Livres saisis, libraires arrêtés : à Jérusalem-Est, comment Israël tente d'étouffer les institutions culturelles palestiniennes
Marie Penin
L'Humanité du 11 février 2025
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Mahmoud Muna, le propriétaire de la « Librairie éducative » à Jérusalem-Est, a comparu lundi 10 février, devant un juge, après plus de vingt-quatre heures en détention.© John Wessels / AFP |
Des policiers israéliens en civil ont mené une perquisition dans deux librairies progressistes de la rue commerçante Salah Al-Din, le 9 février. Une énième tentative d’intimidation contre les centres culturels palestiniens de Jérusalem-Est occupée.
Un « risque pour l’ordre public ». Tel est le prétexte avancé par les agents israéliens qui ont fouillé, dimanche 9 février, les rayons des deux boutiques de la célèbre Librairie éducative (Educational Bookshop), avant de saisir une dizaine d’ouvrages et d’arrêter ses propriétaires, Mahmoud Muna et son neveu Ahmad Muna.
La police a justifié son intervention dans deux boutiques de Jérusalem-Est, affirmant y avoir trouvé de « nombreux livres contenant des éléments incitatifs à la haine nationaliste palestinienne », dont un livre de coloriage pour enfants intitulé De la rivière à la mer… Parmi les ouvrages confisqués figuraient des livres d’auteurs israéliens comme Ilan Pappe et Shlomo Sand, ainsi que des écrits sur la Nakba ou le nettoyage ethnique de la Palestine, autant de documents que les autorités israéliennes veulent faire disparaître, à l’instar de la présence palestinienne dans la ville.
Après plus de vingt-quatre heures en détention, les deux libraires ont comparu, lundi, devant un juge. Sous couvert de la nécessité d’examiner les livres saisis, la justice israélienne a prolongé leur incarcération d’une nuit supplémentaire et prononcé cinq jours d’assignation à résidence.
Tentatives d’effacement et de censure
Accuser la Librairie éducative d’« incitation à la haine » relève d’une tentative de censure. Fondée en 1984, cette institution de Jérusalem-Est propose une sélection d’ouvrages sur la littérature arabe, l’histoire du conflit israélo-palestinien et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Elle jouxte même l’Institut culturel français. Tout un symbole.
Indignés par le traitement infligé à la famille Muna, des clients fidèles, soutenus par des intellectuels, ont manifesté leur solidarité en se rassemblant ce mardi devant la librairie. Le consulat de France, dont un représentant a assisté à l’audience aux côtés d’autres diplomates de plus de neuf pays, a dénoncé sur X une « atteinte flagrante à la liberté d’expression et aux valeurs démocratiques fondamentales ». L’ambassadeur d’Allemagne en Israël, Steffen Seibert, client régulier de la librairie, a salué l’engagement des Muna, les décrivant comme des figures du dialogue et de l’ouverture, fiers de leur identité palestinienne.
Cette descente policière s’inscrit dans une offensive plus large contre les symboles culturels palestiniens à Jérusalem-Est, où la force occupante interdit même l’affichage du drapeau palestinien. Ces dernières années, plusieurs institutions emblématiques ont été visées, parmi lesquelles le Centre culturel Yabous, le Théâtre El Hakawati, et le Conservatoire national de musique Edward-Said, dont le siège à Gaza a été détruit lors des bombardements israéliens. Refusant de céder à ces attaques, la famille Muna a rouvert les portes de ses librairies dès lundi après-midi, accueillant une foule de lecteurs venus témoigner leur soutien.
« Les Palestiniens portent en eux la résilience, la générosité et une réserve infinie d’histoires qui ne sont jamais imprimées », écrivait Leyla Zuaiter, consultante du Centre du patrimoine populaire palestinien d’Artâs. Une phrase qui résonne plus que jamais, rappelant combien cette librairie est essentielle pour préserver et transmettre l’histoire et l’identité palestiniennes.