un léger sourire. « Bien sûr, j’ai un peu d’angoisse, comme quelqu’un qui va être jeté dans l’océan sans bouée. On va nager, mais bon… » À vingt et un ans, cette jeune femme à l’allure sportive, titulaire d’une licence d’espagnol, prépare le concours de professeur des écoles. Si d’aventure elle le décroche en juin, Laura se retrouvera, dès septembre, affectée immédiatement dans une classe de la Seine-Saint-Denis. À temps plein et sans aucune formation professionnelle. Enfin presque. « Cette année, j’ai fait un stage d’observation d’une semaine en CP, au Blanc-Mesnil, et un autre en maternelle à Stains, précise-t-elle. Sinon, j’ai surtout révisé mon concours. On ne peut pas dire que je sois super bien préparée ! » Anomalie administrative ? Cas isolé ? Pas du tout. Laura sera, tout simplement, l’une des premières à essuyer les plâtres de la fameuse « mastérisation » – la réforme de la formation des enseignants. « Une sorte de cobaye », glisse-t-elle.
Ce texte, qui entrera en vigueur dès la rentrée 2010, tire un trait sur l’actuel apprentissage du métier d’enseignant. Jusqu’ici, les aspirants profs effectuaient, après au minimum une licence (bac+3), une première année en IUFM (institut universitaire de formation des maîtres) axée sur la préparation du concours de recrutement. En cas de réussite, le lauréat était alors rémunéré en tant que professeur stagiaire et effectuait une deuxième année en IUFM où il découvrait la pratique du métier, avec notamment trois mois accompagnés sur le terrain. Après la réforme ? Changement de décor : les futurs enseignants devront obtenir un master (bac+5) et passer le concours, avant d’être placés directement devant les élèves. La formation professionnelle ? Ces grands débutants la recevront au cours de cette première année d’enseignement. En même temps qu’ils digéreront le fonctionnement de l’école, la préparation des cours et la réalité d’une classe de trente élèves…
Cette perspective cabre depuis des mois l’ensemble de la communauté éducative, des profs aux parents (Voir pétition). Et inquiètent les milliers d’étudiants inscrits actuellement – comme Laura – en première année d’IUFM. Ce sont eux qui inaugureront, à la rentrée prochaine, cette nouvelle organisation. Non sans crainte. « La deuxième année d’IUFM n’était pas parfaite, mais elle permettait au moins une entrée progressive dans le métier, explique Marina, vingt ans, en première année à l’IUFM de Livry-Gargan. Il y avait une alternance entre pratique et théorie et on avait la possibilité, à l’IUFM, de confronter nos expériences avec plusieurs formateurs. Là, c’est du grand n’importe quoi : on va être placé du jour au lendemain devant les élèves. C’est irresponsable, pour nous, mais aussi pour les enfants dont nous aurons la charge. »
Camille, elle-même professeur stagiaire en région parisienne, a une idée bien précise de ce qui attend ces néophytes. Comme un avant-goût de la réforme, les rectorats ont, pour la première fois cette année, envoyé des étudiants qui n’ont pas encore passé le concours en « stage en responsabilité ». Leur mission : remplacer, sans l’aide de personne, des profs titulaires absents pour des périodes allant de quelques jours à plusieurs semaines. Une énorme galère dont Camille a été témoin. « La jeune fille a été appelée le matin même pour débuter à 10 heures ! La pauvre n’avait rien préparé et elle a fait comme elle a pu. À midi, elle est venue me voir pour me demander un manuel scolaire… À 13 heures, elle était carrément en panique : il manquait quatre élèves dans sa classe ! En fait, ils étaient rentrés manger chez eux, comme tous les midis. Mais elle l’ignorait puisqu’elle n’avait pas fait l’appel. D’ailleurs, elle ne savait même pas qu’il fallait le faire… »
D’autres se font chahuter plus violemment. Antoine, vingt-deux ans, lui aussi professeur stagiaire, témoigne : « je connais un étudiant, cette année, qui a été remplacer “en responsabilité” un prof dans une zone sensible. C’était tellement le bazar qu’il a fini par se faire monter sur le dos par un élève de CM1 ! » Ailleurs, il n’est pas rare que des étudiants, débordés, préfèrent lâcher l’affaire. Et quitter carrément l’école, en laissant leur classe en plan. Les parents ? Ils ne sont évidemment pas au courant. « De toute façon, quand un stagiaire arrive dans une école, précise Antoine, la consigne est de ne pas le dire pour ne pas être discrédité. Pourtant, débuter dans un métier ne devrait pas être une honte, au contraire. »
Certains étudiants ont refusé d’effectuer ces stages en responsabilité. Mais beaucoup d’autres n’ont pas osé protester ou, plus simplement, faire une croix sur le salaire volontairement attractif que leur proposait le rectorat, 750 euros brut la semaine.
