« From Ground Zero », 22 courts-métrages rendent compte du drame à Gaza
Gae Blu Infuso
L'Humanité du 12 février 2025
Ce film initié par le cinéaste palestinien Rashid Masharawi dévoile des images bouleversantes de la guerre à travers les yeux des réalisateurs locaux et contribue à une humanisation des victimes.
En 2024, le cinéaste Rashid Masharawi est à l’initiative du projet From Ground Zero, un film composé de 22 courts-métrages ayant pour toile de fond la guerre sanglante dans la bande de Gaza, faisant suite aux attaques du 7 octobre. Le réalisateur, également connu pour son engagement dans la promotion du cinéma palestinien, a notamment créé le Centre de Production et de Distribution cinématographique de Ramallah, en soutien à ses homologues locaux.
From Ground Zero a une double vocation. Il s’agit d’offrir un espace de création aux réalisateurs gazaouis, qui, comme tous les habitants de l’enclave, vivent aujourd’hui dans des conditions très difficiles. Il vise aussi à donner à voir au reste du monde leur quotidien afin de garder une trace.
“On a perdu beaucoup de proches (…) Nous, on sait qu’ils ont un passé, des rêves, une vie et un futur. Quand les infos arrivent, on nous dit 100, 200 martyrs, une famille décimée. Que des numéros, aucune attention aux êtres humains. » se désole Diana El Shinawi dans Offerings. Un constat imparable confirmé par les bilans de victimes palestiniennes chiffrées sans que la plupart du temps, on ne connaisse leurs noms.
Cette œuvre chorale vient enrayer cet anonymat, en nous montrant des visages, des histoires, et une variété de propositions qui reflète la singularité des univers des réalisateurs. From Ground Zero inclut différentes formes et esthétiques, du documentaire à la fiction, en passant par le film d’animation, sur un décor composé des décombres, des campements, de la mer au son du bourdonnement incessant des drones. Tout devient concret. Plus possible de ne pas voir.
Le réel prégnant s’immisce dans la fiction
Le quotidien des Gazaouis se déploie, mêlant le prosaïque à l’héroïque. Le court-métrage documentaire Recycling montre la méticulosité d’une mère dans le recyclage de l’eau usée, tandis que le docufiction No signal, met en scène un oncle et sa nièce, à la recherche du père de la fillette ensevelis sous les décombres.
Très vite, le réel prégnant s’immisce dans la fiction, créant un trouble entre les genres. Le court-métrage Taxi Wanissa, qui raconte l’histoire d’un homme conduisant les passants sur une charrette tirée par son âne, s’interrompt soudainement avec le témoignage de sa réalisatrice.
Etimad Washah, bouleversée par la mort de son frère, n’a plus la force de poursuivre le tournage. Ironie du sort, cette tragédie rappelle étrangement la mort du protagoniste, envisagée pour la fin de son film. Alors à quoi bon le tourner, il suffit de témoigner…
Ni la menace perpétuelle ni l’omniprésence de la mort n’étouffe la vitalité de cette population, qui n’a d’autre choix que la résilience et continue de rêver « tant qu’il y a la mer ».
Une chose est sûre, la création sous toutes ses formes – illustrée par et dans les films – est une manière de résister, « de continuer à dire non, non à l’injustice et à ce qui détruit ». From Ground Zero est l’affirmation, malgré l’abîme, de l’ardeur artistique du peuple palestinien, dont témoigne aussi l’initiative du Musée Sahab. L’Institution, à l’initiative du collectif d’artistes Hawaf, présente en réalité virtuelle au monde l’art et l’histoire de Gaza, pour imaginer un autre avenir.