comment Donald Trump et Benyamin Netanyahou visent le changement de régime en Iran
L'Humanité du 17 juin 2025
Le 17 juin 2025, Donald Trump descend d'Air Force One, dans le Maryland, après avoir écourté sa participation au G7 au Canada.© Al Drago / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP |
L’engagement des États-Unis auprès d’Israël dans sa guerre contre l’Iran n’est plus qu’un secret de Polichinelle, même s’il froisse une partie de la base trumpiste. Tandis que le président américain menace à mots à peine voilés la vie de l’ayatollah Ali Khamenei, les deux pays alliés promettent une accélération des opérations.
L’un multiplie les références à l’époque prérévolutionnaire, avant le renversement du chah en 1979 ; l’autre, celles à « l’Empire iranien », c’est-à-dire à la Perse. Par touches, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et le président états-unien, Donald Trump, instillent l’idée d’un renversement du régime. L’option sera-t-elle retenue ?
Mardi 17 juin, le président des États-Unis a déclaré que son pays n’avait pas l’intention « pour l’instant » de tuer le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. « Nous savons exactement où (il) se cache. Nous n’allons pas l’éliminer, du moins pas tout de suite », a fait savoir Donald Trump, exigeant la « capitulation inconditionnelle » du régime islamique.
Benyamin Netanyahou n’affiche pas la même hésitation. Comme il en avait déjà formulé le vœu après le 7 octobre 2023, il a assuré qu’Israël entendait « (changer) la face du Moyen-Orient » après avoir annoncé la décapitation de la direction sécuritaire iranienne. « Nous les éliminons un par un », a-t-il expliqué comme celui qui raye des noms sur une liste.
Le commandement militaire iranien sévèrement atteint
Cette dernière s’est encore allongée, ce 17 juin, avec l’annonce de l’assassinat du chef d’état-major iranien, Ali Chadmani, plus haut commandant militaire, qui supervisait les gardiens de la révolution, chargés de défendre le pouvoir et son idéologie. Son prédécesseur, Gholam Ali Rachid, avait été éliminé lors du premier bombardement israélien. Ali Chadmani supervisait depuis les plans d’attaque iraniens sur Israël.
La pyramide du commandement militaire est ainsi sévèrement atteinte ; autant d’opérations qui illustrent la puissance de feu de Tel-Aviv et la technicité de ses services de renseignements. Comme si la guerre n’avait aucune réalité, l’ambassadeur israélien aux États-Unis, Yechiel Leiter, a prévenu : « Lorsque la poussière retombera, vous verrez des surprises jeudi soir et vendredi, qui feront que l’opération dite des bipeurs semblera presque simple », en référence aux explosifs placés dans les appareils de communication du Hezbollah libanais.
Leur explosion simultanée avait blessé 3 500 personnes et tué 42 autres. L’opération menée les 17 et 18 septembre derniers avait ciblé le mouvement chiite et annoncé une guerre qui se poursuit aujourd’hui malgré le cessez-le-feu. Preuve que les opérations s’accélèrent, Donald Trump a assuré mardi : « Nous avons maintenant un contrôle complet et total du ciel iranien », et il a demandé aux habitants de Téhéran d’évacuer ; la Chine a, quant à elle, ordonné à ses ressortissants de quitter les territoires iranien et israélien.
« L’axe de la résistance » dans le viseur
La veille, Donald Trump et son secrétaire d’État Marco Rubio avaient quitté précipitamment le sommet du G7 au Canada. Depuis l’Air Force One, le milliardaire a expliqué vouloir une « véritable fin » du programme nucléaire en excluant un cessez-le-feu. L’offensive israélienne, préparée huit mois durant, n’en est donc qu’à ses prémices. Après les cafouillages de communication du premier jour à Washington, Benyamin Netanyahou assure : « Nous visons trois objectifs principaux : l’élimination du programme nucléaire, l’élimination de la capacité de production de missiles balistiques, l’élimination de l’axe du terrorisme. Et bien entendu, nous ferons ce qu’il faut pour atteindre ces objectifs, et nous sommes bien coordonnés avec les États-Unis. »
Les termes d’« axe du terrorisme » sont une référence à « l’axe de la résistance », qui désigne l’alliance entre l’Iran, l’ex-Syrie baasiste, le Hezbollah affaibli par la guerre au Liban, les milices pro-iraniennes, le Hamas et les Houthis yéménites. Autant de formations qui entravent les plans de remodelage du Moyen-Orient sous la houlette états-unienne et israélienne.
