Donald Trump provoque la sidération générale en envisageant un contrôle américain de la bande de Gaza

Publié le par FSC

Par Piotr Smolar
Le Monde du 05 février 2025

 

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et le président américain, Donald Trump, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, le 4 février 2025. EVAN VUCCI / AP

 

A l’issue d’une rencontre avec le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, le président américain a répété qu’il souhaitait vider le territoire palestinien de ses habitants, avant d’évoquer « une situation de propriété sur le long terme » des Etats-Unis.
L’histoire compte peu pour Donald Trump, lorsqu’il parle de Gaza. Les traumatismes du passé, les guerres successives, l’attachement à un lieu, l’ombre longue des ancêtres, les droits des vivants : tout cela semble enfoui sous les décombres.


Car le magnat de l’immobilier reconverti en politique ne voit que cela dans le territoire palestinien, des décombres. Un « site de démolition », qu’il faudrait vider de sa population, par souci humanitaire. Eparpiller les Palestiniens ailleurs, dans la région. « Il pourrait s’agir de sites nombreux ou ce pourrait être un grand site. Mais les gens pourraient vivre dans le confort et la paix et on va s’assurer que quelque chose de spectaculaire sera fait », s’est hasardé le président, mardi 4 février, à la Maison Blanche.


A ses côtés se trouvait son premier invité étranger, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Ce dernier semblait à la fois euphorique et nerveux devant cet allié américain imprévisible, promouvant le déplacement massif d’une population suppliciée par seize mois de guerre. « Les Etats-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza », a osé Donald Trump, évoquant « une situation de propriété sur le long terme », expression que l’on ne sait traduire précisément en droit international. Comme un promoteur devant une maison témoin, Donald Trump s’est engagé à transformer ce « symbole de mort et de destruction » qu’est Gaza en « Riviera du Moyen Orient ». Il l’assure : « Tous ceux à qui j’ai parlé adorent l’idée de voir les Etats-Unis posséder ce morceau de territoire, développer et créer des milliers d’emplois avec quelque chose qui sera magnifique. »


Autrement dit, le candidat de la paix à la dernière élection présidentielle, opposé aux aventures militaires extérieures, ne se contente plus d’envisager l’annexion du canal du Panama, du Canada et du Groenland, dans une ferveur néoimpérialiste. Il suggère d’y ajouter un confetti de territoire ravagé, tenu par un mouvement islamiste armé, long de quarante kilomètres, dont il veut évacuer toute la population. Une opération qui nécessiterait un large contingent militaire américain – hypothèse non écartée par Donald Trump – et supposerait des dizaines, voire des centaines de soldats tués. Deux possibilités se dessinent : le président américain est sérieux ; ou bien il déplace les termes du débat selon son habitude, pour banaliser l’inacceptable et modifier les équilibres.


Donald Trump a confirmé son intention de convaincre plusieurs pays, dont l’Egypte et la Jordanie, d’accueillir la totalité de la population de la bande de Gaza, afin de nettoyer le territoire palestinien des gravats. « On peut trouver une zone magnifique pour y installer les gens de façon permanente dans de belles maisons où ils peuvent être heureux sans se faire tirer dessus, sans se faire tuer, sans se faire poignarder à mort comme ce qu’il se passe à Gaza », a-t-il ajouté, comme si le souci majeur y était la criminalité du quotidien. Les Palestiniens auraient-ils le droit de revenir chez eux un jour ? « Pourquoi voudraient-ils revenir ? », interrogea Donald Trump.

Rêve de papier


Dans un échange avec la presse un peu plus tôt, le conseiller à la sécurité nationale, Mike Walz, avait souligné que les projections antérieures de l’équipe Biden sur une reconstruction de Gaza en cinq ans n’étaient pas réalistes. Selon lui, il fallait envisager un plan sur dix ou quinze ans. En revanche, le conseiller et Donald Trump lui-même n’ont pas avancé de calendrier sur le temps nécessaire pour créer les « habitations de vraiment bonne qualité » que promet le président aux Gazaouis, grâce aux « quantités massives d’argent fournies par d’autres personnes, des nations très riches. »

En somme, la Jordanie et l’Egypte hébergeraient, le Qatar et l’Arabie saoudite financeraient. Ce rêve de papier ne tient pas compte de l’opposition déclarée de la Ligue arabe à tout déplacement de population de cette nature à Gaza, ni de l’hostilité de l’Egypte et de la Jordanie, par principe et par crainte d’une déstabilisation interne. « Je dis qu’ils vont le faire », a assuré Donald Trump.


