A Gaza, les cimetières ne sont pas épargnés
Par Madjid Zerrouky
Le Monde du 06 mars 2024
Près de la moitié des lieux de sépulture de l’enclave palestinienne ont subi des destructions liées aux passages de blindés, aux frappes aériennes et aux tirs d’artillerie de l’armée israélienne.
Les bombes auront déterré les corps de personnes récemment tuées. Lundi 4 mars au soir, des volontaires de la défense civile tentaient de rassembler des sacs mortuaires dispersés à même le sol après des bombardements sur le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza.
Le cas du cimetière de Jabaliya n’est pas isolé. Des tombes détruites, des restes humains sortis des sépultures et dispersés au gré d’une terre retournée : des dizaines de vidéos et de photos, tournées et prises par des habitants ou journalistes gazaouis, ont permis de documenter la destruction d’au moins huit grands cimetières du territoire palestinien depuis le début des opérations au sol de l’armée israélienne.
« Les commandants israéliens n’ont pas réussi à prouver ce qu’ils avançaient lors d’une visite de trois heures du cimetière de Bani Souhaila et de la zone environnante », affirme de son côté la chaîne américaine CNN, invitée le 28 janvier par l’armée à constater de visu la présence d’un tunnel utilisé par le Hamas et qui était localisé sous le cimetière. Mais l’entrée, située à plusieurs dizaines de mètres, ne permettait pas de déterminer si le boyau passait effectivement sous le terrain.
Passages de blindés
Le 20 janvier, usant d’images satellites, ce même média avait identifié seize cimetières détruits, dont celui de Bani Souhaila. La cellule d’enquête vidéo du Monde a, elle, analysé des images satellites de l’enclave prises entre le 8 octobre 2023 et le 20 janvier. Elles montrent que, sur les quarante-cinq cimetières répertoriés dans la bande de Gaza, vingt-deux ont été endommagés ou totalement rasés depuis le 7 octobre, soit la moitié.
Ces destructions peuvent être liées aux passages de blindés comme à des frappes aériennes ou des tirs d’artillerie. A Jabaliya, le cimetière d’Al-Fallouja avait déjà été la cible de bulldozers israéliens en décembre. Ils avaient alors ouvert la voie aux véhicules et à l’infanterie en y creusant une route. Une vidéo, tournée par Ahmed Hamdane, un habitant des environs, montre les débris de nombreuses tombes, détruites, et les traces du passage des engins blindés du génie militaire.
Des fortifications en terre ont parfois été édifiées en lieu et place des pierres tombales et les cimetières ont également pu servir de positions militaires improvisées, comme à Chadjaya. Le cimetière y a été intégralement rasé en décembre 2023. L’armée israélienne a évoqué la présence d’armes et publié des photos d’un lance-roquettes, tout en affirmant n’y avoir causé aucun dégât.
« Une volonté de détruire »
Dans le quartier d’Al-Namssaoui, à Khan Younès, près de l’hôpital Nasser, ce sont des caveaux qui ont été ouverts. A quelle fin ? Le 18 janvier, l’armée s’est justifiée auprès de CNN en expliquant avoir récupéré des « corps d’otages » et les avoir menés dans un « endroit sûr et alternatif garantissant des conditions professionnelles optimales et le respect des défunts ». Elle avait promis que les corps qui s’avéreraient ne pas être ceux d’otages seraient « restitués avec dignité et respect ». En décembre 2023, l’ONG Euro-Med Human Rights Monitor l’avait accusée d’avoir « volé » des dépouilles d’activistes en vue d’échanges futurs contre des corps d’otages israéliens.
« Il peut aussi y avoir une volonté de détruire pour détruire, ne rien laisser, humilier, faire mal parce que toucher aux morts, c’est quelque chose qui blesse énormément la population. Et c’est donc une manière d’imposer des punitions collectives », estime Donatella Rivera, enquêtrice pour Amnesty International. Si l’armée israélienne justifie ses opérations par la présence du Hamas dans l’enclave, la densité urbaine de la bande de Gaza ou la recherche des otages ou de leurs dépouilles, le droit international humanitaire accorde une protection aux personnes mortes et impose de ne pas s’en prendre aux cimetières sauf dans des circonstances très limitées, comme la présence d’armes ou de combattants.