Rafah : chronique d’un massacre annoncé

Publié le par FSC

Agence France Presse 07 mai 2024

L'Humanité du 07 mai 2024

Après avoir ordonné l’évacuation de 100 000 civils, au mépris de la condamnation internationale et du risque de « massacre » pointé par l’ONU, Israël a commencé à bombarder la ville où sont massés 1,2 million de Gazaouis. De son côté, le Hamas a accepté une proposition de cessez-le-feu préparé par l’Égypte et le Qatar. Pour l’organisation islamiste, « la balle est désormais dans le camp de Tel-Aviv ».

« La menace [d’une offensive militaire] plane depuis des mois mais nous avions encore envie de croire que le stade de l’inhumanité ne serait pas dépassé. » Joint par l’Humanité, le directeur du bureau Palestine-Israël d’Oxfam France, Louis-Nicolas Jandeaux, s’est dit « absolument horrifié » par les événements en cours à Rafah, « le dernier coin à peu près sûr » de la bande de Gaza, où son ONG compte 22 personnels.

« Il n’y a pas de routes fiables dans l’enclave, les personnes déplacées ne seront pas à l’abri des bombardements », a-t-il ajouté, alors que l’armée israélienne a entamé lundi 6 mai une opération visant à faire évacuer la zone Est de la ville située à la lisière Sud du territoire. Elle abrite aujourd’hui la moitié de la population gazaouie, dont la plupart sont des déplacés qui ont fui la guerre plus au nord, soit 1,2 million de personnes.

Rejoindre des « zones humanitaires » inexistantes


« Une opération militaire à Rafah pourrait conduire à un massacre », avertissait pourtant un porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), vendredi 3 mai, depuis Genève. Face à cette semonce sans équivoque, Israël a tenté de rassurer. L’armée a précisé que son opération d’évacuation était « temporaire » et concernait « environ 100 000 personnes » appelées à rejoindre des « zones humanitaires élargies ».

Un ordre d’évacuation que le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a jugé « inhumain ». « C’est contraire aux principes fondamentaux du droit international humanitaire », a déclaré Volker Türk dans un communiqué. De son côté, Joe Biden, lors d’un entretien téléphonique lundi, a redit à Benjamin Netanyahou son opposition à cette offensive terrestre. Dans la foulée, le Hamas affirme accepter une proposition de cessez-le-feu présentée par l’Égypte et le Qatar. Mais le premier ministre israélien avait signifié qu’il ne renoncerait pas à son offensive terrestre, quelle que soit l’issue des négociations visant à imposer une trêve, conditionnée à la libération des otages retenus à Gaza en échange de prisonniers palestiniens.

Depuis octobre 2023, ce ne sont pas « seulement » 70 % des bâtiments résidentiels qui ont été totalement ou partiellement détruits, mais aussi les hôpitaux et les abris de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) qui ont été bombardés, en dépit des règles les plus élémentaires du droit humanitaire. « Israël prend délibérément et systématiquement pour cible les civils et les travailleurs humanitaires, y compris dans les « safe zones » et les routes d’évacuation », dénonce Oxfam, qui ajoute que « toutes les affirmations selon lesquelles les civils peuvent être évacués en sécurité ont perdu toute crédibilité ».

Évacuation « dans la terreur et la panique »


Des tracts largués lundi matin par l’armée israélienne sur les quartiers Est de Rafah enjoignaient leurs habitants à « évacuer immédiatement vers la zone humanitaire élargie d’al-Mawasi », située à une dizaine de kilomètres, avec la promesse d’y trouver « des hôpitaux de campagne, des tentes et un volume croissant de nourriture, d’eau, de médicaments ». Tout en avertissant que « l’armée israélienne s’apprête à agir avec force contre les organisations terroristes » et que quiconque reste « dans la zone met en danger sa vie et celles de sa famille ».

L’armée israélienne a intensifié lundi ses bombardements sur deux quartiers de Rafah, al-Shuka et al-Salam. Les précédents, dans la nuit de dimanche à lundi, avaient déjà provoqué la mort de 16 personnes. Une « réponse », selon l’armée, à des tirs de roquette le 5 mai par le Hamas en direction de Kerem Shalom, le principal point d’entrée de l’aide humanitaire depuis Israël vers Gaza. Ces frappes auraient tué trois soldats israéliens.

