« Le temps s’est arrêté chez moi, à Gaza » : palestinienne échappée de l’enfer de la guerre raconte

Publié le par FSC

Nariman Hijazi
L'Humanité du 15 janvier 2025

 

 

Nariman Hijazi a pu quitter le territoire palestinien avec son époux et ses enfants. Elle témoigne pour l’Humanité de ses souffrances d’exilée et la nostalgie de sa terre martyrisée.

« Avec une douleur indescriptible, je me vois obligée de créer mon propre alphabet ; un alphabet inédit, un alphabet de survivante. Un alphabet qui ne ressemble plus à aucun autre, car l’ensemble des lettres de l’alphabet ne m’ont pas permis d’exprimer ma souffrance. Mes lettres sont capables de créer des mots puissants, vivants, parfois même morts. Elles ne donneront que des phrases fortes, très fortes comme : je sens une bombe d’émotions contradictoires à l’intérieur de moi. Colère, culpabilité, chagrin, nostalgie, joie de survivante, oppression et beaucoup de tristesse.


Je suis porteuse d’une nostalgie irrésistible pour ma vie d’avant. En vérité, ma maison au bord de la mer à Gaza me manque, l’odeur de mon pays me manque, cette sérénité qui m’embrasse en marchant dans les rues de ma ville me manque.
On a toujours présenté la bande de Gaza comme une grande prison à ciel ouvert. Aujourd’hui, je me trouve en dehors de cette prison mais toujours menottée, je n’arrive même pas à m’évader, je n’arrive même pas à voler… je reste toujours prisonnière… prisonnière de mes pensées, de Gaza et de ce génocide atroce qui ne se termine pas.
Le temps file mais, tout au fond de moi, le temps s’est arrêté chez moi, à Gaza. Est-ce qu’un jour je parviendrai à surmonter ces émotions ? Comment vais-je pouvoir continuer ma vie en voyant toute cette oppression contre mes compatriotes ?


Comment vais-je me reconstruire en voyant la destruction partout dans mon pays ? Comment est-ce que je pourrais bien manger et boire en sachant que ma famille et mes proches affrontent la famine à Gaza ?


C’est égoïste, c’est injuste, n’est-ce pas ? Comment vais-je planifier mon avenir en perdant toutes possibilités de perspectives ? Car tout s’est effondré. Je me souviens de moi moins sensible, plus joyeuse, moins perturbée, plus équilibrée !
Mes larmes sont sur le qui-vive, dans l’attente de l’appel d’un souvenir, un souvenir horrible de la guerre ou bien un souvenir doux des beaux jours dans ma patrie. Je me trouve avec une nouvelle version de moi-même, je ne trouve plus mes marques, tout est changé ; mes rêves, mes plans, ma routine, ma vie quoi. Parfois, je me répète : « N’exagère pas. Tu as de la chance, tu respires, tu n’es plus là-bas. » Mais mon esprit, lui, est resté là-bas.


Je suis coincée dans un « entre-deux » qui m’épuise, au milieu du chemin. Car je ne goûte plus le plaisir de découvrir l’avenir et je me retrouve bloquée, incapable d’effacer l’atrocité de ce que j’ai vécu, et encore moins de poursuivre ma route. Le fait de tout recommencer quand tu n’as ni l’envie ni la passion de recommencer est très difficile.
Je perds toute confiance dans le monde sauf dans le regard vif de mes enfants qui aiment la vie et qui m’obligent à surmonter tout ça J’ai toujours aimé voyager, m’évader, découvrir le monde. Mais jamais de cette manière. Pas à cause de la guerre, pas par contrainte. Je me sens déracinée et ce n’est pas facile car quitter chez soi est la chose la plus amère que tu puisses jamais goûter dans toute ta vie… »

 

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