GAZA : les contorsions des démocrates US sur fonds de débandade électorale

Publié le par FSC

SOURCE : Christophe Deroubaix
L'Humanité du 04 mars 2024

 

 

 

« Cessez-le-feu immédiat. » Un membre de l’administration américaine a fini par prononcer ces quelques mots tant attendus. Ce n’est pas Joe Biden mais la vice-présidente, Kamala Harris, qui a porté cette parole. Cette dernière a pris position pour un « cessez-le-feu immédiat pour au moins les six prochaines semaines » et appelé le gouvernement de Benyamin Netanyahou à prendre des mesures pour accroître l’aide dans la bande de Gaza, menacée de famine selon l’ONU.


Cette évolution s’est accompagnée de propos critiques adressés au premier ministre israélien. Sur la façon de mener la guerre à Gaza : « Ce que nous voyons chaque jour à Gaza est dévastateur. Nous avons vu des familles se nourrir de feuilles ou d’aliments pour animaux. Des femmes donnent naissance à des bébés souffrant de malnutrition, avec peu ou pas de soins médicaux. Des enfants meurent de malnutrition et de déshydratation. Comme je l’ai dit à maintes reprises, trop de Palestiniens innocents ont été tués. » Comme sur la gestion de la crise humanitaire : « Le gouvernement israélien doit en faire davantage pour augmenter de manière significative le flux d’aide. Il n’y a pas d’excuses. »

L’administration Biden piégée par ses contradictions


Pourtant, pour sa première intervention de poids sur le sujet, Kamala Harris a également exposé les limites de la position américaine en déroulant des éléments de langage traditionnels qui donnent presque quitus au gouvernement israélien. Elle a ainsi qualifié le Hamas d’« organisation terroriste brutale » qui constitue une menace pour Israël et doit être éliminée, tout en répétant que le pays avait le « droit de se défendre ». C’est exactement sur cette base rhétorique et politique que le gouvernement israélien d’extrême droite a lancé sa guerre totale contre la bande de Gaza. L’administration Biden – par la voix du président lui-même – trouve juste « excessive » une riposte dont l’intensité et l’échelle sont contenues dans la logique de départ.


Pris dans cette contradiction extérieure, l’establishment démocrate essaie aussi de desserrer un étau intérieur : l’opposition de la base électorale qui prend des allures de fronde. « Alors que M. Biden a de plus en plus critiqué la réponse d’Israël à l’attentat du 7 octobre, son rejet des appels à un cessez-le-feu permanent et une série de faux pas antérieurs témoignant d’un manque d’empathie pour les Palestiniens ont divisé le Parti démocrate. Ils lui ont également aliéné des électeurs clés, notamment les Noirs, les jeunes et les Arabes américains », rappelle le New York Times. Mardi dernier, lors de la primaire dans le Michigan, 100 000 électeurs – soit près de 15 % des suffrages exprimés – ont voté « uncommitted » (« non engagé ») en signe de protestation.

Une fronde de plus en plus prononcée


Les sondages, plus mauvais les uns que les autres pour Joe Biden, se succèdent. La dernière livraison de l’enquête d’opinion du New York Times donne des sueurs froides aux stratèges démocrates : 48 % pour Donald Trump, 43 % pour Joe Biden. Le président sortant est également distancé dans tous les Swing States, ces États-clés qui, dans le système du collège électoral, feront la décision le 5 novembre. Le Michigan en fait partie. La réussite, en quelques semaines, de la démarche « uncommitted » constitue clairement un signal d’alarme pour la Maison-Blanche.


La stratégie ne se limite pas seulement à cet État qui compte de nombreux électeurs arabes et/ou musulmans très sensibles à la question palestinienne. Jeudi dernier, United Food & Commercial Workers, le plus grand syndicat de l’État de Washington, a recommandé à ses 50 000 membres de ne pas s’engager dans les primaires présidentielles démocrates qui se tiendront dans l’État, le 12 mars. Le mouvement syndical constitue l’une des poutres maîtresses de la coalition démocrate, sans laquelle Joe Biden ne peut envisager de décrocher un second mandat.


L’électorat africain-américain en représente une autre. Or, c’est dans ce « segment » que l’on retrouve l’opposition la plus forte au soutien inconditionnel de Joe Biden à Benyamin Netanyahou. D’où le symbole grossièrement choisi du pont Edmund-Pettus à Selma, dans l’Alabama pour annoncer un mini-virage sur l’aile. La rencontre, lundi, de Benny Gantz, membre du cabinet de guerre mais rival de Benyamin Netanyahou, avec Kamala Harris, Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, et Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, peut être lue comme un autre symbole de distanciation avec le premier ministre israélien, qui évite pourtant la mobilisation de moyens diplomatiques lourds : non-opposition d’un veto à l’ONU, arrêt des livraisons d’armes.

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