« Le processus d’évacuation a commencé sur le terrain, dans la terreur et la panique », a déclaré Ossama al-Kahlout, un responsable local du Croissant-Rouge, qui précise que les zones désignées abritent environ 250 000 personnes. « Ma famille et moi ne savons pas où aller », a confié à l’AFP Abdul Rahman Abu Jazar, un habitant du quartier à évacuer, affirmant que les « zones humanitaires » indiquées par l’armée sont déjà « surpeuplées », sans « place pour planter des tentes ou écoles où nous abriter ».

« Un cauchemar humanitaire »


Sur X, l’UNRWA a fait savoir ce lundi qu’elle refusait d’évacuer afin de maintenir sur place « une présence aussi longtemps que possible [afin de] continuer à fournir une aide vitale », tout en prévenant des conséquences « potentiellement catastrophiques » pour les réfugiés à Rafah, « dont près de la moitié sont des enfants ». Philippe Lazzarini, son commissaire général, a prévenu que toute offensive militaire israélienne « entraînera une couche supplémentaire d’une tragédie déjà insupportable pour la population », précisant qu’il « sera encore plus difficile d’inverser l’expansion de la famine ”provoquée” ». Le responsable onusien fustige également « de nouveaux déplacements forcés [qui causent] de l’angoisse et une souffrance sans fin ».

Craignant une réduction à l’accès aux denrées alimentaires essentielles, à l’eau ainsi qu’une hausse des épidémies de maladies infectieuses, le représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Dr Rik Peeperkorn, s’est dit « extrêmement préoccupé » par une incursion qui « pourrait rendre les trois hôpitaux de Rafah inaccessibles et non fonctionnels ». En février dernier, le secrétaire général des Nations unies alertait déjà du risque de voir empirer « de façon exponentielle ce qui est déjà un cauchemar humanitaire » en cas d’offensive militaire israélienne.

Faisant fi des appels internationaux à la retenue, et fort d’une carte blanche dispensée par les grandes puissances occidentales, qui refusent de hausser le ton pour empêcher la poursuite du massacre en cours à Gaza, Israël pourrait malgré tout franchir une autre étape à Rafah et provoquer, sans aucune surprise, un nouveau un bain de sang.

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Une « invasion de Rafah serait intolérable », insiste le secrétaire général de l’ONU


Une « invasion » de Rafah, ville du sud de la bande de Gaza où Israël a promis de mener une vaste opération terrestre, serait « intolérable », a insisté lundi le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, appelant Israël et le Hamas à un « effort supplémentaire » pour une trêve.


« J’ai lancé aujourd’hui un appel très ferme au gouvernement israélien et aux dirigeants du Hamas pour qu’ils fassent un effort supplémentaire pour matérialiser un accord vital », a-t-il déclaré, reprenant les propos exprimés par son porte-parole plus tôt dans la journée après que le Hamas a dit avoir accepté une proposition de trêve.
« C’est une opportunité qui ne peut pas être manquée. Une invasion terrestre de Rafah serait intolérable en raison de ses conséquences humanitaires dévastatrices et de son impact déstabilisateur dans la région », a insisté le secrétaire général devant la presse, en recevant le président italien Sergio Mattarella.


Le Hamas a dit lundi soir avoir accepté une proposition de trêve soumise par les médiateurs, après le début d’une opération israélienne d’évacuation de dizaines de milliers de personnes de Rafah, à la lisière sud de la bande de Gaza assiégée.
Le bureau du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé que cette proposition était « loin des exigences israéliennes », tout en ajoutant que le pays allait envoyer une délégation « auprès de la médiation pour épuiser les possibilités de parvenir à un accord » de trêve.


Après l’annonce du Hamas, l’armée israélienne a mené d’intenses bombardements sur l’est de la ville surpeuplée de Rafah, d’où les habitants avaient été exhortés à partir, selon l’AFP.
« Les ordres d’évacuation d’aujourd’hui pour l’est de Rafah vont tout simplement augmenter la souffrance des civils. (...) Une évacuation massive de cette ampleur est impossible à faire de façon sûre », a déclaré lundi le porte-parole d’Antonio Guterres, Stéphane Dujarric à la presse.
L’Unicef s’est de son côté alarmée du sort de quelque 600.000 enfants entassés à Rafah, menacés d’une « nouvelle catastrophe imminente ».

 

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