Gaza : face à Israël, l’Europe sort du coma diplomatique ?

Publié le par FSC

Pierre Barbancey
L'Humanité du 21 mai 2025

 

La Commission européenne va entamer un processus de révision de l’accord d’association de l’UE avec Israël.© JOHN THYS / AFP

La Commission européenne va entamer un processus de révision de l’accord d’association de l’UE avec Israël, dont le chapitre II évoque le respect des droits humains. Cela pourrait aboutir à la suspension des relations commerciales favorables à Tel Aviv.
Un petit pas pour l’humanité, un grand pas pour l’Union européenne (UE). On pourrait être tenté de résumer ainsi l’annonce faite, le 20 mai, par la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas. « Il existe une forte majorité en faveur du réexamen de l’article 2 (sur le respect des droits humains) de notre accord d’association avec Israël. Nous allons donc nous lancer dans cet exercice », a-t-elle révélé à l’issue d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Bruxelles.
Cet article 2 stipule que les relations entre l’UE et Israël « sont fondées sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui guident leur politique intérieure et internationale et constituent un élément essentiel du présent accord ». La Commission européenne va entamer ce processus de révision pour vérifier si Israël respecte bien les droits humains et les principes démocratiques. Dans le cas contraire, une suspension pourrait être décidée.

L’Europe sort enfin de la passivité


Une fois n’est pas coutume, les Pays-Bas, considérés comme un allié solide d’Israël, ont lancé la semaine dernière la première salve, considérant que le « blocus humanitaire » imposé par Israël à Gaza constituait une « violation du droit humanitaire international » et donc de l’article 2 de l’accord.
Une proposition immédiatement soutenue par neuf États (la Belgique, la Finlande, la France, l’Irlande, le Luxembourg, le Portugal, la Slovénie, l’Espagne et la Suède), rejoints, mardi, lors de la réunion de Bruxelles, par l’Autriche, le Danemark, l’Estonie, Malte, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie. En revanche, la Bulgarie, la Croatie, Chypre, la République tchèque, l’Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l’Italie et la Lituanie se sont opposés à toute révision ou réexamen de ce partenariat.
L’UE est le premier partenaire commercial d’Israël, avec des transactions évaluées à plus de 45 milliards d’euros par an. Ce même jour, le Royaume-Uni a suspendu ses négociations commerciales avec Tel-Aviv et convoqué l’ambassadeur d’Israël en raison de ce qu’il a qualifié d’offensive « intolérable » à Gaza.
Incontestablement, l’Union européenne sort enfin de sa passivité. Cette décision est intervenue après que les premiers dirigeants du Royaume-Uni, de la France et du Canada ont prévenu qu’ils « ne resteraient pas les bras croisés » si le gouvernement de Netanyahou ne cessait pas sa nouvelle offensive militaire et ne levait pas significativement les restrictions sur l’aide humanitaire destinée à la population de la bande de Gaza.
Côté israélien, le mépris et la morgue prévalent. Alors qu’Israël a autorisé l’arrivée, lundi, de quelques premiers camions chargés d’aliments pour bébés et de fournitures dont le besoin est désespéré à Gaza, le chef des affaires humanitaires de l’ONU, Tom Fletcher, a décrit cela comme une « goutte d’eau dans l’océan de ce qui est nécessaire de toute urgence ». Le blocus de onze semaines sur l’entrée de l’aide semble effectivement avoir déclenché un revirement dans bon nombre de capitales européennes.
On peut cependant regretter que des pays comme l’Irlande et surtout l’Espagne n’aient pas été écoutés plus tôt. Il y a quinze mois, les deux États avaient, pour la première fois, évoqué la possibilité de revenir sur l’accord d’association, mais n’avaient pas été entendus. Le 14 février dernier, rebelote. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, et son homologue irlandais, Leo Varadkar, s’étaient directement adressés à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lui demandant d’évaluer d’urgence si Israël respectait les obligations en matière de droits de l’homme. Une lettre restée sans réponse.
L’Espagne est en pointe pour empêcher le gouvernement israélien d’accomplir son sinistre projet. Elle a annulé un contrat de 6,5 millions d’euros conclu avec une société militaire israélienne pour l’achat de munitions. « Ni six millions d’euros, ni même six milliards, ne peuvent justifier que l’Espagne prenne le risque d’être complice d’un génocide », avait alors lancé le secrétaire général du Parti communiste espagnol et député de Sumar, Enrique Santiago.
Le gouvernement de la communauté autonome espagnole de Catalogne a annoncé, mercredi, la fermeture de son bureau de commerce et d’investissement à Tel-Aviv. Mercredi, Mary Lou McDonald, la leader du Sinn Fein irlandais, a déposé un projet de loi au parlement de Dublin « visant à mettre fin à la vente d’obligations de guerre israéliennes par l’intermédiaire de la Banque centrale irlandaise. Ces obligations aident à financer la guerre brutale d’Israël contre Gaza, où des enfants meurent de faim et où plus de 500 vies ont été perdues ces derniers jours seulement. L’Irlande ne doit pas être complice. Elle ne peut pas faciliter le financement d’un génocide », a-t-elle expliqué sur les réseaux sociaux.

