Jumelages, échanges : des élus locaux s’engagent pour la Palestine
Clothilde Mraffko
Médiapart du 29 mai 2025
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© Photomontage Mediapart avec captures d'écran et Mostafa Alkharouf / Anadolu via AFP |
À l’image de Strasbourg, qui souhaite relier sa ville à un camp de réfugiés de Cisjordanie, grandes ou plus petites collectivités créent ou renforcent leurs partenariats. Une diplomatie qu’Israël ne goûte guère : deux délégations d’élus ont été interdites de séjour en avril.
LeLe 17 mai, le maire de La Chapelle-sur-Erdre, petite commune de Loire-Atlantique d’un peu plus de 20 000 habitant·es, a promis de transformer le protocole d’amitié qui existe depuis 2019 avec le camp de réfugié·es de Jénine, en Cisjordanie occupée, en véritable jumelage. Une manière, a justifié Laurent Godet, d’exprimer son « soutien indéfectible » à la ville palestinienne et à son camp, vidé de tous ses habitants et habitantes et théâtre d’une brutale opération de l’armée israélienne depuis janvier.
Quelques jours plus tard, la ville de Strasbourg annonçait mettre au vote en juin une proposition de jumelage avec le camp de réfugié·es d’Aïda, en lisière de Bethléem, là aussi « en soutien au peuple palestinien », a souligné la maire, Jeanne Barseghian. Un choix qui lui vaut, depuis, de nombreuses attaques.
La coopération décentralisée des collectivités et villes françaises avec des partenaires palestiniens, amorcée dans le sillage des accords d’Oslo en 1995, a d’abord subi un « recul après le 7-Octobre », reconnaît Abdallah Anati, directeur exécutif de l’Association des autorités locales palestiniennes (Apla). « Certaines villes de différents pays, sous pression de partis politiques ou des gouvernements, des lobbies, ont dit qu’elles voulaient réexaminer leur relation avec les Palestiniens », explique-t-il.
Finalement, aucun partenariat ni jumelage n’a, à sa connaissance, été stoppé. Au contraire, « les relations sont encore bien plus florissantes qu’avant le 7-Octobre, parce que la guerre a montré ce qu’Israël fait aux Palestiniens ». À l’inverse, plusieurs villes européennes, dont La Rochelle (Charente-Maritime), ont suspendu leurs relations avec leurs partenaires israéliens.
La coopération décentralisée permet aux collectivités locales de s’ouvrir à l’international à travers des jumelages, échanges culturels, visites croisées, initiatives linguistiques ou sportives. « Des rencontres entre peuples », résume le maire communiste de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), Patrice Leclerc, dont la ville est jumelée avec Al-Bireh, à côté de Ramallah, dans le centre de la Cisjordanie occupée.
Dans le cas de la Palestine, cette coopération fait « exister un territoire qui, du point de vue du droit international, n’est pas encore reconnu » comme un État, rappelle Virginie Rouquette, directrice de Cités unies France (CUF), une association transpartisane qui fédère les collectivités territoriales françaises engagées dans l’action internationale. « Nous pensons en tant que Palestiniens que les peuples d’autres pays seront ceux qui, un jour, conduiront le changement, veut croire Abdallah Anati. Les organisations internationales se sont révélées incapables d’imposer des décisions à Israël, peut-être que les peuples pourront, eux, s’opposer au génocide continu contre les Palestiniens. »
Entraves à la solidarité
Les collectivités françaises offrent notamment un appui financier et technique aux Palestinien·nes. À Silwan, quartier palestinien au pied de la vieille ville de Jérusalem, elles participent par exemple à la reconstruction d’un centre culturel détruit en novembre 2024 par la municipalité israélienne. Le lieu, enclavé, est densément peuplé et grignoté par les colons israéliens. Le centre en question était l’un des rares lieux de respiration pour les habitant·es, dont 1 550 vivent dans des maisons menacées par un ordre de démolition. Entre 2019 et 2023, les autorités israéliennes ont détruit 113 propriétés à Silwan.
