Les Gazaouis au milieu des décombres : « Ce n’est pas une vie, c’est une lutte pour la survie »

Publié le par FSC

Clothilde Mraffko

Le Monde du 07 mars 2025

Des Palestiniens reçoivent l’aide fournie par l’UNRWA, après la suspension annoncée par Israël de l’aide humanitaire à Gaza, dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord, le 2 mars 2025. MAHMOUD ISSA / REUTERS

 

Le blocage de l’aide humanitaire décrété par Israël aggrave encore la grande précarité et la situation d’insalubrité des habitants de l’enclave.


Nabil Diab cherche ses mots. A quoi ressemble son quotidien ? « Ce n’est pas vraiment une vie. C’est une lutte pour la survie, finit par décrire le Palestinien de 57 ans. Je vis sur des décombres, mais je ne retournerai pas dans la tente qu’on occupait pendant la guerre. » Dans sa vie d’avant le 7 octobre 2023, cet employé d’une structure de santé locale partageait quatre étages avec ses deux frères et leurs familles, dans une maison près de l’hôpital Kamal-Adwan, dans l’extrême nord de Gaza. L’armée israélienne a envahi plusieurs fois la zone et, à l’automne 2024, a expulsé systématiquement la quasi-totalité des habitants, détruisant des rues entières. L’ONG israélienne B’Tselem avait alors dénoncé une campagne de « nettoyage ethnique ».


Peu après le début de la trêve, le 19 janvier, Nabil Diab et ses frères sont revenus s’installer chez eux, au terme de mois à survivre sous des tentes à Deir Al-Balah, dans le centre de Gaza, raconte le Palestinien joint par téléphone, Israël interdisant toujours l’accès de l’enclave aux journalistes étrangers.

50 millions de tonnes de gravats


Les frères de M. Diab ont dû se résigner à repartir, leurs appartements étaient en ruine. Quant à lui, il a déblayé ce qu’il pouvait dans le sien et s’est installé dans les décombres, avec les six membres de sa famille. Presque tous ses voisins vivent ainsi, campant dans leurs maisons en grande partie détruites ou bien autour des ruines, explique-t-il. L’enclave est un immense amas de 50 millions de tonnes de gravats, dont le déblaiement nécessitera une vingtaine d’années, estimait l’ONU fin janvier.


Il n’y a pas d’électricité, il faut faire de harassants trajets pour rapporter quelques bidons d’eau potable. La plupart des boulangeries sont encore fermées. Tout autour, le paysage a des allures d’apocalypse : les égouts ont été détruits, les eaux usées se déversent dans la rue, se mêlant aux déchets, charriant une « odeur nauséabonde », décrit Nabil Diab. Les chiens errants rôdent autour des ruines, à la recherche des corps encore ensevelis. Plus de 770 cadavres ont été récupérés depuis la trêve, selon le ministère de la santé local. Près de 48 500 Palestiniens ont été tués et de 111 000 blessés, à Gaza, depuis le 7-Octobre, selon la même source ministérielle.


Les avions de chasse israéliens qui larguaient des bombes nuit et jour n’obscurcissent plus le ciel, mais les drones continuent d’y tournoyer, et l’armée israélienne n’a pas évacué le corridor de Philadelphie, zone tampon entre la bande de terre palestinienne et l’Egypte. En un mois et demi de trêve, 116 Palestiniens ont été tués, selon le même ministère. Le 2 mars, un jeune homme a ainsi été tué sur le toit de sa maison, dans le centre de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, et une femme a été tuée et plusieurs personnes blessées à Khan Younès, également dans le sud.


Les soldats israéliens ont transformé les confins de l’enclave, dans le nord, l’est et le sud, en no man’s land, tirant sur ceux qui oseraient s’en approcher. Le danger vient également des munitions explosives, largement disséminées sur l’ensemble du territoire, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU. Les 26 et 27 février, deux personnes ont été tuées et cinq autres blessées par ces explosifs alors qu’ils creusaient le sol pour planter des tentes dans le nord et à Rafah.

