Reconnaître l’État de Palestine, une nécessité historique
Pierre Barbancey
L'Humanité du 29 mai 2025
53 939 : c’est le nombre de morts à Gaza recensés par le ministère local de la Santé depuis octobre 2023. S’y ajoutent 11 200 disparus. Des chiffres jugés fiables par l’ONU.© Omar AL-QATTAA / AFP |
Face aux atrocités perpétrées par Israël à Gaza, Emmanuel Macron pourrait, le 17 juin devant l'ONU, ajouter la France à la longue liste des pays reconnaissant l’État palestinien. Au-delà du symbole, une revendication indispensable pour espérer relancer un processus de paix.
À la lettre E, dans son Dictionnaire amoureux de la Palestine (Plon), l’écrivain et ancien ambassadeur palestinien auprès de l’Unesco Elias Sanbar pose le problème avec justesse. « La question de l’État, aujourd’hui au centre du débat quant à une issue au conflit israélo-palestinien, n’est pas récente, et elle n’est pas née avec les négociations de paix, dans la quête, à ce jour inaboutie, de la recherche d’une solution juste, globale et permanente. » C’était en 2010. Quinze après, les mêmes interrogations demeurent.
« Dans les communiqués du Quai d’Orsay de ces dernières années, on retrouve cette ritournelle de la solution à deux États, mais concrètement nous n’avons rien fait pour cela », expliquait Henri Laurens, historien spécialiste du Moyen-Orient et professeur au Collège de France, dans Philosophie magazine, en octobre 2023. Il poursuivait ainsi : « On a voulu laisser les Palestiniens pourrir dans un conflit de basse intensité en répétant cette formule creuse. En effet, pour qu’il y ait deux États, il faudrait exercer de très fortes pressions sur Israël, et personne n’est prêt à faire cela. »
Le plan de partage de l’ONU
La question de la création d’un État palestinien n’est pas nouvelle. On pourrait dire qu’elle est posée avant même la partition par l’ONU de la Palestine historique, le 29 novembre 1947, dans sa résolution 181. Cinquante ans auparavant, en 1897, se tient en Suisse le premier congrès sioniste mondial. Son initiateur, Theodor Herzl, écrit alors dans son Journal : « À Bâle, j’ai créé l’État juif. Si je disais cela aujourd’hui publiquement, un rire universel serait la réponse. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, tout le monde comprendra. »
Son mouvement ne cessera plus, dès lors, de travailler à cette question. En 1917, la déclaration Balfour – du nom du ministre des Affaires étrangères d’alors – indiquait la volonté du gouvernement britannique (qui allait obtenir le mandat de la Société des nations, ancêtre de l’ONU, sur ce territoire dès 1920), de créer en Palestine « un foyer national juif ».
Le paradoxe – qui n’est qu’apparent – réside dans le fait qu’a contrario les Palestiniens se sont vu longtemps dénier le statut de peuple et les attributs de souveraineté y afférant parce qu’ils n’auraient jamais disposé d’un État. « Dans le camp d’en face, aucun doute ne se faisait jour lorsque l’on affirmait que le peuple juif, qui n’avait jamais disposé en tant que tel d’un État, détenait tous les droits associés au statut de peuple », fait remarquer Elias Sanbar dans son ouvrage. « Dès l’origine, les autorités du mandat britannique avaient permis au mouvement sioniste de se tailler une enclave indépendante en Palestine comme infrastructure d’un futur État », rappelle l’historien israélien Ilan Pappé.
Au moment du plan de partage, la population totale de la Palestine est composée pour deux tiers d’Arabes (1,2 million) et pour un tiers de juifs (600 000), principalement immigrés d’Europe pendant la période du mandat. Il est accepté par les sionistes mais refusé par les pays arabes et par les Palestiniens, l’ONU allouant 56,5 % du territoire palestinien à l’État juif contre 43,5 % à l’État arabe. Pourtant, on ne le sait pas suffisamment, Jamal Al Husseini, qui représentait la partie palestinienne, était intervenu à l’ONU pour refuser le partage et proposer la création d’un seul État, indépendant, avec la pleine citoyenneté pour tous, où musulmans, juifs et chrétiens auraient les mêmes droits.