La coopération s’inscrit aussi dans des échanges : 14 collectivités françaises ont accueilli 30 Palestinien·nes de Jérusalem en février et une délégation de Français·es était venue dans la « ville sainte » en juillet 2023. Gennevilliers a mis en place des formations dans le champ éducatif et sur les questions de santé mentale.
Devant la brutale campagne israélienne de nettoyage ethnique en Cisjordanie et la guerre génocidaire à Gaza, la coopération décentralisée, qui s’était « technicisée » ces dernières années, reprend une coloration politique, explique Virginie Rouquette. Les villes et collectivités locales sont souvent précurseuses dans leur positionnement et poussent l’État à agir. Sur le terrain, les élu·es sont unanimes : le consulat français de Jérusalem et les diplomates travaillent main dans la main.
En revanche, l’action menée par les politiques au niveau national est « indécente, même si c’est en train de changer. Il leur faut un massacre pour changer », dénonce Patrice Leclerc, qui est aussi vice-président du Réseau de coopération décentralisée pour la Palestine (RCDP). Face à ces défaillances, les collectivités locales s’activent notamment à « rendre publiques et visibiliser les agressions de l’État colon », ajoute-t-il, citant l’exemple de Silwan : « Même si Israël nous donne le plus souvent le sentiment de passer outre, parfois ils sont quand même obligés d’en tenir compte. Ça abîme leur image et ça permet de faire monter un peu la solidarité. »
Cette solidarité a pourtant été réprimée en France dans les mois qui ont suivi le 7-Octobre, rappelle Charlotte Blandiot-Faride, maire communiste de Mitry-Mory (Seine-et-Marne). Certaines préfectures ont pris des mesures pour « faire enlever des bannières appelant à la paix et à la liberté, ont demandé de descendre des drapeaux palestiniens quand ils ont été hissés, et ce au nom de l’État, ont envoyé des lettres d’injonction pour annuler des réunions, considérant que ça pouvait créer un trouble à l’ordre public, énumère la présidente de l’Association pour le jumelage entre les camps de réfugiés palestiniens et les villes françaises (AJPF). On a été face à une organisation institutionnelle qui essayait de freiner le mouvement de solidarité avec la Palestine. »
Interdits de séjour
En avril, ce sont les autorités israéliennes qui ont mis un gros coup d’arrêt aux élus locaux. Coup sur coup, à un peu plus d’une semaine d’intervalle, Israël a annulé les visas de cinq parlementaires et vingt-deux maires ou élus municipaux de gauche qui devaient aller en Cisjordanie et en Israël avec l’AJPF, puis ceux d’une cinquantaine d’élu·es et agent·es locaux qui devaient s’y rendre dans le cadre d’une autre mission coordonnée par Cités unies France avec le RCDP.
À chaque fois, les autorités israéliennes ont accusé les élu·es d’être parrainé·es par des associations en lien avec le terrorisme. S’agissant de la première mission, l’ambassade d’Israël en France a confondu l’AJPF avec l’Association France Palestine solidarité, qu’elle accuse de « soutien au terrorisme ». Un prétexte « diffamatoire et révoltant », répond l’association. Pour la seconde mission, Israël a accusé le RCDP d’être lié au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation marxiste-léniniste palestinienne classée terroriste par l’Union européenne.
« On a reçu en pleine face la violence des choix du gouvernement israélien », a encaissé Michaël Delafosse, président de CUF et maire socialiste de Montpellier, ville jumelée avec Bethléem mais aussi avec la ville israélienne de Tibériade, avec laquelle il n’entend pas couper les liens.
