À Gaza, l'enfer du quotidien capté par la caméra du journaliste palestinien Mohammed Zaanoun
L'Humanité du 17 juin 2025
Mohammed Zaanoun, photographe et vidéaste palestinien, documente depuis 2006 le quotidien à Gaza malgré les dangers permanents. |
Originaire de Jaffa, cet homme balafré, rescapé du génocide, aujourd’hui exilé aux Pays-Bas avec sa femme et ses enfants, lutte chaque jour pour documenter l’horreur et porter la voix des Gazaouis sur qui pleuvent continuellement les bombes.
Mohammed Zaanoun est un rescapé. Voilà plus de vingt ans qu’il documente la vie à Gaza sous les bombardements. Dès ses 18 ans, il couvre le massacre perpétré dans le quartier d’Al-Shujaiyya et est pris pour cible par l’armée israélienne deux jours plus tard. Laissé pour mort, le photojournaliste palestinien finit par être amené à l’hôpital. Il en ressort mutilé, la partie droite de son visage paralysée et marquée à jamais. Un an plus tard, meurtrit dans sa chair, il est de retour à Gaza pour continuer son travail.
Dans l’enclave, la réalité est inimaginable. Depuis 2006, armé de sa caméra, Mohammed Zaanoun photographie et filme ce quotidien inhumain. Aujourd’hui systématiquement pris pour cible par l’armée israélienne, les journalistes sont tués. On en dénombre plus de 276 morts depuis octobre 2023. Documenter le génocide, c’est mettre sa vie et celle de ses proches en danger. Le gilet par balle « Press », censé être synonyme de protection, revient à se mettre une cible dans le dos.
Les Gazaouis finissent par craindre de les côtoyer, par crainte d’être tués avec eux, du fait de leur simple présence. « J’ai dû dormir dans la rue, sur les trottoirs. Je n’ai pas pu voir mes enfants par peur que ma famille soit ciblée à cause de mon travail », raconte-t-il. Heureusement, les journalistes sur place sont solidaires entre eux face à l’atrocité de la situation. Sa maison bombardée par l’armée israélienne, Mohammed Zaanoun doit extirper ses enfants des décombres.
« On ne veut pas être des héros, simplement faire notre travail »
Au cours de ses vingt années d’activité, il a couvert de nombreuses guerres, mais aussi la réalité de la vie dans les camps de réfugiés en Jordanie. Et surtout à Gaza. « Cette guerre a changé le sens de l’humanité dans le monde. Le droit international n’est pas respecté », souligne-t-il. Mohammed Zaanoun dit son malaise face à l’appel d’organisations en faveur de la fin du ciblage des journalistes. « Je ne sais pas par où il faudrait commencer… Les journalistes, les médecins, les enfants… On ne peut pas appeler à arrêter de tuer les journalistes sans appeler à la fin du génocide », clame Mohammed.
Arrivé en Europe l’an dernier avec ses quatre enfants et son épouse, il contacte toutes les institutions de la presse, en vain : « Il ne faut pas attendre qu’on devienne de l’actualité pour nous aider. On ne veut pas être des héros, simplement faire notre travail. »
Les récentes prises de position de quelques dirigeants politiques, comme celle d’Emmanuel Macron à l’orée de la conférence de l’ONU sur une potentielle reconnaissance de l’État de Palestine – reportée depuis –, l’ont laissé circonspect. « Nous accueillons cette position qui pourrait apporter un changement, mais elle arrive trop tard », regrette le journaliste.
« On se sent tellement impuissant »
Au rôle de journaliste s’ajoute celui de père de famille, mais aussi, dans certaines circonstances, celui de secouriste. Tenter d’extirper des enfants de sous les décombres, finir par ne plus entendre leur faible voix qui demandait de l’aide ; Mohammed a vécu et filmé ces moments atroces. « On se sent tellement impuissant, c’est peut-être ça le plus dur. » Ses parents et le reste de sa famille sont restés dans la bande de Gaza, malgré tous les efforts déployés pour les faire sortir. Aujourd’hui, comme tous dans l’enclave, ils font face aux bombardements constants, à la famine, à l’absence de soins et au manque de tout.
Si, ses rêves et espoirs brisés, Gaza subsiste malgré tout dans son cœur, le photojournaliste palestinien souhaite continuer à défendre les opprimés dans l’enclave. « Si on parle du droit de se défendre, nous avons le devoir de défendre l’humanité », explique-t-il, face à l’hypocrisie médiatique et politique. « Le drame n’a pas commencé en 2023, mais en 1948. Combien de femmes et d’enfants ont été pris en otages par les forces israéliennes ? » La détention administrative est constamment utilisée de façon arbitraire, au point que 40 % des hommes palestiniens sont passés par la prison au moins une fois dans leur vie, comme le décryptait l’historienne Stéphanie Latte Abdallah en 2021 dans l’Humanité.
Le travail de Mohammed Zaanoun, reconnu internationalement, a reçu le Free Press Awards 2024. Avec plus de vingt ans d’archives, il est en train de réaliser un film sur Gaza. Lors d’une visite à Paris, mardi 3 juin, des députés lui ont remis la médaille d’honneur de l’Assemblée nationale. « C’est un immense honneur, mais cette médaille n’est pas pour moi, elle doit être pour tous les journalistes palestiniens qui continuent de risquer leur vie sur le terrain », lance Mohammed, la main sur le cœur. Les larmes aux yeux et malgré tout plein d’espoir, il conclut : « Aujourd’hui, je lance un appel à l’humanité, à la fin du génocide et au maintien de la vie.