Quand l’impunité garantie à Israël devient intenable
Francis Wurtz
L'Humanité du 24 mai 2025
« Qui aurait pu imaginer que cela prendrait plus de dix-huit mois, pendant lesquels Israël massacrait et affamait les enfants de Gaza, pour qu’apparaissent les premières fissures dans le mur de soutien de « l’establishment » occidental à Israël ! » Comment ne pas partager l’indignation sinon l’écœurement du journaliste anglo-israélien Jonathan Cook, connu pour son engagement en faveur des droits humains, devant l’interminable silence complice de la plupart des gouvernements, notamment européens, face à l’avalanche de crimes de guerre de leur allié privilégié.
Si c’en est, semble-t-il, fini du soutien inconditionnel à Israël dans les chancelleries, c’est dû avant tout à la crainte de perdre toute autorité morale auprès des opinions publiques, même modérées ; le « risque de génocide », pointé dès janvier 2024 par la Cour internationale de justice, se confirmant chaque jour davantage à Gaza.
Si aujourd’hui, Emmanuel Macron envisage enfin de reconnaître l’État palestinien, si le Premier ministre britannique suspend ses négociations commerciales avec Israël, si l’Union européenne se résout, pour la première fois en trente ans, à suspendre, au moins partiellement, l’accord d’association qui la lie étroitement à Israël, c’est parce que leur immobilisme obstiné est devenu un boulet politique et qu’ils se sentent contraints de « faire quelque chose ».
L’impunité garantie même au pire gouvernement que ce pays ait connu devenait intenable : « Les démocraties occidentales et l’Union européenne (…) sont en train de sacrifier à Gaza les fondations morales sur lesquelles leur projet repose », soulignait fort justement, il y a quelques jours, l’ancien chef du bureau juridique de l’UNRWA à Gaza.
Espérons qu’on n’entendra plus, désormais, dans nos pays, des politiciens ou des médias reprendre à leur compte les insultes habituelles de Netanyahou qualifiant d’ « antisémite » toute remise en cause de sa politique. Pour libérer une bonne fois pour toutes nos concitoyennes et concitoyens de ces pressions ignobles, le rappel des prises de position lucides et courageuses qui se multiplient de la part de personnalités non suspectes d’hostilité envers les juifs ni à l’égard de l’État d’Israël est bienvenu.
Ainsi, la rabbine Delphine Horvilleur déclare-t-elle qu’ « Israël s’égare dans une déroute politique et une faillite morale ». En Israël même, se multiplient les initiatives prometteuses qui méritent d’être relayées, tel le « sommet populaire pour la paix » qui a réuni 5 000 personnes, le 9 mai dernier, à Jérusalem, ou des faits hautement significatifs qui gagnent à être connus, comme le phénomène de masse de réservistes refusant de servir, au risque d’être sanctionnés comme « déserteurs ».
D’autres indicateurs des débats internes à la société israélienne sont à signaler. C’est le cas de cet ancien ministre de la Défense, Moshe Ya’alon, accusant le chef d’État-major des armées de son pays de « cautionner des crimes de guerre », ou de cet historien israélien, Amos Goldberg, professeur de l’Holocauste au département d’histoire juive, qui soulignait en octobre 2024, dans le Monde, que « les tueries indiscriminées (…), la destruction (…) de presque tous les hôpitaux et universités, les déplacements de masse, la famine organisée, l’écrasement des élites et la déshumanisation étendue des Palestiniens, dessinent l’image globale d’un génocide ».
Et que dire du désespoir de ce jeune soldat face aux atrocités infligées sans raison par son commandant à un petit garçon gazaoui de 4 ans, qui témoigne au quotidien « Haaretz » : « On aurait dit que nous étions les nazis et qu’ils étaient les juifs » . Si l’on veut que le début de la fin de l’impunité conduise à des mesures suffisantes pour arrêter le bras des assassins, il faut propager la vérité. Que les bouchent s’ouvrent !