Historique : la France reconnaît enfin la Palestine
L'Humanité du 22 septembre 2025
| Emmanuel Macron à la tribune de l’ONU lors de son discours de reconnaissance de la Palestine par la France, le 22 septembre 2025 à New York.© Angela WEISS / AFP |
Emmanuel Macron a prononcé, lundi soir, à l’ONU, un discours qui entérine une prise de position attendue de longue date. D’autres États occidentaux se sont aussi engagés dans ce processus, qui, bien que majeur, restera totalement inopérant tant que des pressions ne seront pas effectives pour faire valoir les droits des Palestiniens.
« Le temps est venu car le pire peut advenir nous devons ouvrir ici même ce chemin de paix (…) C’est pourquoi, fidèle à l’engagement de mon pays au Proche-Orient, pour la paix des peuples israéliens et palestiniens, je déclare que la France reconnaît aujourd’hui l’État de Palestine. »
Par ce discours historique prononcé lors de l’ouverture de la conférence internationale pour la solution à deux États en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, il a fait de la France, ce 22 septembre, le 154e pays à reconnaître un État qui demeure pour l’heure une entité incomplète, privée de ses droits et d’une grande partie de son territoire.
Cette reconnaissance constitue un acte diplomatique majeur, malgré les limites posées par le texte défendu conjointement avec l’Arabie saoudite. Car la France, malgré une aura diplomatique étiolée et une voix longtemps singulière aujourd’hui atrophiée, reste une puissance occidentale de premier plan, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, où elle détient un droit de veto, et membre du G7. Selon l’Élysée, la déclaration de New York qui devait être adoptée par l’ONU et la conférence pour la solution à deux États constituent un véritable « plan de paix ». « Rien ne justifie plus la poursuite de la guerre à Gaza. Rien, insiste M. Macron. Tout commande au contraire d’y mettre un terme définitif. Maintenant, à défaut de l’avoir fait plus tôt, pour sauver des vies, les vies des otages israéliens encore détenus dans des conditions atroces, les vies de centaines de milliers de civils palestiniens accablés par la faim, la souffrance, la peur de mourir, le deuil de leurs proches. »
154e pays : ce chiffre dit tout du retard accumulé. Il aura fallu trente-sept ans depuis sa proclamation par l’OLP en 1988 – et un génocide toujours en cours dans la bande de Gaza – pour que la France se décide enfin à franchir le pas. Elle a d’ailleurs été précédée de quelques heures par plusieurs autres pays occidentaux : le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, soucieux de ne pas donner le sentiment de suivre le mouvement. D’autres pays se sont joints à la déclaration de New York et à la démarche franco-saoudienne : Andorre, Belgique, Luxembourg, Malte, Portugal et Saint-Marin.
En France, plusieurs chefs de l’État avaient déjà évoqué cette éventualité, à l’instar de François Mitterrand ou de Jacques Chirac, mais les liens avec Tel-Aviv, considéré avant tout comme un allié régional du bloc occidental, ont longtemps empêché toute évolution sur ce point, malgré le maintien de la position officielle en faveur d’une « solution à deux États ». C’est précisément cette solution que le texte défendu à l’ONU veut relancer.
Une application en question
Pour les Palestiniens, si cet acte diplomatique constitue un « changement significatif » et une décision « concrète, utile et puissante », comme le rappelait dans nos colonnes l’ambassadeur de Palestine à l’ONU, Riyad Mansour, il ne s’agit toutefois que d’une étape. Ce lundi, celui-ci a précisé que les pays qui ont reconnu l’État de Palestine « doivent appliquer des sanctions sévères pour freiner les actions d’Israël à Gaza ». Et d’ajouter que le « message de la communauté internationale doit être que « le peuple palestinien est là pour rester, ses droits doivent être respectés et la solution à deux États doit devenir une réalité ».
Les actes suivront-ils enfin les paroles ? C’est ce qu’il faut espérer. Jusqu’à présent, tant la France que l’Union européenne ne se sont pas vraiment illustrées pour mettre un terme à la guerre génocidaire menée par Israël dans la bande de Gaza.
Selon l’Élysée, la France « veillera à la mise en œuvre » effective des différentes étapes prévues par la feuille de route : « libération des otages et cessez-le-feu », puis « stabilisation et sécurisation du territoire de Gaza », avec une force internationale à laquelle la France est prête à contribuer enfin « reconstruction et redéploiement de l’Autorité palestinienne ». En off, l’Élysée mentionne les conditions exigées par la France en échange de la reconnaissance : « Exclusion totale du Hamas de la gouvernance future des territoires palestiniens », engagement des pays arabes à « normaliser leurs relations avec l’État d’Israël dès lors que nous aurons pu donner de la crédibilité à la solution à deux États ». Tout le nœud du problème.
À l’Agora de la Fête de l’Humanité, le 12 septembre, l’ambassadrice de Palestine en France, Hala Abou Hassira, était claire : « Seules les sanctions permettront de faire cesser le génocide en cours. Il faut utiliser les outils pacifiques et juridiques offerts par le droit international et rendre le gouvernement israélien responsable de ses actes. » L’appui des peuples est indispensable : c’est d’ailleurs la mobilisation qui a permis de faire bouger les lignes.
