De la stratégie de la direction FSU
Annie Lacroix-Riz réagit à cette annonce.
Tout arrive, donc, et il s'agit désormais de demander « l'abandon de cette réforme ainsi que le retrait des textes d'application déjà publiés au profit d'une toute autre réforme. » Reste à savoir pourquoi la FSU n’a pas jugé bon l’an dernier de réclamer le « retrait » de ce qui n’était alors que des projets de décrets, ni de soutenir le mouvement universitaire qui exigeait ledit retraite, option qui a contribué, de même que la position d’autres centrales syndicales, dont le SGEN-CFDT, à l’échec du mouvement universitaire. Mais, puisqu’il n'est jamais trop tard pour bien faire, et puisque la période récente a amplement démontré la vanité des objurgations adressées aux ministères de tutelle, quelle action prévoit désormais notre fédération pour parvenir au résultat que nous n’avons pas acquis l’an dernier ?
Sur le détail ou le concret, que faut-il vraiment entendre par la formule : « construire une formation progressive et intégrée qui commence dès la licence, intègre le master et l'année de fonctionnaire stagiaire ». Le master et ce qui correspond à l’ancien concours se confondraient ? Dans quelle mesure cette formule serait-elle compatible avec la très légitime revendication de maintien du « recrutement des enseignants par concours, ce qui garantit une équité sur le territoire, et au statut de fonctionnaires de l'État, leur permettant d’assurer sereinement leurs missions ». Tout titulaire de « master métiers de l’enseignement » serait certifié ou agrégé ? ou le master doit-il former comme enseignants des personnels sans statut, auxquels le faible nombre de postes mis au concours ne laissera que la ressource de l’enseignement à titre définitivement précaire ?
J’en reviens au début de ma question à propos de la conclusion : « Nous appelons dans l'urgence les ministres à ouvrir des négociations en vue :
de mettre en place un système d'allocations d'études et de pré-recrutement
d’assurer une carte des formations qui permette la préparation de tous les concours
d’élaborer un cadrage national qui articule la mise en place de masters de qualité et une préparation aux concours de recrutement
de conforter le rôle des IUFM et de leur potentiel de formation pour la formation initiale et la formation continuée
de mettre en place une année de fonctionnaire stagiaire qui comporte 60% du temps de service accordé à la formation professionnelle.
Un plan pluriannuel de recrutement et de résorption de la précarité ».
Comment notre fédération pense-t-elle que « les ministres » qu’un mouvement ample, mais insuffisant (en raison, notamment, de l’absence de fait de la FSU), n’a pas convaincus d’« ouvrir des négociations » vont désormais s’y résoudre sans que les personnels soient appelés par leurs syndicats (et concrètement soutenus par eux, comme il convient à des syndicats remplissant leur mandat) à une action impressionnante ? Autrement dit, quand la FSU va-t-elle s’efforcer de convaincre l’ensemble des personnels qu’elle syndique qu’ils n’ont pas d’autre solution que de travailler ensemble à l’arrêt de la casse de l’école, « de la maternelle à l’université » ? C’est ce qu’elle a refusé de faire en 2008-2009. Tant qu’elle ne le fera pas, il y n’aura, pour « les ministres » aucune « urgence […] à ouvrir des négociations » et ils ne les ouvriront pas.