Le président américain parlait sur le ton de l’évidence. Si Gaza est un « enfer », il faut en sortir les civils. Derrière cette énonciation bienveillante, pourtant, se dessine un projet politique non dit. Donald Trump enveloppe dans un voile humanitaire l’agonisante solution à deux Etats, pour l’enterrer définitivement.


Les Palestiniens étaient déjà fracturés entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Si les habitants de l’enclave rejoignaient les cohortes de réfugiés et leurs descendants disséminés dans la région depuis la « Nakba » (grande catastrophe) de 1948, au moment de la création d’Israël, de quel Etat palestinien pourrait-il être question ? Avec nonchalance, un casque de géomètre sur la tête, le président américain pense résoudre la question palestinienne en dissolvant sa population dans la région, de gré ou de force.


A ses côtés, Benyamin Nétanyahou semblait pris de court, derrière un sourire crispé. Il tentait de maîtriser son hôte américain par une salve de compliments. « Vous êtes le meilleur ami qu’Israël ait jamais eu à la Maison Blanche », dit-il. Le premier ministre israélien a d’abord gardé un silence stratégique sur le déplacement des Gazaouis, comme s’il intégrait, lui, la réalité régionale, derrière les slogans. Puis, interrogé sur le sujet, il a fini par estimer que « ça vaut la peine de prêter attention » à un tel projet, qui « pourrait changer l’histoire ».

Les trois objectifs de Nétanyahou pour Gaza


M. Nétanyahou sait qu’il peut exploiter ce fantasme américain pour garder le suprémaciste Bezalel Smotrich, le ministre des finances, dans sa coalition. D’autant que Donald Trump brandit une autre perspective, dont on ne connaît à ce stade le sérieux, mais qui ravira la droite israélienne. Il a promis que son administration se prononcerait « au cours des quatre prochaines semaines » sur les projets d’annexion israélienne en Cisjordanie. Pour l’heure, l’enjeu le plus pressant est le cessez-le-feu à Gaza et l’entrée dans la phase deux du plan négocié par l’administration Biden, avec la poursuite de la libération des otages.


Donald Trump n’a exercé aucune pression publique sur son invité pour qu’Israël respecte les termes de l’accord avec le Hamas. Benyamin Nétanyahou, lui, a affirmé son souhait de « finir le travail » à Gaza, avec trois objectifs : détruire les capacités militaires du Hamas, assurer la libération de tous les otages et s’assurer que le territoire palestinien ne représente plus une menace pour Israël à l’avenir. Soit la promesse d’une guerre sans fin, dépourvue de vision politique pour Gaza. Pour l’heure, une délégation israélienne est attendue au Qatar, pour la suite des négociations.


La relation entre Donald Trump et Benyamin Nétanyahou n’est pas aisée. Le premier mandat (2017-2021) du milliardaire a été une période de félicité pour la droite israélienne, avec la reconnaissance de Jérusalem comme capitale, de la souveraineté de l’Etat hébreu sur le plateau du Golan, une approbation de la colonisation en Cisjordanie, la retenue de toute aide à l’Autorité palestinienne. Les nationalistes religieux, qui nient tout droit politique aux Palestiniens, avaient été confortés dans leurs aspirations. Mais sur un plan personnel, Donald Trump a gardé une amertume envers le dirigeant israélien, considéré comme un ingrat. En novembre 2020, Benyamin Nétanyahou s’était en effet précipité, selon le milliardaire, pour reconnaître la victoire de Joe Biden et saluer l’élection d’un « grand ami » d’Israël.


Plus tôt dans l’après-midi, mardi, Donald Trump a signé devant les journalistes un décret présidentiel rétablissant une « pression maximale » sur l’Iran, dont le programme nucléaire serait « une menace existentielle pour les Etats-Unis ». Objectif affiché : assécher les revenus pétroliers du régime. Le républicain disait agir à contrecœur. « Je signe cela mais je suis malheureux de le faire », précisait-il, en espérant même que le contenu de ce décret – sans surprise sur le fond, mais au ton bien plus sévère que celui du président américain – ne serait pas appliqué.


L’idée ne doit pas ravir tout son entourage, mais Donald Trump veut des négociations avec Téhéran. « L’Iran ne peut pas avoir d’arme nucléaire », a-t-il rappelé, position constante de toutes les administrations depuis quinze ans. On prête à Israël l’envie de profiter militairement de la faiblesse géopolitique du régime iranien. Interrogé, Benyamin Nétanyahou n’a pas voulu se distinguer de Donald Trump : « Il dit que l’Iran ne doit pas avoir d’arme nucléaire et nous sommes pleinement d’accord avec cela. Si cet objectif peut être atteint par une campagne de pression maximale, qu’il en soit ainsi. Mais je pense que le plus important est de se focaliser sur l’objectif. »
 

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