La Palestine inaugure officiellement son ambassade à Madrid
Par Sandrine Morel
Le Monde du 29 mai 2024
La reconnaissance de l’Etat palestinien par l’Espagne accroît les tensions avec Israël, qui restreint l’activité consulaire espagnole à Jérusalem.
Peinte en rouge et vert – les couleurs de la Palestine –, une reproduction de Guernica, de Picasso, symbole de l’horreur de la guerre, occupe le mur d’une salle où se pressent des dizaines de journalistes, mardi 28 mai, dans ce qui était jusqu’alors la délégation générale de la Palestine en Espagne. Représentant de l’Autorité palestinienne en Espagne, en poste depuis 2022, Husni Abdel Wahed a décidé d’organiser une première conférence de presse en qualité d’ambassadeur quelques heures à peine après que l’Espagne a reconnu officiellement l’Etat de Palestine, en conseil des ministres, sur la base des frontières de 1967. « Ce n’est pas seulement une question de justice historique, mais c’est aussi la seule manière d’avancer vers la paix », a estimé le président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, lors d’une allocution solennelle le matin même.
Dans ce palais du nord de Madrid, devenu une ambassade, les premiers mots de M. Abdel Wahed, ancien ambassadeur de la Palestine en Argentine, 64 ans, vont d’abord aux victimes palestiniennes du « génocide » que commet, selon lui, Israël à Gaza. Il a cependant tenu à « célébrer » le « pas très important » accompli par l’Espagne, ainsi que par la Norvège et l’Irlande, qui « réaffirment leur engagement envers l’avenir, la paix et la liberté » du peuple palestinien, explique-t-il. « La reconnaissance en soi n’est pas un objectif, mais un pas nécessaire pour d’autres pas qui doivent se concrétiser dans la solution des deux Etats », ajoute-t-il. Quant à savoir la portée concrète de cette reconnaissance, il estime que « si elle était seulement symbolique, Israël n’aurait pas réagi avec une telle véhémence ».
Déjà tendues du fait des fortes critiques de Madrid à l’égard d’Israël, depuis le début de l’offensive lancée sur Gaza après les attentats du Hamas du 7 octobre 2023, les relations bilatérales se sont encore dégradées ces derniers jours. Israël a rappelé son ambassadrice en Espagne et, surtout, a interdit au consulat d’Espagne à Jérusalem-Est de fournir ses services aux Palestiniens.
Non seulement, le ministre des affaires étrangères israélien, Israel Katz, voit dans la reconnaissance de l’Etat de Palestine une « récompense » au Hamas, mais il s’est montré indigné par les propos « antisémites » de la ministre du travail espagnole, Yolanda Diaz, numéro trois du gouvernement et par ailleurs dirigeante du mouvement de gauche radicale Sumar. Le 24 mai, celle-ci a diffusé une vidéo se félicitant de la reconnaissance de l’Etat de Palestine et concluant : « Nous ne pouvons pas nous arrêter là : la Palestine sera libre de la rivière à la mer. » Sur le réseau social X, M. Katz, est allé jusqu’à publier la photo de Mme Diaz, mardi, entourée de celle du dirigeant du Hamas, Yahya Sinouar, et de celle du Guide suprême iranien, Ali Khamenei, comme l’une de ceux qui « appellent à la disparition de l’Etat d’Israël et à l’établissement d’un Etat terroriste islamique palestinien ».
Dans un communiqué, lundi 27 mai, M. Katz a précisé que l’antenne diplomatique espagnole ne sera « autorisée à délivrer des services consulaires qu’aux résidents de la circonscription consulaire de Jérusalem » et qu’elle ne pourra pas « exercer une activité consulaire à l’égard des résidents de l’Autorité palestinienne ». M. Abdel Wahed a suggéré au gouvernement espagnol d’y répondre en dispensant les citoyens palestiniens de visa. Et de rappeler la relation « très spéciale » de l’Espagne avec la Palestine, de l’ouverture du premier bureau de représentation de l’OLP, en 1972, à la Conférence pour la paix de Madrid, en 1991, premier pas du processus de paix qui aboutit aux accords d’Oslo de 1993. « Qu’on soit d’accord ou pas avec ces accords, ils ont constitué une fenêtre d’espoir pour ce peuple », précise-t-il.
M. Sanchez s’est engagé à travailler pour la tenue d’une conférence de paix, malgré ses mauvaises relations avec Israël. Mercredi 29 mai, le ministre des affaires étrangères espagnol, José Manuel Albares, devait recevoir la plupart des membres du groupe de contact de la Ligue arabe, dont ses homologues saoudien, qatari, jordanien et turc, ainsi que le premier ministre palestinien, Mohammad Mustafa. De son côté, le leader du parti d’extrême droite Vox, Santiago Abascal, a été reçu, mardi, à Tel-Aviv, par Benyamin Nétanyahou, à qui il a apporté son soutien.