Un certain nombre de collègues discutent en ce moment des modalités de la « masterisation » et de l’utilité ou de la légitimité des IUFM que la « réforme » en cours voue à la disparition ; ces débats, quoique souvent fort intéressants, les opposent et parfois les déchirent, bref, étalent nos divisions « pédagogiques » : quelque légitimes que soient les interrogations y afférentes, elles ne présentent pour l’heure qu’un intérêt objectif, celui de confirmer aux ministres, qui en sont évidemment informés, que l’heure des négociations n’a pas sonné : tant que nous nous écharpons pour savoir si les formateurs sont bons ou mauvais et la formation en IUFM utile ou nuisible, tant que les agrégés écrasent de leur mépris les certifiés, etc., le pouvoir peut dormir, à notre sujet, sur ses deux oreilles. Quand on dispose d’un système certes « à améliorer » (et amplement) mais que l’ennemi est en passe de le casser tout entier, on s’occupe de sauver les morceaux – c'est à dire de se dresser contre les casseurs ‑‑ pas de construire une « nouvelle réforme » : celle-ci n’a aucune chance de venir au jour si nous n’empêchons pas le pouvoir de détruire tout l’acquis qui concerne à la fois notre statut et la qualité scientifique de la formation. On a bien le droit de penser qu’il vaudrait mieux aligner l’ensemble des formations sur tel ou tel concours, mais est-ce le moment de gloser là-dessus alors que le concours même, dans tous les secteurs, est condamné par la « thatcherisation » que Woerth et Pébereau se proposaient ouvertement en 2004-2005 devant tel cercle « synarchique » ou Bussereau dans les réunions UMP ? Le caractère imparfait de la « formation des maîtres » est également pour l’heure objectivement secondaire, bien que certains collègues aient pris l’habitude de considérer la question comme la seule qui vaille leur intérêt et leur intervention. Quoiqu'il en soit, ceux qui, à haut niveau syndical, orientent les personnels vers cette voie prioritaire ou exclusive les trompent sur les enjeux – ou, hypothèse favorable pour eux, ils se trompent, mais le résultat final est le même pour l’ensemble desdits personnels. Quand Vichy envoyait les travailleurs au service du travail obligatoire en Allemagne (et ses bonnes dispositions n’ont même pas attendu la « relève » proclamée par Laval à l’été 1942 mais sont franchement établies dès le début de 1941), la discussion ne portait pas sur la seule nécessité d’une réforme imminente des conditions de travail (exécrables) en France. Quand le pouvoir casse l’hôpital, il est irresponsable de se poser comme prioritaire la question de savoir si nos médecins ou nos infirmières sont finalement si bons que ça : on a le seul devoir immédiat de se battre pour sauver ce qui reste de la sécurité sociale du ministre du Travail communiste Ambroise Croizat, secrétaire général de la fédération CGT des métaux, institution-pivot de notre « modèle social » d'après Libération déjà très dégradée et désormais menacée de liquidation imminente – avec la complicité de certaines directions syndicales prêtes à accepter la pseudo-« flexisécurité » en échange du maintien ou l’accroissement de privilèges considérables pour elles-mêmes.
Bref, nous n’aurons aucune chance d’amener « les ministres à ouvrir des négociations » tant que nos syndicats et notre fédération ne créeront pas les conditions nécessaires pour que les négociations soient ouvertes, c'est à dire une action unie des personnels, cette action unie que toutes les directions des centrales intégrées dans la Confédération européenne des syndicats proscrivent pour l’heure. Naguère, nos directions syndicales étaient capables d’une analyse globale de la société qui fondait leur action quotidienne et lui donnait un sens lisible – elle ne l’entravait aucunement, puisque, à cette époque, les salariés se battaient et obtenaient des résultats, soit de conquête, soit de maintien des acquis. Tout le monde reconnaîtra aisément que la fin des « résultats » et la prétendue « dépolitisation » de nos organisations syndicales (c'est à dire leur alignement total sur le terrain de l’adversaire qui lui n’a rien « dépolitisé » du tout) sont strictement concomitantes. Parmi nous, les plus vieux le savent d’expérience, sans parler de leurs éventuelles connaissances théoriques ou historiques sur le sujet. Les plus jeunes, qui ont moins de chance d’avoir de telles connaissances, vu l’état du mouvement social et de la sphère intellectuelle et politique depuis qu’ils sont nés) ne savent pas non plus ces choses d’expérience, parce qu’ils n’ont jamais connu une telle situation ; ils doivent l’apprendre de leurs organisations syndicales, et non être orientées par elles vers la confiance à placer dans la politesse ou la bonne volonté des ministres. Et tous, jeunes et vieux, seront voués à une impuissance totale tant que leurs syndicats refuseront d’assumer leur mission spécifique.
Nota. La « revalorisation des les métiers de l'enseignement » suppose notamment des salaires « décents », pour reprendre l’adjectif qui a servi de mot d'ordre à une « journée » de la Confédération européenne des syndicats promise d'emblée au fiasco, en effet avéré. Ces salaires supposés « décents », dont la part dans le revenu national s’est fortement affaiblie au fil des vingt dernières années ‑ et de façon spectaculaire chez les jeunes collègues, certifiés en tête (1,3 SMIC contre 2 naguère) ‑‑ apparaissent ici via une allusion d’une discrétion de violette. Notre fédération abandonne-t-elle définitivement la lutte pour l’augmentation des salaires ?
Amitiés syndicalistes,
Annie Lacroix-Riz