En finir avec la peur du lendemain !

Publié le par FSC

L'Huma

Grâce à la Sécu, « en finir avec la peur du lendemain »

 

Protection La Sécurité sociale, qui fête ses 80 ans ce samedi 4 octobre, subit les attaques du capital qui veut la privatiser. Les partis de gauche, syndicats, associations rivalisent, eux, de propositions pour étendre son champ d’action, en restant fidèles aux objectifs de ses fondateurs.

C e n’est pas tous les jours qu’on célèbre l’anniversaire d’une conquête sociale. Ce 4 octobre, une vieille dame toujours verte fêtera quatre-vingts ans d’une histoire tumultueuse, jalonnée d’avancées exemplaires et de reculs douloureux, qui ont transformé le visage du pays. Aujourd’hui comme hier, la Sécu se retrouve sur la ligne de front d’une bataille idéologique : la gauche, qui y voit une réponse à la toute-puissance du marché, veut la protéger contre vents et marées ; les plus libéraux la vouent aux gémonies pour les mêmes raisons. L’immense majorité des assurés, eux, ont conscience de son utilité sans forcément prendre la mesure de ce qu’ils lui doivent : combien savent, par exemple, que sans elle, un accouchement leur coûterait 2 500 euros ?

Née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale d’une ambition aussi louable que titanesque (« en finir avec la peur du lendemain »), la Sécurité sociale n’est pas qu’une institution à préserver ou une vieillerie à chérir, c’est un horizon politique à conquérir, une idée à défendre et à réinventer sans cesse.

1. De la naissance à la mort

Henri Raynaud, ancien dirigeant de la CGT, fixait ainsi le cap, en 1947 :« Il s’agit de couvrir (les travailleurs) de tous les risques, de tous les cas dans lesquels leur salaire ou le fruit de leur travail se trouve diminué. »Vaste programme !

Aujourd’hui, les promoteurs de cette institution rêvent d’élargir sa palette en garantissant à l’ensemble des travailleurs une couverture complète contre l’ensemble des risques, de la naissance à la mort en passant par la retraite ou la maladie. À l’heure où les gouvernements ne parlent que de « déremboursement » de soins, la CGT plaide ainsi pour une« prise en charge à 100 % », ce qui supposerait de refonder l’offre de soins (développement de centres de santé pluriprofessionnels employant des médecins salariés, création d’un pôle public du médicament, etc.).

« Dans le cadre du “100 % Sécu”, les coûts liés aux activités de soins sont pris en charge,résume le syndicat.Il n’y a plus de mécanisme de remboursement dans la mesure où les actes médicaux sont réalisés par des personnels payés directement par la Sécu et où les médicaments et produits de santé sont produits et distribués directement par la Sécurité sociale. »Dans les faits, cela permettrait de dire adieu aux franchises et autres dépassements d’honoraires. Ce qui n’a rien d’un détail, quand on sait que les seuls dépassements d’honoraires ont représenté la somme astronomique de 4,3 milliards d’euros en 2024.

La « démarchandisation » s’étendrait aussi à la prise en charge de la dépendance.« Les aides à domicile seraient salariées directement par la Sécurité sociale et les familles n’auraient plus à faire d’avance,explique Cécile Velasquez, secrétaire générale de la CGT organismes sociaux.Aujourd’hui, cela coûte environ 23 euros de l’heure en moyenne, c’est très cher. Demain, c’est la Sécu qui prendrait en charge. »

Pour parachever une Sécu couvrant la totalité des risques de l’existence, le député LFI Hadrien Clouet entend déposer une proposition de loi actant la création d’une Sécurité sociale du funéraire. « Nous avons calculé qu’une cotisation de 0,3 point sur le salaire brut permettait de couvrir l’ensemble des frais moyens des obsèques, qui s’élèvent à environ 4 000 euros », indique le parlementaire. Et d’ajouter, pour étayer son raisonnement :« Le risque de mourir étant par définition imparable, c’est un risque social que l’on doit couvrir légalement. Il est urgent de démarchandiser le secteur du funéraire, géré à 40 % aujourd’hui par trois entreprises uniquement, qui proposent des tarifs exorbitants. Avec notre système, il y aurait demain des pompes funèbres conventionnées, dont les actes seront pris en charge par la Sécu. »

