La réflexion du jour: Qu’est-ce qui fait une icône ? Le Che et Mandela…
Source : le site de Daniele BLEITRACH le 8 décembre :
Un bel article qui tranche dans le déferlement médiatique hypocrite et falsificateur à l'occasion du décès de Mandela.
La première photo (avant cadrage) prise par Albert Korda lors de l’explosion du bateau français dans le port de la havane.
Ne fait-on pas avec Mandela ce qu’on a fait avec la célèbre photo du CHE?
Ce dernier est mort traqué par la CIA, assassiné dans un petit village de Bolivie par l’armée bolivienne encadrée par les instructeurs nord-américains, a été transformée en icone pour cartable en utilisant sa beauté et son caractère photogénique…
La photo du cadavre du Che, ses mains ont été coupées et envoyées aux USA pour s’assurer qu’il s’agissait bien de lui. Blessé il a été assassiné, tué à bout portant.
Il y a de la trahison dans l’apothéose par rapport à leur véritable combat, mais aussi quelque chose de plus à ne pas négliger si l’on veut que la révolution comme le disait Walter benjamin mobilise les énergies de l’imaginaire…
Sans doute des qualités esthétiques, mais cela va au-delà, l’individu est lumière, il exerce une fascination , celui d’individus doués d’une éternelle enfance, le feu d’une espérance et la blessure de l’innocence, l’incapacité à comprendre monde aussi sombre… aussi bête… L’icone alors peut être Mandela, Marylin, le Che, Einstein et quelques autres. et dans leur regard passe quelque chose d’un élan arrêté en plein vol mais qui se poursuit au-delà de la mort.
Quelque chose qu’a compris Fidel Castro avec son génie politique à propos du Che, de Chavez mais aussi de Kennedy: une trajectoire brisée, l’espoir de ce qu’ils auraient pu être pour tous…
Chacun s’en empare à sa manière, le marchand le vend comme argument, concept de vente… le politicien s’en réclame, mais il y a un reste toujours que l’on tente de lisser, d’aseptiser en vain.
Le Che c’est le combat, le guerillero héroïque, une stratégie, allumer des feux partout pour en finir avec l’impérialisme et son exploitation des peuples du Tiers Monde…Mandela c’est aussi le choix des armes face à l’oppresseur , ce que l’on prétend nier dans l’icone, la dureté des combats et la bête immonde que l’on affronte…
Pourquoi ces lumineuses icones tandis que leurs compagnons sont encore et toujours considérés comme des terroristes, accusés de maux imaginaires qui permettent d’étrangler leurs peuples en toute impunité? Ce n’est pas une question de charisme, Fidel Castro et Chavez ont eu un charisme supérieur à celui du Che et même peut-être à celui de Mandela. Simplement il se sont confrontés au réel, ils ont mis les mains dans le cambouis et ils ont survécu, tandis que les autres soit ont été assassinés, soit leur passage au pouvoir a été trop bref, ils y ont renoncé. Mais ils sont en quelque sorte le principe espérance d’une humanité blessée et vivace, celle qui ne cesse de porter les aspirations des vaincus. Ils inspirent quelque chose de plus que la souffrance des combats.
L’opération "miracle"
Au moment même où je m’interroge me revient l’histoire de cette opération miracle en Bolivie. Cuba a fait de ses médecins de véritables ambassadeurs de sa vision humaniste, ils vont soigner là où personne n’ose se rendre, vivent avec l’habitant dans les pires conditions et jouissent d’un respect général. Cette politique est menée au nom du Che qui était médecin.
Grâce à l’alliance avec Chavez et les capitaux du pétrole, l’action des médecins cubains a pris une ampleur inouïe dans toute l’Amérique latine. Il y a eu en particulier ce qu’on a appelé "l’opération miracle".
Partout des ophtalmologues cubains sont venus opérer les populations, parfois de simples opérations de la cataracte qui peuvent être faite sur place, mais quelquefois des opérations plus complexes. Chavez mettait à la disposition des populations ses avions, le futur opéré et une personne l’accompagnant était envoyée à Cuba. En face de l’endroit où j’habitais à la Havane, il y avait un hôtel "le copacabana" transformé en lieu d’accueil pour ces malades de la vue et leur accompagnateur, les avions de chavez les avaient transportés et il payait leur nourriture, tandis que les Cubains opéraient. Il y a eu plus d’un million d’opérés à ma connaissance en plusieurs années. C’était l’opération "miracle" celle qui redonnait vue aux aveugles.
Mais je reviens au Che, en Bolivie il y avait des hôpitaux de fortune dans lesquels les Cubains opéraient. Un homme s’est présenté dans un journal national, il voulait témoigner: son père était l’assassin du Che, il était devenu aveugle et les Cubains l’ont opéré, c’était la réponse du Che…
Ici nous ne savons rien de cette histoire, pas plus que nous savons que la magnifique photo du Che fut prise le 4 mars 1960 dans le port de la havane alors qu’un attentat terroriste de la CIA contre le cargo français La Coubre avait provoqué plus d’une centaine de morts, dont six Français membres de l’équipage du navire, plus de 200 blessés et de nombreux disparus. C’est cet abominable charnier que contemple le CHe dans la célèbre photo et ce qui est fascinant dans ce portrait c’est le regard de celui qui découvre qu’il est dans une lutte à mort et qu’il ne peut s’y soustraire.
Donc nous avons cet extraordinaire mélange de lutte à mort, de résistance jusqu’au bout face à un ennemi impitoyable, une véritable bête qu’il faut mettre à terre, une abnégation totale et un humanisme… La capacité à se transcender pour être un révolutionnaire…
Dans le fond c’est cela qui se jouent dans les icones, ce besoin de croire, ce refus du cynisme et ce doute sur la réalité. On peut manipuler et marchandiser cela, mais peut-être que cela s’accumule comme une espérance. Peut-être?
Danielle Bleitrach
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