À Téhéran, sous les bombes : « Israël ne prend pas en compte les pertes civiles »

Publié le par FSC

Tania Meller
L'Humanité du 17 juin 2025

 

Depuis cinq jours, Israël bombarde Téhéran et sème la panique parmi les civils.© Majid Asgaripour/WANA

 

Depuis vendredi, la capitale iranienne subit des bombardements quotidiens du gouvernement israélien. Le bilan ne cesse de s’alourdir et pourrait atteindre les 250 morts. L’usure, la peur et la colère gagnent les habitants.
Au cinquième jour, l’armée israélienne multiplie les bombardements sans aucun signe de répit. La capitale iranienne se vide face à l’intensité des frappes qui ont déjà tué des centaines de personnes, principalement des civils. Les propos de Donald Trump ne rassurent guère les Iraniens.
L’inquiétude traverse l’ensemble des habitants à Téhéran. Une jeune mère raconte son épuisement : « Depuis vingt-huit heures, je n’ai pas eu la force d’écrire, de rassembler des mots pour exprimer mon profond dégoût à l’égard d’Israël et de tous ceux qui, directement ou indirectement, cautionnent ses attaques ».


Dans le centre et le nord de la capitale, deux puissantes détonations ont été entendues, mardi, par les journalistes de l’AFP sur place. La veille, l’arrondissement du nord-est de Téhéran avait été évacué après le missile qui a visé le bâtiment de la radiotélévision d’État iranienne (Irib). L’attaque a fait au moins trois morts.
Devant les victimes quotidiennes et les dégâts, la colère gagne la jeune femme, qui poursuit : « C’est un dégoût mêlé de rage, et je veux garder ce sentiment vivant en moi. Parce que peu importe à quel point ce monde devient injuste et brutal, peu importe à quel point on a l’impression que l’éthique n’a plus sa place, je crois toujours que la seule chose qui me maintient en vie est la conviction qu’une force de changement – même minime – peut encore s’éveiller en nous. Une force qui peut s’opposer à cette logique dominante. »

« Nous sommes livrés à nous-mêmes »


Outre la capitale, plusieurs villes sont ciblées. Dans le centre du pays, Ispahan a connu plusieurs explosions, notamment à l’est et au nord de l’agglomération, qui possède un centre d’enrichissement d’uranium. Devant l’ampleur des opérations, la « rage » transparaît chez de nombreux Iraniens, d’abord contre l’agresseur : Netanyahou.
« C’est que, pour nos dirigeants comme pour ceux d’Israël, nous, le peuple, n’avons pas la moindre importance. Israël ne prend pas en compte les pertes civiles. Et même si la République islamique décidait de se rendre, cela n’y changerait rien. Israël poursuivrait son programme, exactement comme en Syrie, comme au Liban, comme à Gaza », estime un jeune Iranien sous anonymat.


À Téhéran, les habitants n’oublient pas la responsabilité de « (leur) propre gouvernement ». « Si l’on s’en tient à ce que diffusent la télévision d’État et la propagande du régime, nous n’existons pas, reprend le jeune homme. Seul le porte-parole des gardiens de la révolution s’exprime, et uniquement pour parler à Israël. Aucune explication, aucune information destinée à la population. Pas un mot pour rassurer, aucun effort pour calmer, rien de ce qu’un gouvernement responsable est censé faire en temps de guerre. Aucune indication sur la conduite à tenir face aux attaques aériennes. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Complètement seuls. »


Un manque d’information qui pousse de nombreux Iraniens à s’installer dans des zones plus calmes. Malgré les sirènes, le bruit sourd des impacts de missiles et l’usure, de nombreux habitants restent à Téhéran, faute d’autre possibilité. « Je suis tellement accablée de chagrin que je viens de marcher dans les rues en pleurant. Je ressens un sentiment étrange, quelque chose que nous n’aurions jamais imaginé : la guerre… à Téhéran. Et pourtant, je ne veux même pas quitter la ville. C’est notre maison, pleine de souvenirs et d’expériences. Notre ville, notre pays a été violé. Ils ont jeté la mort sur notre sol », confie un jeune journaliste qui vit dans la capitale.


Faute de connaître l’étendue de l’escalade, la peur s’installe devant l’inconnu des prochaines heures. Une ancienne prisonnière politique témoigne : « Depuis quatre jours, mon cœur ne fait que sombrer. Il ne se soulève pas. Le bruit des systèmes de défense, les murs qui tremblent, la peur constante que les fenêtres se brisent d’un instant à l’autre. Je suis tellement terrifiée à l’idée de perdre mes proches que je préférerais mourir moi-même plutôt que de continuer à endurer cette peur. Et pourtant, un homme est assis derrière une caméra et scande : ”Femme, Vie, Liberté”. Nous devons trouver notre résistance. Nous devons nous réapproprier notre destin. Mais avant cela, il faut le dire clairement : nous avons peur. Nous sommes à peine en vie. »
Après les multiples répressions du régime, les sanctions, l’inflation, les difficultés sociales, le quotidien des Iraniens est désormais celui de la guerre déclenchée vendredi par le gouvernement israélien. De longues files d’attente s’étiraient mardi devant les boulangeries et stations-service de la capitale. Autre impact, l’un des principaux établissements financiers, la banque Sepah, a été ciblé par une cyberattaque le 17 juin. Cela a entraîné « des perturbations des services en ligne », a indiqué l’agence de presse Fars.


Malgré ces jours sombres, un des habitants à Téhéran constate : « Et pourtant, ce qu’il nous reste encore, c’est nous. Nos cercles, nos proches, nos communautés informelles. Ces groupes d’amis avec qui l’on prévoit un dîner, une rencontre, un anniversaire, sur Telegram, sur Instagram. Ces groupes familiaux, plus ou moins élargis, avec lesquels on échange, on plaisante, on partage un instant de normalité. Ce sont ceux qui nous écrivent, à qui nous répondons, avec qui nous partageons nos peurs, ne serait-ce que pour quelques secondes de réconfort. 

 

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