Netanyahou déchaîné
Depuis plusieurs semaines, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a tenté coûte que coûte d’empêcher un tel événement. Il a multiplié les condamnations et les menaces à l’encontre des pays s’engageant dans le processus de reconnaissance. Il a bombardé l’Iran, en juin dernier, repoussant de facto la tenue de la conférence pour une solution à deux États, prévue initialement à cette date. Il a personnellement attaqué Emmanuel Macron sur sa politique interne en l’accusant de « complaisance avec le Hamas », mais surtout « d’alimenter le feu antisémite ». Comme pour le rassurer, le président français a rappelé à plusieurs reprises que Paris conditionnait la reconnaissance à « des garanties pour la sécurité d’Israël ».
Désormais, alors que la France et de nombreux autres pays ont franchi le pas, le premier ministre israélien envisage des mesures de rétorsion. Celles-ci pourraient être de deux ordres, qui n’ont pas la même importance : celles concernant les représentations diplomatiques françaises en Israël, et surtout celles envers les Palestiniens. La menace d’une annexion totale ou partielle de la Cisjordanie par Israël est brandie et même assumée par plusieurs membres du gouvernement, notamment les ministres suprémacistes Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir. Pour la France mais aussi d’autres pays alliés de longue date avec Israël, un tel acte constitue une « ligne rouge ».
Ce lundi, Benyamin Netanyahou a clairement annoncé la couleur : « Cela n’arrivera pas », a-t-il déclaré en référence à cet État palestinien. Tant son parcours idéologique que son engagement politique consistent à se battre contre la création d’un tel État, comme il l’a rappelé dimanche soir : « Depuis des années, j’ai empêché la création de cet État terroriste malgré d’énormes pressions, tant à l’intérieur du pays qu’à l’international, a déclaré le premier ministre israélien. Nous avons doublé les implantations juives en Judée et en Samarie (nom biblique de la Cisjordanie – NDLR) et nous continuerons sur cette voie. »
Le député communiste israélien Ofer Cassif a tenu à mettre en garde : « Alors que le monde observe le génocide de Gaza se dérouler sous ses yeux, le gouvernement israélien vise l’annexion de la Cisjordanie. Comment Israël compte-t-il annexer un territoire comptant plus de 3 millions de Palestiniens tout en maintenant un État suprémaciste juif ? C’est simple : en facilitant une vaste campagne de nettoyage ethnique. »
Surmonter les blocages
Voici un an, le 18 septembre 2024, l’Assemblée générale de l’ONU avait adopté une résolution qualifiée d’historique par l’organisation internationale : celle-ci exigeait qu’Israël mette fin « à sa présence illicite dans le territoire palestinien occupé au plus tard dans douze mois ». Comme de nombreuses autres résolutions, celle-ci n’a pas été suivie d’effet en raison de l’impunité dont jouit Israël. C’est bien ce qui inquiète pour l’avenir de l’État de Palestine.
Les frontières établies en 1967 sont violées depuis des décennies par les gouvernements successifs ; les accords d’Oslo, auxquels la France s’est longtemps accrochée, sont morts depuis belle lurette. Jamais n’a été aussi prégnant le sentiment désormais mondial du « deux poids deux mesures » à propos de la politique des pays occidentaux. En quoi la situation créée par cette vague de reconnaissance pourrait-elle changer réellement la donne ?
L’hypocrisie européenne semble d’ailleurs l’un des obstacles le plus importants à une quelconque avancée. Les intérêts économiques entre Israël et son premier partenaire commercial, les pays européens, pèsent de tout leur poids. En 2024, les échanges commerciaux représentaient 40 milliards d’euros. L’Allemagne se refuse toujours à reconnaître la Palestine.
D’autres sont de fervents soutiens d’Israël de par leur proximité idéologique, l’extrême droite : Italie, Hongrie ou République tchèque. Et la timide remise en question de l’accord d’association UE-Israël, le 17 septembre, n’a été enclenchée que sous la pression des opinions publiques.
Enfin, quid des forces politiques palestiniennes ?
Si le but affiché d’exclure le Hamas constitue un préalable, qu’en sera-t-il sur le terrain ? L’Autorité palestinienne a perdu sa légitimité auprès d’un grand nombre de Palestiniens, surtout les jeunes. La lutte pour l’établissement effectif d’un État de Palestine ne pourra passer que par une revitalisation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Un mouvement national renouvelé, apte à unifier toutes les composantes politiques, sans exclusive, et qu’à Gaza aussi bien qu’en Cisjordanie la résistance devienne réellement populaire pour mettre fin à l’occupation et à la colonisation. Comme le disait le leader palestinien emprisonné Marwan Barghouti, dans un texte sorti clandestinement et publié par l’Humanité le 15 octobre 2015 : « Le dernier jour de l’occupation sera le premier jour de paix. »
Selon la convention de Montevideo de 1933, quatre conditions sont nécessaires pour qu’une entité puisse être considérée comme un État : une population, un territoire déterminé, un gouvernement exerçant une autorité réelle et effective, et la capacité d’entrer en relation avec les autres États (reconnaissance internationale, souveraineté, indépendance). Des conditions loin d’être acquises, notamment pour la question territoriale.
Le 5 août dernier, les historiens Vincent Lemire et Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, avaient interpellé le chef de l’État : « Si des sanctions immédiates ne sont pas imposées à Israël, vous finirez par reconnaître un cimetière. » Bien qu’historique, la reconnaissance enclenchée par Emmanuel Macron n’est qu’un point de départ et oblige à une action politique réelle, sans quoi elle ne resterait qu’une parole en l’air.