Demeure la question du niveau d’engagement de Washington pour parvenir à ces objectifs. Pour l’heure, indique le porte-parole de la Maison-Blanche, Alex Pfeiffer, les forces états-uniennes « sont dans une posture défensive » dans la région. Une manière de dire qu’elles se contentent de défendre leurs intérêts, conformément à l’engagement de Donald Trump vis-à-vis de sa base Maga (Make America great again).
Durant la campagne, le président a promis qu’il n’engagerait pas son pays sur un terrain de guerre étranger au nom de « l’America first », et ce d’autant moins après le catastrophique retrait des États-Unis d’Afghanistan en 2021. « Si le président aime cultiver son image d’homme fort, utilisant la rhétorique martiale et l’affirmation de la puissance américaine, Donald Trump reste anti-interventionniste. Mais l’Iran qui est présenté comme “l’ennemi” change les choses. Le soutien de sa base au gouvernement israélien est également sans faille avec des évangélistes qui adhèrent sans nuance, au nom du suprémacisme, aux projets de guerre et de colonisation de Benyamin Netanyahou », détaille le sociologue et directeur de recherche au CNRS, Sébastien Roux, à l’Humanité.
Selon le Chicago Council on Global Affairs, « moins de six Américains sur dix estiment que les États-Unis devraient jouer un rôle actif dans les affaires mondiales… Il s’agit de l’un des niveaux les plus bas enregistrés depuis que cette question a été posée pour la première fois en 1974 ». Interrogé sur Fox News, le ministre de la Défense, Pete Hegseth, se veut rassurant : « Ce que vous voyez en temps réel, c’est la paix par la force et l’Amérique d’abord. Nous sommes en position défensive dans la région, pour être forts, dans la poursuite d’un accord de paix, et nous espérons certainement que c’est ce qui se passera. »
Pour le général Olivier Kempf, contacté par l’Humanité, la main de Washington n’est pourtant pas loin : « Les États-Unis ont probablement contribué au renseignement (satellites, écoutes, cyber), mis à profit leur matériel aérien, peut-être avec des Awacs, éventuellement fourni une aide quant à la planification, notamment dans le domaine logistique. Sur ce dernier point, le soutien a dû être consistant, que ce soit avec des appareils de ravitaillement en vol, mais surtout par la fourniture des munitions, soit d’attaque, soit pour alimenter la défense antimissile israélienne, et donc le “Dôme de fer” contre les frappes iraniennes. »
Un soutien à peine voilé à l’opposition royaliste
Israël rend en réalité un fier service à Donald Trump qui avait retiré en 2018 son pays de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, signé entre Téhéran, la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie, l’Allemagne et l’Union européenne. En affaiblissant l’Iran, Tel-Aviv place Washington en position de force dans les négociations avec l’Iran si celles-ci reprennent.
Le vice-président J. D. Vance et l’envoyé spécial du président pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, sont chargés de proposer une rencontre aux responsables iraniens cette semaine, après le rendez-vous annulé de dimanche dernier. Un « accord (va) être signé », se targue Donald Trump, qui ajoute : « Je pense que c’est idiot de la part de l’Iran de ne pas signer. »
La pression est à cet égard maximale alors que, depuis le G7, Berlin, Londres et Paris ont pressé Téhéran de retourner à la table des négociations « au plus vite, sans préconditions ». Ils s’alignent ainsi sur les buts de guerre d’Israël et des États-Unis et réaffirment d’ailleurs le « droit de se défendre » d’Israël, alors même qu’il s’agit d’une guerre préventive sans résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. À cet égard, la situation rappelle peu ou prou celle qui prévalait en 2003, lors du lancement de la guerre de George W. Bush contre l’Irak au nom de l’existence de prétendues armes de destruction massive.
En l’absence de dissensions connues au sein de l’appareil d’État, nombre d’observateurs estiment toutefois peu probable de voir le pouvoir iranien s’effondrer sous pression de l’extérieur. D’autant que le soutien à peine voilé aux royalistes, et en particulier à Reza Pahlavi, le fils du dernier monarque, pourrait ne pas rencontrer l’enthousiasme attendu au sein de la population iranienne.
Voire renforcer la répression contre l’ensemble de l’opposition, y compris progressiste. Interrogé par le quotidien libanais l’Orient-le Jour, l’historien Peyman Jafari note qu’à l’époque du mouvement « Femme, Vie Liberté », réprimé dans le sang en 2022, « de nombreux Iraniens sont restés à l’écart, tout en sympathisant avec les slogans de ces protestations, parce qu’ils craignaient la répression de l’État et le chaos politique. Plus important encore, beaucoup n’étaient pas prêts à risquer leur vie et leurs conditions matérielles en l’absence d’une alternative politique forte et crédible ».