« Israël a le droit de se défendre » : un principe à géométrie variable

Publié le par FSC


Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin
Tribune - L'Humanité du 17 juin 2025

 

 

Dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, Israël a lancé une vaste offensive aérienne contre l’Iran. Près de 200 avions ont frappé des installations industrielles et militaires dans tout le pays. Nom de code : Le Lion qui se lève. Quelques heures auparavant, Benyamin Netanyahou récitait au Mur des Lamentations un verset biblique : « Il ne se couchera pas sans avoir dévoré sa proie. » Le message était limpide : ce n’était pas une opération militaire, mais une croisade.
Depuis des années, Netanyahou agite la menace iranienne comme un épouvantail. Il parle d’un « danger existentiel », mobilise la mémoire du génocide des juifs, érige chaque désaccord stratégique en lutte du Bien contre le Mal. Une rhétorique totalisante, destinée à étouffer toute contestation interne, à rallier les soutiens occidentaux, et à légitimer une politique d’agression sans retenue. Mais cette fois, l’escalade militaire risque de faire basculer toute la région dans le chaos.

Une formule qui absout tout


« Israël a le droit de se défendre » : cette formule, reprise mécaniquement par des dirigeants comme Emmanuel Macron, est devenue un réflexe diplomatique, presque liturgique. Elle dispense d’analyse, évacue les responsabilités, gomme les rapports de force. Pourtant, une question s’impose : de quoi Israël se défend-il aujourd’hui ?
De l’Iran, puissance régionale affaiblie, étranglée par des décennies de sanctions ? Un régime contesté de l’intérieur en bout de course ? De Gaza, enclave assiégée, sans armée, sans aviation, avec un Hamas aux abois et dont plus de 70 % des infrastructures ont été détruites ? De la Cisjordanie, occupée depuis 1967, morcelée, colonisée en violation du droit international ? Israël est la seule puissance nucléaire de la région et dispose d’une armée parmi les plus sophistiquées au monde. Pourtant, il continue d’agiter une prétendue menace « existentielle » face à des ennemis infiniment plus faibles.


Le droit à la légitime défense, consacré par la Charte de l’ONU, implique des critères précis : nécessité, proportionnalité, distinction entre civils et militaires, interdiction des punitions collectives. Or, ce que nous voyons, ce sont des frappes préventives, des représailles massives, des civils visés, des infrastructures vitales détruites. Ce n’est plus de la défense : c’est de l’expansion armée sous couvert de droit.

Une diversion politique


L’offensive contre l’Iran n’est pas une surprise. Elle intervient opportunément à un moment où des négociations entre l’Iran et les États-Unis ont fait des progrès notables, certains disaient qu’elles étaient sur le point d’aboutir. La grande fragilité de Netanyahou justifie toutes les dérives : sa gestion de la guerre à Gaza est un échec, la colère gronde face au sort des otages, et les scandales de corruption le rattrapent. En frappant l’Iran, il cherche à rallumer un réflexe d’unité nationale, à détourner l’attention de sa débâcle intérieure, à repousser ses échéances judiciaires. C’est une diversion stratégique, dangereuse, qui met en péril la stabilité régionale.
Israël ne se contente pas de riposter : il anticipe, frappe, construit ses récits de guerre en narrations morales, effaçant systématiquement les civils de l’équation. L’histoire contemporaine en témoigne :
1948 : expulsion de 750 000 Palestiniens (la Nakba)
1956 : offensive coordonnée avec la France et le Royaume-Uni contre l’Égypte
1967 : guerre préventive suivie d’une occupation illégale
1982 : invasion du Liban et massacres de Sabra et Chatila
2008-2023 : cinq offensives contre Gaza, sans armée ni défense aérienne

L’engrenage de l’impunité


Gaza est aujourd’hui une zone sinistrée, la Cisjordanie grignotée morceau par morceau, le Liban bombardé, la Syrie régulièrement frappée, le Yémen, l’Irak, l’Iran visés tour à tour. Chaque crise devient un levier d’intervention. Et pendant ce temps, les chancelleries occidentales répètent en boucle leur litanie : « Israël a le droit de se défendre », comme si le droit international ne s’appliquait qu’aux faibles.
Dans ce déséquilibre assumé, ce ne sont pas les États qui tombent : ce sont les peuples. Palestiniens, Iraniens, Libanais, Yéménites : tous paient le prix d’un ordre mondial à deux vitesses, où l’impunité tient lieu de doctrine. Le « droit de se défendre » devient ainsi un droit d’agresser, sanctuarisé par le silence complice des grandes puissances.
Il ne s’agit pas ici de nier les enjeux de sécurité, ni de blanchir des régimes autoritaires, encore moins d’encourager la prolifération nucléaire. Il s’agit de refuser le “deux poids deux mesures”, l’effacement du droit sous les bombes, la cécité volontaire. Car un droit vidé de ses principes n’est plus qu’un instrument de domination.

Une question fondamentale


Il est temps de reconsidérer ce que signifie la légitime défense dans un monde où certains États se donnent carte blanche pour bombarder, occuper, effacer. Peut-on encore parler de droit quand ce dernier ne protège plus que les plus forts ? Quand il devient l’argument ultime pour justifier l’injustifiable ?
Alors que les cris des civils se perdent dans le vacarme des frappes, que les ruines s’accumulent et que les diplomaties se taisent, la question n’est plus celle du droit d’un État à se défendre, mais bien : jusqu’où permettra-t-on à ceux qui violent le droit international de le faire au nom de ce droit même ?

 

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