Guerre au Moyen-Orient : l’Iran riposte et vise des bases américaines en Irak et au Qatar
L'Humanité du 23 juin 2025
Le président américain Donald Trump quitte la scène après s’être adressé aux troupes de la base aérienne d’Al-Udeid, au sud-ouest de Doha, le 15 mai 2025.© Brendan SMIALOWSKI / AFP |
Ce 23 juin, deux jours après les bombardements américains sur ses sites nucléaires, Téhéran a bombardé la base d’Al Udeid, au Qatar, le quartier général américain dans la région. Ces représailles sur les bases américaines touchent quatre pays.
L’Iran avait peu de cartes en main mais aura donc mis à exécution sa menace de frapper les intérêts états-uniens au Moyen-Orient en cas d’implication directe de Washington. Au lendemain des frappes ordonnées par le président Donald Trump contre les installations nucléaires de Fordo, Natanz et Ispahan, Téhéran a procédé, ce 23 juin, à des tirs de missiles contre la base aérienne d’Al Udeid, au Qatar, la plus importante dont dispose les États-Unis dans la région.
Ce quartier général du Commandement central des États-Unis (Centcom, qui supervise les opérations militaires américaines au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud), qui abrite 10 000 militaires et civils, est protégé par un ensemble de systèmes de défense aérienne. Il était en état d’alerte maximale ces derniers jours.
Une base en Irak a également été visée, selon Reuters. Au Bahreïn, où se trouve le siège de la cinquième flotte états-unienne, les sirènes ont retenti. Dans la foulée de l’opération, le Koweït, l’Irak, le Bahreïn, le Qatar et les Émirats arabes unis ont fermé leur espace aérien. Immédiatement après les tirs de missiles iraniens, plusieurs explosions ont été entendues dans le centre de Téhéran.
La base d’Al Udeid était vide
Cette opération, baptisée « Présages de conquête », pourrait laisser présager une implication plus grande des États-Unis et une déstabilisation de l’ensemble du Moyen-Orient. Selon les informations dont nous disposons à l’heure où ces lignes sont écrites, les Iraniens ont tiré 10 missiles sur le Qatar et au moins 6 sur l’Irak. Ils sont donc loin d’avoir saturé le ciel.
L’Iran précise néanmoins que le nombre de missiles tirés sur la base aérienne d’Al Udeid correspond au nombre de bombes larguées par les États-Unis sur les sites nucléaires iraniens. Cela pourrait être le signe de la volonté de Téhéran d’une désescalade, selon l’agence de presse AP.
Entendent-ils seulement lancer un avertissement ? Tout dans le mode opératoire laisse penser à une réponse graduée de la part des autorités iraniennes, qui n’entendent visiblement pas vouloir trop faire monter la tension. Selon le New York Times, l’Iran aurait coordonné les frappes qui ont ciblé le Qatar avec Doha en fournissant un préavis afin de limiter les pertes. On ne dénombre ainsi aucun mort et aucun blessé. Une information confirmée par le Pentagone.
En 2020, déjà, Téhéran avait prévenu l’Irak avant de procéder au lancement de missiles balistiques sur une base américaine, en représailles après l’assassinat de son plus haut général, Ghassem Soleimani, commandant de la force al-Qods du corps des gardiens de la révolution.
Les tarmacs de la base d’Al Udeid étaient vides. Les avions qui n’étaient pas à l’abri avaient été déplacés avant les tirs iraniens, ont indiqué des sources militaires à la chaîne d’information CNN. Certains navires déployés au Bahreïn ont également été évacués la semaine dernière. Le ministre des Affaires étrangères du Qatar, Majed Al Ansari, n’avait d’autre choix que de dénoncer l’attaque comme « une violation flagrante de sa souveraineté et de son espace aérien, mais aussi du droit international et de la charte des Nations unies ».
Il précise : « Nous affirmons que l’État du Qatar se réserve le droit de répondre directement, de manière proportionnée, à la nature et à la portée de cette agression flagrante en conformité avec le droit international. » L’Arabie saoudite, qui avait également procédé à un rapprochement inédit avec l’Iran sous l’égide de la Chine en 2023, a également condamné « dans les termes les plus forts » l’attaque de l’Iran au Qatar, la qualifiant de « violation flagrante du droit international ».
Une guerre illégale
Dimanche, les gardiens de la révolution avaient signalé que le nombre, la dispersion et la taille des bases militaires américaines au Moyen-Orient constituaient un « point de vulnérabilité » plutôt qu’une force. Ils ont voulu en faire la démonstration tout en sachant que leurs missiles seraient interceptés. Il s’agit donc davantage d’un avertissement. Et ce d’autant plus que le Qatar et l’Iran entretiennent de bonnes relations. Ils ont récemment convenu de développer leur coopération commerciale et économique.
Des projets bilatéraux d’amélioration des infrastructures avaient même été évoqués, et notamment la construction du plus long tunnel sous-marin du monde reliant les deux pays et une entité commune de change conçue pour contourner les sanctions internationales et rationaliser les transactions financières.
« Ils exploitent communément avec les Iraniens une grosse poche de gaz naturel sous-marine, située entre les deux États. Le fait que la situation dégénère serait très préjudiciable pour leurs intérêts économiques », explique Didier Billon, le directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) à l’Humanité.
Le changement de doctrine de Trump quant à la possibilité d’interventions extérieures a brouillé le message avec les États du Golfe qui, selon Didier Billon, « avaient pris en compte le fait que Trump se voulait un homme de paix prêt à régler les problèmes par la voix de la négociation et du commerce ». Aujourd’hui, note le chercheur, « ils sont inquiets de la tournure que prennent les événements, ce qui crée une défiance de leur part à l’égard des États-Unis ».
Peu après la riposte iranienne, Donald Trump a convoqué une réunion dans la salle de crise de la Maison-Blanche avec le secrétaire à la Défense et les chefs d’état-major interarmées, pour évaluer la situation et probablement le niveau de riposte. Avant même les frappes, le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne avait appelé – encore une fois – les parties à la « désescalade ».
Plus tôt dans la journée, le président français, Emmanuel Macron, s’était exprimé depuis la Norvège : « Si on peut considérer qu’il y a une légitimité à neutraliser des structures militaires en Iran, compte tenu des objectifs qui sont les nôtres, il n’y a pas de cadre de légalité. » Une manière de rappeler aux États-Unis, mais aussi à Israël, que la guerre actuelle a été déclenchée hors des instances internationales. La porte avait été ouverte par le camp européen, qui avait montré un soutien sans faille à Israël et son prétendu « droit à se défendre » dès le déclenchement des opérations contre l’Iran.