2. L’alimentation, nouvel enjeu

Certains défenseurs de l’institution voudraient couvrir les assurés contre des risques non pris en charge aujourd’hui. C’est le cas de la précarité alimentaire, qui frappe des millions de personnes (jusqu’à 16 % de la population selon certaines études). Le projet de Sécurité sociale alimentaire (SSA), porté par diverses associations (Confédération paysanne, Ingénieurs sans frontières Agrista, Réseau salariat…) repose sur une idée simple : permettre à l’ensemble de la population d’accéder à des produits alimentaires de qualité, en allouant 150 euros par mois et par personne (c’est la « carte vitale d’alimentation ») qui permettront d’acheter des aliments de producteurs et structures conventionnés. Reste que le coût du dispositif (120 milliards d’euros tout de même) implique de mener un vaste débat sur son financement. Les promoteurs de la SSA privilégient la cotisation sociale, tout en se disant ouverts au débat.

3. La question centrale du financement

De toute façon, renforcer la Sécu suppose de trouver des ressources nouvelles. Les libéraux expliquent depuis des années que le financement de notre modèle de protection sociale reposerait trop sur le travail, d’où la nécessité selon eux de transférer une part croissante de ce financement vers d’autres prélèvements, comme la TVA par exemple. À gauche, on rétorque que la TVA est par nature le plus inégalitaire des impôts (les plus pauvres consacrent une part proportionnellement plus importante de leurs revenus à la consommation), et on insiste sur la primauté de la cotisation sociale.

« Il faut que la Sécu reste majoritairement financée par la cotisation, c’est-à-dire la richesse produite par le travail, rappelle Yannick Monnet, député PCF.Et il faut absolument constitutionnaliser ce principe, car cela permettra de mettre fin à la dérive du financement de la Sécurité sociale par l’impôt : cette dérive transforme la Sécurité sociale en système assurantiel, dans lequel on paye en fonction de ses moyens et où on reçoit aussi en fonction de ses moyens. »

La CGT avance une série de propositions : intégration des rémunérations comme l’intéressement et la participation dans le salaire (entre 4,1 milliards d’euros et 5,7 milliards d’euros de ressources nouvelles), hausse d’un point de cotisation (10,5 milliards d’euros), lutte contre la fraude aux cotisations sociales du fait du travail dissimulé (au moins 6 milliards d’euros), etc.

4. Des caisses gérées par les travailleurs

À l’origine, la Sécu était gérée par les travailleurs eux-mêmes, ou plus exactement par leurs représentants siégeant au sein des différents conseils d’administration (CA). Le patronat avait aussi des représentants, mais dans des proportions très inférieures. L’avènement du paritarisme, en 1967, mettra un terme à cette parenthèse (presque) autogestionnaire.

« Aujourd’hui, la Sécu est gouvernée par l’État de la Ve République, c’est-à-dire un État à la fois très centralisé et autoritaire,qui a tendance à servir davantage les intérêts du capital que ceux du travail, explique Nicolas Da Silva, économiste spécialiste de la santé.Un exemple parmi d’autres : dans la santé, l’État développe le marché et finance son extension, à travers le soutien aux cliniques privées, à l’industrie pharmaceutique, etc. À l’inverse, si la Sécu était gouvernée de manière plus démocratique, le sens des politiques publiques serait peut-être différent. » Exemple : une Caisse nationale d’assurance vieillesse pilotée par des représentants de salariés et des associations d’usagers aurait-elle validé l’application de la réforme des retraites de 2023 ?

Aujourd’hui, beaucoup plaident pour démocratiser la Sécu en redonnant le pouvoir aux représentants de salariés, même si les modalités diffèrent en pratique : faut-il confier la gouvernance aux seules organisations de salariés, comme le réclame la CGT ? Ou bien y faire entrer des représentants du patronat, des indépendants, voire des associations de patients ? Tous s’accordent en revanche sur la volonté d’exclure progressivement l’État de la gestion de la Sécurité sociale.

« Ça n’a jamais été autant le désordre que depuis que l’État, via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, met les mains dans le budget de la Sécu,martèle le député Yannick Monnet. Il faut que cette valeur ajoutée créée par le monde du travail soit gérée par le monde du travail. Et que nous, parlementaires, n’ayons plus à y revenir. »

« Quelle que soit la répartition du pouvoir dans les CA, le plus important, c’est que la Sécu soit gérée par les assurés eux-mêmes,résume de son côté le député Hadrien Clouet. L’autonomie des caisses est centrale, car elle permettra d’ouvrir de nouveaux espaces d’exercice du pouvoir, en dehors de l’État. C’était l’ambition originelle de la Sécu. »

par  Cyprien Boganda
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