Aide humanitaire à Gaza : le fiasco du plan israélien se confirme
Gwenaelle Lenoir
Médiapart du 27 mai 2025
Israël avait un plan pour distribuer une aide humanitaire en remplaçant l’ONU et les grandes ONG internationales. Déjà mal parti avec la fermeture de la principale organisation de substitution, censée prendre en charge l’aide, il s’est transformé mardi en véritable débâcle.
Des silhouettes enveloppées de sable se pressent les unes contre les autres. Des femmes se soutiennent l’une l’autre, des enfants maigres et des hommes vont et viennent. Des milliers et des milliers de personnes au milieu de nulle part, sur une vaste étendue en apparence vide. Les images ont été diffusées sur la chaîne qatarie Al Jazeera et sur les réseaux sociaux.
Plus tard, des photos : un homme porte un arbre mort, parfait pour le bois de cuisine, un autre traîne un rideau de tôle, un autre encore des câbles en plastique enroulés en grands cerceaux. Sur un cliché, une main tient un paquet de cigarettes, trois ou quatre seulement à l’intérieur, mais le graal, dans une bande de Gaza où la clope coûte 15 euros pièce. Sur le carton, l’avertissement sanitaire est écrit en hébreu.
« En raison de la situation d’urgence liée à la distribution en grande quantités de denrées alimentaires par la Fondation SRS aujourd’hui, et compte tenu de la nécessité d’assurer la sécurité complète de l’aide ainsi que d’effectuer les travaux de maintenance requis sur le site […], nous vous informons que les activités seront suspendues demain », écrit la Fondation humanitaire pour Gaza (GHF) en fin d’après-midi, mardi 27 mai.
En fait, la première distribution de colis alimentaires par la GHF a tourné au fiasco complet. La nouvelle a fait le tour de la bande de Gaza, de la planète humanitaire, des gouvernements du monde entier.
Le premier centre de distribution prétendument sécurisé ouvert, sur les quatre prévus, a été pris d’assaut. Les mercenaires de la société états-unienne de sécurité privée SRS, chargée de la distribution et de la sécurité, ont été totalement débordés. Et ont quitté les lieux précipitamment.
Tout était prévisible
Ils auront appris que l’aide humanitaire est un métier, surtout dans un territoire hermétiquement clos où la population est sciemment affamée depuis des mois.
Tout a commencé, raconte Rami Abou Jamous, journaliste palestinien présent à Gaza, quand les Israéliens ont fait de la publicité sur le début des opérations de distribution de colis alimentaires dans un des quatre centres prévus à cet effet, à Tel al-Sultan, quartier de Rafah entièrement rasé par l’armée de l’État hébreu. Les gens s’y sont rendus massivement.
Jusque-là, à en croire les images diffusées par l’armée israélienne, tout se passe bien. Tout est prêt pour recevoir les bénéficiaires. Tout est propre et bien rangé. Le sable, au sol, a même été ratissé. Sur un cliché pris par un drone et publié par le journal Israel Hayom, on distingue des personnes en ligne dans cinq couloirs séparés les uns des autres par des clôtures en métal. Elles sont bloquées derrière des grilles. Sagement.
D’autres photos, prises plus tard par l’entreprise SRS, montrent des enfants heureux recevant des colis. Souriants. Une petite fille a des produits plein les bras. Noël, en somme.
Dans chaque carton, affirment des sources sur place, une enveloppe jaune vif avec un QR code, et un message en anglais : « Donnez-nous votre avis, les réponses seront traitées anonymement et ne seront pas rendues publiques. » Le questionnaire de satisfaction est en arabe : sentiment de sécurité ou d’insécurité, qualité de l’accueil, recommandation – ou non – aux amis et à la famille. Cynisme absolu ou incompétence totale ? Ça suffit peut-être pour faire ses preuves dans le secteur touristique, mais certainement pas dans l’humanitaire. Qui ne s’improvise pas.
Le message que la distribution avait commencé s’est rapidement propagé, raconte encore Rami Abou Jamous. Et ce sont des dizaines de milliers de personnes affamées qui ont submergé le centre et les gardes de SRS.
« Ils ont été dépassés parce qu’ils ne sont pas préparés. Et ils n’ont pas conscience du désespoir de la population », assure une source humanitaire.
Tout pour l’image
Un autre professionnel renchérit : « Cette solution est impraticable, on le sait tous. Concentrer l’aide dans un seul endroit et prévenir par avance de la distribution, c’est la certitude d’avoir des mouvements de foule incontrôlables. Surtout dans une situation de faim comme celle que nous connaissons à Gaza, qui n’a jamais été aussi grave. »
« Les gens ont faim. La moitié des camions que l’on a réussi à faire entrer dans la bande de Gaza ces derniers jours ont été pillés, et dans nombre de cas, il s’est agi de pillage d’opportunité, pas de vols organisés, reprend un troisième. En règle générale, les humanitaires essaient de limiter la diffusion des informations sur le trajet et les lieux de stockage. On prévient d’une distribution le matin même, par SMS. Là, ils ont fait tout l’inverse. Ils ont inondé les réseaux sociaux à l’avance. »
L’armée israélienne, à contretemps, a d’abord accusé le Hamas de mettre en place des barrages pour empêcher les gens d’atteindre les centres de distribution.
Une fois la foule devenue incontrôlable, elle s’est abstenue de tirer. « Ça aurait signé le fiasco complet, affirme un humanitaire. On sait qu’ils peuvent tirer, ils l’ont fait plusieurs fois, lors des “massacres de la farine”, mais là, il y a une image à préserver. »
La Fondation humanitaire pour Gaza, elle, fait comme si de rien n’était, et assure que ses services reprendront après-demain, jeudi 29 mai.
Ce qui tend à prouver que cette opération israélo-états-unienne relève bien de la propagande et non de l’humanitaire. Ou du moins que l’humanitaire à la mode GHF sert plus à redorer l’image d’Israël, de plus en plus épinglé comme État paria, qu’à sauver la population gazaouie de la faim. Ce que les acteurs de l’humanitaire et les habitant·es de l’enclave palestinienne avaient bien compris.