Guerre Israël-Iran : en Cisjordanie occupée, les Palestiniens pris entre deux fronts redoutent un conflit sans issue
L'Humanité du 18 juin 2025
Absence d’abris sécurisés, crainte d’une escalade mondiale… En Cisjordanie occupée, la nouvelle guerre de Benyamin Netanyahou contre son ennemi chiite inquiète la population. L’Autorité palestinienne envisage d’interdire les rassemblements.
Comme de l’autre côté de la ligne verte, les fenêtres tremblent régulièrement depuis le vendredi 13 juin en Cisjordanie, au son inquiétant des interceptions de missiles et de roquettes iraniennes et yéménites par les dispositifs de défense israélienne. Les soirs où le ciel est traversé par les lumières des salves venues de l’est, les rues de Ramallah retentissent des sifflets de certains jeunes venus observer leurs vols vers Israël.
Assis sur la terrasse de l’Institut franco-allemand de la ville, un tas de copies à corriger devant lui, Marcel Qumsieh, enseignant de 42 ans, a bien conscience que ce genre de vidéo tourne sur les réseaux sociaux et provoque au mieux de l’incompréhension, au pire de la colère de la part des observateurs non conscients des réalités du Moyen-Orient.
« Ces réactions viennent d’un sentiment nihiliste des Palestiniens, qui souffrent trop pour se soucier des conséquences des attaques iraniennes sur les civils israéliens. C’est lié à des décennies de violence de la part de l’occupation, analyse-t-il. Aussi, les gens ont vu chaque jour depuis un an et demi des images terribles du génocide à Gaza dans l’indifférence internationale. Aucune opposition n’a été faite au comportement d’Israël qui enfreint des lois chaque semaine, alors quand l’Iran répond à l’attaque d’Israël avec des missiles, on y voit une punition inédite. »
L’Iran, dernier allié politique
Pour ce chrétien, la société cisjordanienne n’est pas dupe quant aux motivations réelles de l’Iran de répliquer à Israël. Le régime des mollahs n’est pas vu ici comme un véritable allié de la cause palestinienne, mais comme une puissance avec ses propres velléités expansionnistes. « Nous n’aimons pas ce régime, nous avons vu qu’il provoque des souffrances auprès de son peuple. Mais les faits sont là : ils sont les seuls à nous défendre contre Israël », abonde-t-il.
À quelques rues de là, Fares Khoury, palestinien d’une trentaine d’années, sirote une bière à Garage, l’un des bars branchés de la ville. Il travaille pour une organisation non gouvernementale étrangère dont il préfère taire le nom. « Après la révolution iranienne, il y a eu tellement d’hostilité face à l’Iran de la part de l’Ouest qu’il me paraît logique qu’ils se soient dotés d’installations nucléaires civiles et militaires. Tout comme Israël, d’ailleurs », précise-t-il, en référence à la ratification du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) par l’Iran en 1970, qu’Israël n’a jamais souhaité signer.
Si l’avancée du programme nucléaire iranien est très opaque, Tel-Aviv disposerait d’un arsenal de près d’une centaine d’ogives, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). Fares Khoury n’exclut pas que cette nouvelle guerre israélo-iranienne dure, ni qu’elle prenne des proportions mondiales.
« Je pense que Benyamin Netanyahou, après Gaza, passe à l’étape iranienne, car il sait que s’il ne distrait pas son peuple avec des guerres, il sera rattrapé par les affaires judiciaires. Mais cette fois-ci, le Pakistan, qui est aussi une puissance nucléaire, soutient l’Iran », affirme-t-il. Et de conclure avec un sourire amer : « Au moins, cela réglerait la question palestinienne : soit l’Iran gagne et on sort de l’occupation, soit notre peuple disparaît. »
Le spectre d’une guerre sans fin
Devant la station-service de Ramallah Tahta, quartier historique de la principale ville de Cisjordanie occupée, les pompistes font face depuis le début de la guerre entre Israël et l’Iran à un embouteillage permanent. Sur les visages derrière les pare-brise, l’agacement, lié à l’attente, se mêle au stress de ne pas arriver à temps pour remplir le réservoir. Le lieu a fermé dimanche 15 juin, après épuisement des réserves de carburant ; une limite de 100 shekels d’essence par usager (soit près de 25 euros) a depuis été fixée pour prévenir toute pénurie.
« Les gens ont fait la même chose avant l’anniversaire de l’attaque du 7 octobre 2023, puis lorsque l’Iran a lancé 200 missiles vers Israël le même mois. Nous avons l’habitude de nous préparer au pire », explique Hassan, l’air las, qui tient un stand de café près de la vieille ville. Confrontés à leur crainte d’une nouvelle guerre à rallonge, les Palestiniens interrogés dans les rues de Ramallah admettent tous avoir eu quelques sueurs froides ces derniers jours. Les abris de sécurité personnels ou collectifs sont ici inexistants, tout comme dans certaines villes arabes d’Israël.
Depuis le début des réponses iraniennes, la défense civile de l’Autorité palestinienne a répertorié 80 chutes d’éclats de projectiles en Cisjordanie. Elle en décompte une seule de roquette, tombée le soir du vendredi 13 juin dans un jardin à Hébron, plus au sud. En tout, sept Palestiniens de Cisjordanie ont été blessés, dont plusieurs enfants.
Les universités palestiniennes ont fermé vendredi 13 juin jusqu’à nouvel ordre, et « une interdiction de rassemblements dans toute la Cisjordanie » n’est pas exclue, selon le colonel Nael Al Azza. Le nombre de volontaires est par ailleurs passé de 300 à 900 en quelques jours, pour compenser, explique-t-il encore, le « bouclage des villages et des villes par l’occupation » et la présence dissuasive sur les routes de colons israéliens, rendant quasiment impossible tout déplacement dans les territoires occupés