L’armée israélienne mène une nouvelle incursion meurtrière à Jénine

Publié le par FSC

Par Samuel Forey
Le Monde du 22 janvier 2025

Un Palestinien accompagne la dépouille de son frère, tué lors d’un raid israélien, à Jénine, en Cisjordanie occupée par Israël, le 21 janvier 2025. RANEEN SAWAFTA / REUTERS

 

Dix personnes ont été tuées mardi, dans cette ville du nord de la Cisjordanie occupée, où Israël mène de fréquentes opérations militaires. Les forces de l’Autorité palestinienne venaient d’y achever une opération contre les groupes armés.
A l’heure du cessez-le-feu à Gaza, l’armée israélienne a lancé, mardi 21 janvier, une opération d’envergure à Jénine, ville du nord de la Cisjordanie occupée, pour y « éradiquer le terrorisme ». Dix personnes ont été tuées, selon le bilan du ministère de la santé palestinien, et 35 blessées. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a appelé, mardi, Israël « à faire preuve d’une retenue maximale ». Le 14 janvier, six personnes avaient perdu la vie dans un bombardement mené par l’armée de l’air israélienne. La ville et son camp de réfugiés demeurent un bastion des groupes armés palestiniens.


Bezalel Smotrich, figure de l’extrême droite suprémaciste, ministre des finances et responsable de l’administration qui gère les 500 000 colons juifs en Cisjordanie, l’avait affirmé en pleines négociations entre Israël et le Hamas sur Gaza : « Al-Funduq, Naplouse et Jénine doivent ressembler à Jabaliya », une ville du nord de l’enclave de Gaza aujourd’hui en ruine.
Jabaliya a été particulièrement ravagée par l’armée israélienne et offre aujourd’hui le spectacle d’un champ de ruines. La déclaration, datant du 6 janvier, faisait suite au meurtre de trois colons israéliens par des Palestiniens dans le village d’Al-Funduq, non loin de Naplouse et de Kedumim, colonie israélienne dans laquelle réside Bezalel Smotrich.

Aucune perspective d’apaisement


Mais plus qu’une réponse à cette attaque contre des colons, l’opération à Jénine est un gage donné par Benyamin Nétanyahou à son ministre, qui menaçait de quitter le gouvernement pour manifester son opposition à l’accord entre Israël et le Hamas. Ce départ ferait chuter la coalition et précipiterait de nouvelles élections, potentiellement périlleuses pour M. Nétanyahou. L’opération intervient alors que les forces armées israéliennes sont en partie libérées des offensives à Gaza et au Liban.


Le territoire occupé est sous un contrôle particulièrement étroit de l’armée, depuis l’attaque du 7-Octobre. Les Palestiniens sont soumis à de sévères restrictions de déplacement. L’armée a mené de régulières opérations dans plusieurs villes de Cisjordanie. Et, sur ce front aussi, la guerre est meurtrière : selon le bureau de la Coordination des affaires humanitaires des Nations unies, près de 840 Palestiniens ont été tués par l’armée depuis le massacre commis par le Hamas, dont plus de 200 à cause de frappes aériennes, qui n’étaient utilisées qu’exceptionnellement dans le territoire occupé avant le 7 octobre 2023. Sur la même période, 28 Israéliens ont été tués en Cisjordanie.


Aucune perspective d’apaisement n’est à envisager. Mardi, le président américain, Donald Trump, a annulé les sanctions imposées par l’administration Biden à des Israéliens et à des groupes de colons accusés de violences contre les Palestiniens. La veille, des extrémistes juifs avaient attaqué plusieurs villages palestiniens de Cisjordanie, incendiant des commerces et des voitures.

« Ce n’est pas à ça que ressemble un cessez-le-feu »


Ces derniers mois, les opérations se sont succédé à Jénine, laissant des quartiers entiers coupés les uns des autres, l’asphalte de certaines routes ayant été éventré par des bulldozers israéliens. L’armée explique avoir recours à ces engins pour se prémunir de dispositifs explosifs. Ce bastion des groupes armés était aussi devenu, à partir du 5 décembre 2024, un test pour les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP). Celle-ci était régulièrement accusée par Israël de n’avoir ni la volonté ni les moyens de s’attaquer aux groupes armés palestiniens.


Cette fois-ci, l’AP a voulu démontrer sa capacité à rétablir le contrôle, notamment en vue d’une hypothétique prise en charge de la situation sécuritaire à Gaza. Mais l’opération s’est terminée samedi 18 janvier, après plusieurs semaines d’affrontements, conclue par un accord passé avec le « bataillon de Jénine », qui regroupe des militants du camp de réfugiés. Les forces de sécurité revendiquent 250 arrestations, et les médias arabes ont établi que 15 Palestiniens ont été tués lors de l’opération, dont six membres des forces de l’AP, huit civils et un militant armé.


Mais il apparaît surtout que les forces de sécurité palestiniennes ont dû interrompre l’offensive pour laisser la place à l’armée israélienne, selon Neri Zilber, journaliste israélien et auteur d’un livre sur les forces de l’AP : « Il restait à voir les résultats de l’opération. Pour l’Autorité palestinienne, c’est la pire chose que l’on puisse faire en matière de réputation publique, de légitimité politique et de motivation des forces de sécurité. Parce que cela donne de la valeur aux arguments de l’opposition, selon lesquels l’AP n’est ni meilleure ni différente des Israéliens, et qu’elle est réduite au rôle de collaboratrice de l’occupation. Ceci, alors que la Cisjordanie est relativement calme. »


Le général Anouar Rajab, porte-parole de la sécurité préventive palestinienne, a dénoncé une opération contrecarrant « tous les efforts déployés [par ses services] pour maintenir la sécurité et l’ordre et rétablir une vie normale ». Avant d’ajouter : « Elle reflète les intentions préméditées de l’occupation de perturber tous les efforts nationaux visant à protéger notre peuple. »


« Ce n’est pas à ça que ressemble un cessez-le-feu », a dénoncé, dans un communiqué, mardi, B’Tselem, une ONG israélienne de défense des droits humains dans les territoires occupés, évoquant la trêve à Gaza en vigueur depuis dimanche : « L’encre de l’accord de cessez-le-feu était à peine sèche que l’armée israélienne bloquait la plupart des points d’accès vers et depuis les villages palestiniens et toutes les villes de Cisjordanie, perturbant gravement la vie quotidienne de plus de 3 millions de Palestiniens. »
 

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