Aux États-Unis, la guerre de Donald Trump en Iran déclenche l’ire des démocrates et divise les républicains
Antoine Portoles
L'Humanité du 22 juin 2025
Bien que Donald Trump rompe avec ses soutiens isolationnistes, une part importante de ses partisans disent approuver une intervention militaire directe en Iran.NurPhoto via AFP |
En agissant unilatéralement en Iran sans passer par le Congrès, Donald Trump a provoqué la colère du camp démocrate, qui l’accuse de violer la loi suprême. L’abandon de la doctrine isolationniste divise les républicains.
« LES ÉTATS-UNIS ENTRENT EN GUERRE CONTRE L’IRAN », a placardé en lettres capitales le New York Times à la une de son site. Les termes sont posés. La décision prise, dans la nuit du samedi 21 juin au dimanche 22 juin, par Donald Trump de bombarder les sites nucléaires iraniens – en coordination avec l’armée israélienne – bouscule la société états-unienne. L’oukase, Trump est un coutumier du fait. Pour la presse nationale, son coup de force unilatéral pose question.
« Avec cette décision fatidique, Donald Trump joue sa présidence sur la guerre », acte le Washington Post. Le quotidien, qui souligne un virage à 180 degrés par rapport à sa doctrine isolationniste, observe que la perspective d’un conflit dans la durée avec l’Iran « suscite déjà la colère de certains membres de sa base politique ». C’est que l’hypothèse d’une intervention américaine fracture le camp trumpiste depuis le lancement des hostilités par Tel-Aviv, le 13 juin.
La base trumpiste approuve massivement les bombardements contre Téhéran
Au sein de la sphère Make America Great Again (MAGA), Steeve Bannon ou encore l’éditorialiste conservateur Tucker Carlson se sont clairement opposés à cette éventualité. Marjorie Taylor Greene, élue républicaine de Géorgie à la Chambre des Représentants et complotiste notoire, est allée plus loin sur X : « Il n’y aurait pas de bombes qui tomberaient sur le peuple israélien si Netanyahou n’avait pas d’abord largué des bombes sur le peuple iranien (…) Ce n’est pas notre combat ».
Qu’en pensent vraiment les électeurs de Trump ? Bien que sa promesse de rompre avec les guerres lointaines vienne de partir en fumée, d’après un sondage réalisé à la mi-juin par l’institut Gray House auprès de la base républicaine, près de 80 % des personnes interrogées se disent favorables à la fourniture d’armes offensives à Israël en vue de cibler Téhéran.
Et ils sont 72 % à approuver une intervention militaire directe, soit un bond fulgurant de 53 % par rapport à la précédente enquête, ce qui signifie aussi que la part des anti-guerre semble avoir été surévaluée dans la coalition républicaine. Sur le réseau Truth Social du milliardaire, les inquiétudes demeurent, mais Politico constate que de nombreux zélateurs du MAGA semblent être rentrés dans le rang, applaudissant « des frappes limitées ».
L’inconstitutionnalité au cœur des débats
Ladite formulation n’est pas employée par hasard. Si la Constitution des États-Unis dispose que le président ne peut déclencher une guerre sans l’aval du Congrès, il peut toutefois décider unilatéralement, lui qui est le commandant en chef des armées, d’ordonner le déploiement de troupes et de mener des opérations militaires qualifiées de limitées, ce sans déclarer formellement la guerre à un autre État, à condition que ces décisions soient nécessaires pour défendre les intérêts ou le personnel américains.
Ronald Reagan en Libye en 1986, Bill Clinton en Serbie et au Kosovo en 1999, ou encore Barack Obama contre l’État Islamique et la Syrie entre 2014 et 2016… Ce n’est pas la première fois qu’un président outrepasse les prérogatives du Congrès pour déclencher des bombardements. Donald Trump en a lui-même usé en Syrie, en 2017. S’agissant de l’Iran, l’intéressé est catégorique : il ne s’agit pas d’une déclaration de guerre. Le seuil d’appréciation demeure poreux d’un point de vue constitutionnel. Consiste-t-il en l’envoi de soldats au sol ?
Dans le camp progressiste, la décision de Trump est quoi qu’il en soit jugée inconstitutionnelle. Alors en plein meeting samedi soir à Tulsa (Oklahoma), Bernie Sanders a appris la nouvelle en direct par le biais d’une feuille glissée sur son pupitre. Visiblement décontenancé, le sénateur du Vermont hoche la tête de gauche à droite, puis lit au public la déclaration du président républicain.
Contre la guerre, les démocrates s’élèvent face à Donald Trump
« Plus de guerres ! » scandent ses partisans à plusieurs reprises. « Vous savez tous que la seule entité qui peut mener ce pays à la guerre est le Congrès des États-Unis. Le président n’en a pas le droit ! », fulmine l’ancien candidat à la primaire démocrate, sous les applaudissements de l’auditoire. Le énième oukase trumpiste, une prise de risque sur un « coup de tête », résume Alexandria Ocasio-Cortez. « C’est incontestablement un motif clair de destitution », argue la représentante démocrate de New York.
Tim Kaine, sénateur démocrate de Virginie, rappelle à raison que l’opinion publique états-unienne « est massivement opposée à une guerre contre l’Iran ». L’opposition à cette opération militaire pourrait transcender le bipartisme ; c’est en tout cas le pari que font les démocrates au moyen d’un projet de loi pour tenter d’entraver la capacité d’agissement de Trump en Iran.
À ce titre, Chuck Schumer, chef des démocrates au Sénat, a enjoint le patron de la majorité républicaine, John Thune, à soumettre cette résolution au vote. « Le risque d’une guerre plus vaste, plus longue et plus dévastatrice s’est désormais considérablement accru », a-t-il alerté.