Reconnaissance de la Palestine : pourquoi l’Arabie saoudite saute le pas

Publié le par FSC

Lina Sankari
L'Humanité du 22 septembre 2025

 

     L’Arabie saoudite s’apprête à reconnaître l’État de Palestine, ce 22 septembre 2025 à New York.© Saudi Press Agency/ZUMA-REA     

 

La conférence internationale sur la solution à deux États, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, permet à Mohammed Ben Salman de redorer son blason et de consolider sa domination au Moyen-Orient.
Mohammed Ben Salman revient de loin. Mis au ban des nations après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, en 2018, le prince héritier d’Arabie saoudite, souvent désigné par ses initiales, MBS, a opéré un retour fracassant sur la scène internationale jusqu’à occuper un rôle central et faire basculer définitivement le centre de gravité du Moyen-Orient vers le Golfe.


Avec l’ex-président américain Joe Biden, qui a accordé l’immunité juridique au dignitaire saoudien, le président français Emmanuel Macron fut l’un des premiers à le réhabiliter. Paris est sans conteste perçu par l’Arabie saoudite comme un levier face aux États-Unis. Mais ces derniers ont encore de la ressource.
En mai, c’est Donald Trump qui a fait le déplacement à Riyad. Au menu : investissements massifs dans la défense ou l’intelligence artificielle et une rencontre avec le président syrien Ahmed Al Charaa qui a débouché peu après sur une levée des sanctions imposées à Damas sous Bachar Al Assad.
Seulement, Mohammed Ben Salman (MBS) ne se contente plus d’une relation privilégiée avec l’Occident. Il a engagé un rapprochement avec Pékin. Sous l’égide de la Chine, Riyad a entrepris une normalisation des relations avec l’Iran, ennemi juré des États-Unis et d’Israël.
En sous-main, il reproche son pivot asiatique à Washington qui prive, selon lui, les États du Golfe de protection. Un point de vue qui explique également que l’Arabie saoudite ait choisi, mi-septembre, de se placer sous la protection du parapluie nucléaire pakistanais grâce à la signature d’un pacte de défense mutuelle.

Une nouvelle architecture de sécurité comme une mise en garde à Israël


Les États-Unis ont pourtant tôt fait de s’activer sur la question de la sécurité régionale et de l’extension à l’Arabie saoudite des accords d’Abraham de normalisation diplomatique entre Israël et les pays arabes. Et ce au détriment du règlement de la question palestinienne.
Très critiqué sur cette question, le prince héritier saoudien affirme avoir suspendu les pourparlers avec Israël sur fond d’extension de la guerre génocidaire d’Israël à Gaza. Alors qu’il accueillait le sommet de la Ligue des États arabes en novembre 2023, Riyad continuait de plaider pour la préservation des liens avec Tel-Aviv quand la majorité des pays demandent des sanctions.


L’Arabie saoudite a privilégié ses intérêts nationaux sans réussir à porter la bannière du monde arabo-musulman. En ce sens, l’initiative française sur la reconnaissance de l’État de Palestine tombe à point nommé. Elle lui permet de redorer son blason tout en lui ouvrant un espace de domination régionale. Ce nouvel activisme pro-palestinien lui permet enfin de calmer une société saoudienne hostile au rapprochement avec Israël.
C’est d’abord l’intransigeance de Tel-Aviv sur les conditions d’un cessez-le-feu à Gaza qui a poussé Mohammed Ben Salman à changer d’approche. Il a ainsi remis sur l’établi la solution à deux États, sans toutefois exclure une future normalisation avec Israël qui sert les projets états-uniens d’interconnexion entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique.
C’est l’objectif d’un traité de sécurité globale avec les États-Unis qui motive Mohammed Ben Salman dans ces discussions trilatérales afin de consolider son rôle central dans la région. À ce titre, « Washington coordonne avec Riyad la question de la fin de la guerre à Gaza », selon le département d’État américain.


C’est en ce sens qu’il faut interpréter les propos de MBS, l’an dernier, au sujet des risques d’assassinat qu’il encourrait en cas de normalisation avec Israël. « Il l’a formulé ainsi : « Les Saoudiens accordent une grande importance (à la solution à deux États – NDLR), tout comme la population du Moyen-Orient, et mon mandat en tant que gardien des lieux saints de l’islam ne sera pas assuré si je ne m’attaque pas à la question la plus urgente en matière de justice dans notre région » », rapporte un proche des négociations entre Saoudiens et États-uniens au site d’information Politico. Une manière de pousser Washington à mettre la pression sur Israël.
MBS semble avoir compris que sans résolution de la question palestinienne, qui déstabilise la région, son pays ne pourra profiter des avantages économiques promis par l’accord de sécurité globale. Pour l’heure, les États-Unis restent les maîtres du jeu et MBS a du mal à s’émanciper. Ce dernier n’a pas fait le déplacement à l’Assemblée générale des Nations unies. « Aux dernières nouvelles, le prince héritier d’Arabie saoudite interviendra en visioconférence. Il sera représenté au podium de l’Assemblée générale par son ministre des Affaires étrangères », glissait un diplomate français, à la veille de la conférence.

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