Enfants tués à Gaza : une plainte est déposée devant la justice française
Médiapart du 06 juin 2025
![]() |
Bombardements israéliens sur Gaza le 24 octobre 2023. © Photo Ali Jadallah / Anadolu via AFP |
Une plainte contre X est déposée vendredi auprès de la justice française pour la mort à Gaza, dans un bombardement israélien, de deux enfants français. Elle s’inscrit dans un mouvement mondial de poursuites contre des responsables et des soldats israéliens.
C’est une histoire tragiquement commune dans la bande de Gaza : une famille brisée, une fratrie décimée. Le bombardement d’une maison, les murs qui s’effondrent sur les habitant·es, deux enfants tués, un troisième et leur mère très gravement blessés. Une vieille histoire, pourrait-on dire au regard des vingt mois de la guerre génocidaire, les tirs d’avions militaires israéliens F-16 ayant eu lieu le 24 octobre 2023. Un bilan somme toute minime, pourrait-on avancer, au regard des massacres de masse commis depuis lors quasiment quotidiennement.
Sauf que Janna, petite fille de 9 ans à l’époque, et Abderrahim, garçonnet de 6 ans – mort dans le bombardement pour le second, sur le chemin de l’hôpital pour la première –, étaient citoyenne et citoyen français. De même que leur mère et leur petit frère Omar, pas même 3 ans, rescapé de l’attaque mais souffrant de multiples fractures.
C’est à ce titre qu’aujourd’hui, près de vingt mois après le raid aérien meurtrier, la grand-mère des enfants, Jacqueline Rivault, Française résidant sur le territoire national, dépose plainte auprès de la justice française pour crime de guerre, crime contre l’humanité et crime de génocide. Elle est épaulée par la Ligue des droits de l’homme (LDH).
Cette plainte contre X poussera la justice française à mener les investigations nécessaires pour déterminer les responsables de la mort des enfants et des blessures infligées à leur petit frère, estime Arié Alimi, l’avocat de Jacqueline Rivault. « Nous n’avons bien sûr pas les éléments nous permettant de désigner qui a appuyé sur le bouton, qui a participé, qui a donné les instructions ou les ordres, indique Arié Alimi à Mediapart. Le juge d’instruction déterminera les responsabilités, choisira la qualification pénale la plus adéquate et lancera les mandats d’arrêt internationaux. »
L’espoir est que le dossier soit confié à l’un des juges du pôle spécialisé dans la lutte contre les crimes contre l’humanité, car la plainte inscrit la mort des deux enfants et les blessures dans le cadre de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis par l’armée israélienne contre la population de la bande de Gaza.
Le plainte mentionne les « attaques généralisées et/ou systématiques commises par l’armée israélienne depuis de nombreuses années » et « exécutées conformément à un plan concerté et assumé du gouvernement israélien », de même que « l’intention d’éradiquer les membres de la population civile est manifeste dès lors que l’armée israélienne a systématiquement ciblé des quartiers résidentiels dans lesquels se trouvaient des civils ». Elle affirme également que « ces actes d’une gravité particulière ont été commis à l’encontre de personnes faisant partie d’un groupe national visé en raison de leur appartenance audit groupe ».
Une stratégie mondialisée contre l’impunité
« Nous avons une décision de la Cour internationale de justice qui considère plausible le risque de génocide, de propos tenus, dès octobre 2023, par des dirigeants israéliens dans le cadre de l’action militaire, qui dénotaient la volonté de détruire ou faire disparaître la population de Gaza, reprend Arié Alimi pour expliquer le choix de la qualification de « génocide ». Ces déclarations sont réaffirmées et parfaitement assumées aujourd’hui. »
C’est la première plainte concernant des victimes de nationalité française déposée en France.
Mais l’initiative n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un édifice juridique en train de se construire mondialement à l’instigation de différentes organisations de défense des droits humains et de groupements de juristes. Qui font, en quelque sorte, feu de tout bois : saisine de la Cour pénale internationale (CPI), laquelle a déjà émis des mandats d’arrêts contre Benyamin Nétanyahou et son ancien ministre de la défense Yoav Gallant, dépôt de plainte en vertu de la compétence universelle, plaintes nominatives contre des soldats israéliens binationaux.
Ainsi, le 17 décembre 2024, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) a déposé plainte, avec trois organisations palestiniennes, Al-Haq, Al-Mezan et Palestinian Centre for Human Rights (PCHR), contre un soldat franco-israélien, Yoel O. Elle l’accuse d’être l’auteur d’une vidéo postée sur les réseaux sociaux montrant des détenus palestiniens en combinaison blanche, yeux bandés et mains liées, l’un d’entre eux présentant des signes de torture. L’auteur les insulte en français. La procédure est en cours, indique à Mediapart Clémence Bectarte, avocate de la FIDH.
D’autres procédures vont être lancées par la FIDH et ses organisations palestiniennes partenaires dans plusieurs pays européens, visant également des soldats binationaux ayant participé ou participant, sous drapeau israélien, à la guerre génocidaire dans la bande de Gaza.
Créée en septembre 2024 en mémoire d’une fillette tuée par des tirs de l’armée israélienne le 29 janvier 2024, la Fondation Hind Rajab, basée à Bruxelles, a transmis en octobre 2024 à la Cour pénale internationale un dossier comprenant les noms de mille soldats israéliens. Elle a également déposé plainte, toujours auprès de la CPI, contre le général de brigade Yehuda Vach et contre le ministre israélien des affaires étrangères Gideon Sa’ar au mois de février.
Elle lance également des poursuites en vertu de la compétence universelle dans tous les pays où celle-ci s’applique et où elle repère des soldats israéliens.
Ces démarches sont aidées par les soldats israéliens eux-mêmes qui postent des vidéos sur les « exploits » dans la bande de Gaza sur les réseaux sociaux puis des photos de vacances… À telle enseigne que l’armée israélienne a donné comme consigne à ses troupes d’éviter ce genre de posts et décidé de masquer systématiquement les visages des militaires sur ses images.
La nature des poursuites est différente, mais l’objectif est le même : multiplier les voies de recours alors que les voies politiques et diplomatiques se montrent incapables d’arrêter la guerre génocidaire et que l’impunité des forces israéliennes est totale, quels que soient leurs actes.
« Notre plainte aura des conséquences en termes de mandats internationaux, assure Arié Alimi. Le risque juridique est important pour ceux qui participent de près ou de loin à ce type d’actes, et nous avons l’espoir qu’ils se disent que le risque d’être enfermés dans leurs frontières est important. » Autrement dit, les plaintes, contre X comme nominatives, auraient entre autres un effet dissuasif.
Elles visent aussi, affirme Clémence Bectarte, à combler un manquement des juridictions nationales : « Dans nombre de pays dotés de pôles spécialisés dans les crimes contre l’humanité et génocides, ces derniers se sont autosaisis de crimes commis en Syrie, puis en Ukraine. Mais concernant Gaza, rien. C’est alarmant, et nous devons pallier cela car il est impossible de laisser sans réponse ce qui se passe à Gaza.