Une décision tardive face à l’urgence à Gaza
Cette décision d’entamer un processus de révision de l’accord d’association aurait pu être prise depuis longtemps. En septembre 2024, déjà, 200 organisations de la société civile en Europe avaient lancé un appel à la suspension de l’accord. Le 24 février dernier, les ministres des Affaires étrangères de l’UE avaient rencontré leur homologue israélien, Gideon Saar, à Bruxelles lors d’une réunion à huis clos.
Il s’agissait d’examiner le respect par les autorités israéliennes de leurs obligations en matière de droits de l’homme. « Nous avons eu une discussion franche sur des questions d’intérêt mutuel », avait indiqué Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne, ajoutant : « Nous suivons de près l’évolution de la situation et ne pouvons cacher notre préoccupation en ce qui concerne la Cisjordanie. »
On avait alors déjà dépassé les 40 000 morts à Gaza. Le ministre de Netanyahou, lui, s’était contenté de dire qu’Israël avait « prouvé qu’il était une force stable et solide » dans une région déchirée par les conflits, et appelé à ce que les relations entre Israël et l’UE ne soient pas « prises en otage par les relations israélo-palestiniennes ». Mercredi, on apprenait que des diplomates étrangers participant à une visite organisée par l’Autorité palestinienne, à Jénine (Cisjordanie), ont essuyé des « tirs de sommation » de la part de l’armée israélienne… De nombreux pays ont condamné les faits, et la France a annoncé la convocation de l’ambassadeur israélien.
L’Union européenne a imposé mardi un 17e train de sanctions à la Russie, mais semble toujours frileuse s’agissant d’Israël. La ministre suédoise des Affaires étrangères, Maria Malmer Stenergard, a bien laissé entendre qu’elle « ferait pression pour que l’UE prenne des sanctions à l’encontre de certains ministres israéliens », et certains pays ont proposé d’introduire de nouvelles sanctions contre les colons israéliens responsables de violences en Cisjordanie, mais ils se sont heurtés au veto de la Hongrie. Des mesures de toute façon bien insuffisantes et sans effet.
L’UE bouge, poussée par la réprobation internationale qui s’exprime partout de plus en plus fortement, y compris en Israël. Les marches appelant à un cessez-le-feu à Gaza et les manifestations anti-Netanyahou se multiplient. « Ce gouvernement est rempli de gens vengeurs, sans morale et incapables de diriger un pays en temps de crise. Cela met notre existence en danger », a dénoncé Yaïr Golan, leader des Démocrates (qui rassemblent le parti travailliste et le Meretz), appelant à remplacer le gouvernement d’extrême droite « au plus vite, afin que la guerre puisse prendre fin ». L’ancien premier ministre israélien, Ehud Olmert, a expliqué sur la BBC que « ce que fait Israël à Gaza est très proche de crimes de guerre ».
Il est temps maintenant d’aller plus loin, comme le réclame l’eurodéputé Marc Botenga. Le virage sur l’aile des Européens laisse désormais les États-Unis de Donald Trump comme seul allié de la coalition d’extrême droite à Tel-Aviv. L’Union européenne devrait s’inspirer de l’attitude de l’Espagne. Mardi, le Parlement espagnol a adopté une motion visant à imposer un embargo sur les armes contre Israël.


De même, la conférence sur la Palestine du 2 juin à l’ONU, coprésidée par l’Arabie saoudite et la France, pourrait en être l’occasion, notamment avec la reconnaissance de l’État de Palestine par Paris, comme l’ont fait récemment Madrid, Dublin, Stockholm et Ljubljana. La France entraînerait certainement dans son sillage de nombreux autres pays de l’Union européenne.
 

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Netanyahou instrumentalise l’urgence humanitaire


Malgré les pressions internationales croissantes, le gouvernement israélien continue de jouer avec la vie des Gazaouis en maniant la faim comme une arme. Sa décision de laisser passer au compte-gouttes les camions d’aide humanitaire, « pour des raisons pratiques », comme l’a déclaré cyniquement le premier ministre Benyamin Netanyahou, a été critiquée par de nombreux dirigeants et ONG.
Médecins sans frontières a pointé une aide « ridiculement insuffisante » face aux besoins du territoire. Pour la coordinatrice de MSF à Khan Younès, Pascale Coissard, il s’agit « d’une manière d’instrumentaliser l’aide en la transformant en outil au service des objectifs militaires des forces israéliennes ».
Le nouveau pape, Léon XIV, a appelé lors de sa première audience générale à laisser entrer « une aide humanitaire décente » à Gaza et à « mettre fin aux hostilités ». Dans la nuit de mardi à mercredi, au moins 19 personnes ont été tuées par les bombardements.

 

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