Les accords d’Oslo en 1993
C’est une proposition similaire que fait Yasser Arafat en 1969, lorsqu’il prend la tête de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), comme le souligne l’historien Dominique Vidal dans son introduction à l’ouvrage collectif qu’il a dirigé, Palestine, Israël : un État, deux États ? (Actes Sud/Sindbad, 2011). « Mais, en juin 1974, le Conseil national palestinien (CNP) se prononce, au Caire, pour l’établissement d’une “autorité indépendante, nationale et combattante sur toute partie libérée du territoire palestinien”. » Finalement, après avoir reconnu l’État d’Israël lors du CNP de novembre 1988, à Alger, l’OLP va s’engager dans une négociation qui aboutira aux accords d’Oslo en 1993 qui prévoient la création, cinq ans plus tard, d’un État de Palestine sur 22 % de la Palestine historique, entérinant, de fait, une solution à deux États.
Pourtant, un seul des deux existe, celui d’Israël. À la date du 28 mai 2024, on compte 147 pays (sur les 193 qui composent l’ONU) qui ont reconnu l’État de Palestine. Parmi eux, on trouve presque tous les États d’Afrique, d’Asie, d’Amérique du Sud et centrale, de l’ancienne URSS et des pays socialistes d’Europe de l’Est d’avant la chute du mur de Berlin. En revanche, les États-Unis et le Canada, la plupart des pays d’Europe de l’Ouest (à l’exception de la Suède, l’Islande, le Vatican, l’Irlande, l’Espagne et la Norvège), la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne reconnaissent pas l’État palestinien, même s’ils entretiennent des relations officielles avec l’Autorité palestinienne, entité politico-administrative créée par les accords d’Oslo.
« En reconnaissant l’État palestinien, la grande majorité des membres des Nations unies ne font que tirer toutes les conséquences des résolutions ou décisions adoptées au sein de cette organisation, qu’il s’agisse de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité ou de la Cour internationale de justice (dans son avis de 2004 sur les “Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé”) », note le site Le club des juristes.
La position de la France
En février 2024, Emmanuel Macron affirmait que la reconnaissance de l’État de Palestine « n’est pas un tabou pour la France ». En 2014, l’Assemblée nationale et le Sénat avaient déjà voté en faveur d’une reconnaissance de la Palestine. L’existence de l’État ne dépend évidemment pas de sa reconnaissance. Ou plutôt, reconnaître c’est constater l’existence de cet État dès lors que celui-ci possède un territoire, une population et un gouvernement, comme le suggère le droit international. En avril dernier, cependant, de retour du Caire, le président français annonçait : « On doit aller vers une reconnaissance et donc, dans les prochains mois, on ira ».
Pour Jean-Paul Chagnollaud, président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO), qui s’exprimait peu après sur Public Sénat, « il semble qu’un processus est enclenché avec l’Arabie saoudite pour sortir politiquement du conflit avec une solution à deux États. Car si on veut aller vers une solution à deux États, il faut reconnaître la Palestine ». Il faisait allusion à la conférence consacrée à la Palestine qui se tiendra le 17 juin au siège de l’ONU à New York et sera coprésidée par la France et l’Arabie saoudite. Les deux ont plaidé ces derniers jours pour des « actes » concrets mettant en place un « plan » pour la solution à deux États, israélien et palestinien.
Pour Jean-Paul Chagnollaud, une telle reconnaissance serait « éminemment politique. (…) Elle montre que la solution au conflit ne peut être résolue que par une décision politique. Mais, pour être efficace, elle doit être accompagnée. Cela passe par un renforcement de l’Autorité palestinienne qui est actuellement très fragile et par la mise en place d’élections ». De fait, la France pourrait entraîner dans son sillage de nombreux pays européens. Elle entérinerait le nécessaire respect de l’intégrité territoriale d’un État, comme cela a été fait s’agissant, par exemple, de l’Ukraine.
Cette position française, qui aurait pu être adoptée il y a bien longtemps, tient à plusieurs facteurs. D’abord la situation à Gaza même, où des centaines de Palestiniens continuent à mourir chaque semaine sous les bombardements et du fait de l’attitude israélienne qui empêche l’entrée de l’aide humanitaire réelle. De plus, le retour au pouvoir de Donald Trump, son attitude vis-à-vis de l’Union européenne ainsi que son alliance avec Netanyahou ont sans doute incité Emmanuel Macron à se démarquer, conscient du gain politique (et économique) vis-à-vis des pays arabes. Il reste maintenant à concrétiser toutes ces annonces et à avoir le courage de faire plier Israël pour arrêter le génocide en cours à Gaza et faire respecter le droit international.