Une économie à terre


Enfin, les conditions de vie restent extrêmement précaires et l’aide insuffisante. Fin février, après une vague de froid, les autorités sanitaires ont annoncé que sept bébés étaient morts d’hypothermie. « [Ces dernières semaines,] l’accès à la nourriture s’est amélioré. Depuis notre retour dans la ville de Gaza [après la trêve], nous n’avons pas constaté de pillage, explique Wassem Mushtaha, un responsable l’ONG Oxfam pour Gaza. Mais cela reste insuffisant au regard de la situation qui prévalait avant la guerre. »


L’économie gazaouie est à terre : les terres agricoles, la plupart situées à la lisière de l’enclave, sont détruites ou inaccessibles, le secteur de la pêche a été anéanti. Gaza est entièrement dépendante de l’aide humanitaire. Le Cogat, la branche de l’armée israélienne chargée des affaires civiles dans les territoires palestiniens occupés, qui supervise l’entrée de l’aide dans l’enclave, a annoncé que 4 200 camions entraient chaque semaine depuis la trêve. Mais ce flux a été brisé net dimanche 2 mars : le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a annoncé suspendre l’« approvisionnement dans la bande de Gaza » après le refus du Hamas de prolonger la première phase de la trêve.


Israël viole ainsi l’accord conclu mi-janvier, qui prévoyait l’amorce, début mars, de la deuxième phase, censée garantir la fin définitive de la guerre, avec le retrait israélien de l’enclave et la libération des 59 derniers otages israéliens – dont plus de la moitié seraient morts –, ainsi que de centaines de prisonniers palestiniens. Depuis, les prix des principaux produits de consommation ont triplé, selon M. Mushtaha. Certaines denrées comme la volaille, que l’on retrouvait sur les marchés, ont de nouveau disparu des étals.


« En coupant l’aide, Israël continue de faire fi des décisions contraignantes de la Cour internationale de justice, a dénoncé l’ONG de défense des droits humains, Human Rights Watch, dans un communiqué publié le 6 mars. Des milliers de Palestiniens à Gaza sont possiblement morts et continueront probablement de mourir de malnutrition, déshydratation et de maladies », en raison du blocage de l’aide par les autorités israéliennes.

« Les drones sont toujours là »


« Certains ont leur maison endommagée ou démolie, mais ne peuvent commencer à la réparer ou à la reconstruire, car ils craignent de dépenser l’argent qu’il leur reste et que la guerre reprenne », constate M. Mushtaha. En ces nuits de ramadan, d’ordinaire très animées dans l’enclave palestinienne, l’employé d’Oxfam s’abstient de rendre visite à sa famille. « Les drones sont toujours là, remarque-t-il. On a peur également que les hostilités reprennent d’un coup. [Les soldats israéliens] sont très proches, à l’est. S’ils commencent une nouvelle opération, ils peuvent atteindre le cœur de Gaza en 10 minutes. »


Alors que les discussions sur l’avenir de l’enclave s’enlisent, sur le terrain, le Hamas a déjà réactivé son appareil de gouvernance, notamment par le biais des municipalités qu’il contrôle et par ses relais dans les mosquées. Le mouvement islamiste palestinien continue d’administrer de facto l’enclave. Samir Ahmed, employé subalterne d’un des ministères de Gaza, s’inquiète pour l’avenir. « J’espère que des solutions équitables seront trouvées pour nous, et que nous ne serons pas abandonnés si un nouveau système de gouvernance se met en place », dit en soupirant le père de famille de 46 ans, qui précise qu’il n’est pas membre du Hamas.


M. Ahmed a dû se résigner à rester sous sa tente, dans la zone d’Al-Mawassi, dans le sud de l’enclave, car l’immeuble où il habitait, dans la ville de Gaza, a été pulvérisé. L’armée israélienne affirme qu’il abritait un bureau du Hamas. Ses fils ont monté un petit stand pour vendre des friandises et qui permet de charger les téléphones portables contre quelques shekels. Leur père songe à émigrer, « même pour une courte période, afin de trouver la paix et du confort, une stabilité ». Un départ qui pourrait être définitif. Les déclarations de responsables israéliens et américains laissent penser que ceux qui ont quitté Gaza ou qui en partiront dans les prochains mois ne seront probablement pas autorisés à y revenir.

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