Ces histoires-là bruissent aujourd’hui dans tous les IUFM. Au grand désarroi des maîtres formateurs, comme Pierre, un prof d’arts plastiques. « Les rectorats se permettent de balancer au feu des jeunes non formés sans se préoccuper des conséquences, s’agace-t-il. Mais tenir une classe et enseigner, cela s’apprend. Là, on place d’emblée ces jeunes dans des situations d’échec et de souffrance qui risquent de n’aboutir qu’à une chose, à les dégoûter du métier. » La jeune Camille, elle, parle de double gâchis : « Pour l’étudiant, qui culpabilise sans rien apprendre, et pour les élèves, qui perdent leur temps. »
Et pourtant, c’est bien ce système d’apprentissage « sur le tas » que la réforme de la formation se propose de généraliser à la rentrée prochaine. Ce qui ne devrait pas manquer de faire dresser les cheveux sur la tête des parents d’élèves. Surtout lorsqu’ils auront découvert comment les rectorats comptent organiser la formation professionnelle de ces débutants. Une récente circulaire du ministère vient de fixer le cadre général. De septembre à la Toussaint 2010, les enfants verront ainsi le professeur stagiaire faire classe en présence d’un de ses collègues « expérimentés », censé lui prodiguer des conseils. Un collègue « chevronné » qui, au passage, n’aura pas forcément reçu de formation spécifique pour former un enseignant et qui devra être remplacé dans sa propre classe… Ensuite ? De novembre à juin, le jeune prof quittera le plus souvent sa classe pour effectuer des remplacements dans d’autres écoles. Au cours de cette période, il bénéficiera de quelques périodes de stages, pendant lesquelles il sera lui-même remplacé par des titulaires – s’il y en a –, mais le plus souvent par des contractuels ou des étudiants en deuxième année de master « ayant déjà effectué des stages ou des remplacements »…
Bref, une organisation chaotique que les enfants, qui verront défiler dans ces classes-là au minimum trois enseignants, devraient payer au prix fort. Jérémy, qui a débuté cette année comme prof d’histoire-géo dans un collège du Val-de-Marne, plaint déjà ses futurs collègues. « Lorsque l’on est débutant, mais pas seulement, la préparation des cours et la compréhension des ados est un énorme travail. Moi, je n’ai que huit heures de classe chaque semaine et je me couche déjà tous les soirs à minuit. Alors, faire une première année à dix-huit heures de cours (temps plein – NDLR), c’est un véritable cauchemar. Il va être obligé de pomper toutes ses préparations de cours sur Internet, sinon il ne s’en sortira pas. » À l’IUFM de Livry-Gargan, l’un des plus mobilisés de France, profs et étudiants grévistes s’organisent depuis plusieurs mois pour alerter la population sur les dangers de cette réforme. Ici, personne n’est dupe des intentions du gouvernement. « Son but est économique – supprimer des postes de fonctionnaires – mais aussi idéologique, analyse un formateur. En cassant le cadre national de la formation des enseignants, on individualise leur parcours et on prépare petit à petit leur mise en concurrence. » À quelques pas de là, Marina, une des jeunes étudiantes, prend l’air avant d’entrer en AG. Elle songe à haute voix : « J’ai toujours rêvé de faire ce métier. Je ne voudrais pas que cela tourne au cauchemar. »
Laurent Mouloud
Christian Laval « Une réforme parfaitement cohérente »
Sociologue, Chercheur à l’Institut de recherches de la FSU et membre du conseil scientifique d’Attac.
La première raison de cette réforme est bien connue : elle est budgétaire. Il s’agit d’économiser des milliers de postes. Le député UMP Dominique Le Mèner estime le « gain » à environ 6 000 postes à plein-temps. Cela correspond au vœu de Nicolas Sarkozy dans sa lettre aux éducateurs de 2007 : « Dans l’école que j’appelle de mes vœux, les enseignants seront moins nombreux. » Le président tient parole sur ce point.
Mais n’oublions pas la stratégie, bien formulée par le député UMP Benoist Apparu en mai 2009 : « Seule la baisse des moyens obligera l’institution à bouger. » Car derrière la volonté d’économies, il y a d’autres raisons plus profondes. Et notamment celle de transformer l’école en une entreprise gérée comme une autre. Cette tendance est lourde, massive, générale. Et les réformes multiples, successives, fragmentées sont comme les pièces d’un puzzle que l’analyse peut reconstituer.
Comment ne pas voir, en effet, que l’affaiblissement programmé de la qualité professionnelle des enseignants est en lien étroit avec la nouvelle gestion des personnels axée sur la mobilité et la précarité ? Comment ne pas voir que la suppression des IUFM a les plus grands rapports avec l’autonomie des universités et la mise en marché de toutes les formations ? Comment ne pas voir que cette mise en cause de la formation des maîtres est le corrélat de la mise en place de tous les outils managériaux de contrôle des enseignants ?
Ce mode de contrôle par le management de la performance et par la pression concurrentielle est le principe qui donne aux réformes, du primaire jusqu’à l’université leur cohérence. Le choix néolibéral, c’est la gouvernance managériale plutôt que la formation humaine. D’où l’effort de constitution d’une hiérarchie intermédiaire disposée à faire fonctionner la nouvelle entreprise. D’où également l’envahissement de l’école par des technologies qui prétendent faire passer l’enseignement d’un artisanat méprisable à une hypermodernité admirable. Un néo-taylorisme qui, en attaquant le « cœur du métier », risque fort de détruire ce qui rend encore possible l’enseignement.