« Il y a un amalgame qui va jusqu’à créer des liens entre la coopération [décentralisée] et le terrorisme, sans preuve et de façon totalement mensongère », s’indigne Simoné Giovetti, délégué plaidoyer à CUF. Le ministère des affaires étrangères a fini par publier un communiqué le 29 avril, qui juge « inacceptables » les accusations de terrorisme des autorités israéliennes et regrette l’annulation des visas, une décision « contreproductive et dommageable pour les relations franco-israéliennes ». Les élu·es ont également été reçu·es au Quai d’Orsay.
« Il aura fallu quinze jours pour que le ministère des affaires étrangères sorte un communiqué laconique de trois phrases, s’énerve Charlotte Blandiot-Faride. On connaît d’autres situations où les ambassadeurs sont rappelés, il y a des discussions un peu musclées pour essayer de ne pas se faire trop piétiner. »
Patrice Leclerc esquisse un demi-sourire ironique : « On devrait leur appliquer la réciproque ! » Le maire de Gennevilliers est interdit d’entrer en Israël et dans les territoires occupés : il a été refoulé en 2018 alors qu’il s’y rendait à titre privé, avec sa femme, pour randonner en Cisjordanie. Les autorités israéliennes l’ont accusé de soutenir la campagne de boycott d’Israël, le BDS, ce « qui n’était pas vrai à l’époque », dit-il.
Que les autorités israéliennes associent désormais le RCDP au terrorisme ne l’a donc pas surpris. « Ils font des amalgames en permanence. Ce qu’ils interdisent, c’est la coopération internationale et surtout la possibilité de témoigner. » Cela s’inscrit dans une stratégie plus globale du gouvernement israélien, qui cherche à « invisibiliser et déshumaniser le peuple palestinien », acquiesce Charlotte Blandiot-Faride.
Pour un État palestinien
Cet environnement contraint fortement les collectivités locales. « On a dû reporter des événements plusieurs fois à cause de la situation sécuritaire qui fait que les vols étaient annulés, les coûts sont démultipliés, les transferts bancaires des collectivités vers leurs partenaires palestiniens sont de plus en plus compliqués, des questions d’assurance se posent aussi », souligne Mélanie Sabot, chargée du suivi du Proche-Orient au sein de CUF.
Les élu·es espèrent désormais que le président de la République, Emmanuel Macron, ira au bout de sa promesse de reconnaître un État palestinien. « C’est important parce que ça donne du poids politique aux Palestiniens, ça les encourage dans leur combat, ça peut entraîner d’autres pays européens, insiste Patrice Leclerc. La question est moins de ne pas froisser Israël, la question est d’arrêter un massacre et une colonisation qui feront disparaître un peuple de sa terre. »
Ce ne sera pas un blanc-seing à l’Autorité palestinienne, haïe de sa population. La coopération décentralisée a d’ailleurs développé ces dernières années des liens directement avec la société civile palestinienne qui survit entre occupation israélienne et oppression des responsables palestiniens. « Notre soutien à la Palestine n’est pas aveugle », glisse le maire de Gennevilliers.
Le droit international reste le cap de l’action des collectivités, rappelle Simoné Giovetti. À travers la coopération en Palestine, « on essaie de défendre ce qui reste d’un système international », souligne-t-il. Le 19 mai, les chefs des formations de gauche du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, avec le soutien de Stéphane Troussel, président socialiste du département, ont rejoint 145 organisations, partis, collectifs et syndicats qui exigent que les entreprises israéliennes soient exclues du Salon du Bourget, qui s’ouvre le 16 juin, en raison des crimes de guerre commis à Gaza. Une assignation en justice a également été envoyée sur le sujet par des ONG.
Des élus locaux « prennent des actions claires mais en face, on a un président et un ministre des affaires étrangères qui restent seulement dans des déclarations », regrette Jacques Bourgoin, ancien maire de Gennevilliers et ex-coordinateur du projet Jer’Est, sur Jérusalem-Est auprès du bureau du RCDP : « Quand on discute avec les Palestiniens, leur référence de dernier homme politique important pour leur cause, c’est Chirac. Ça peut quand même nous interpeller en France.